Daniel Sibony. Refus de justice pour une femme assassinée

En refusant de juger le tueur de Sarah Halimi sous prétexte qu’il était un peu fou pendant l’acte, ayant fumé trop de cannabis, les juges ont fait une grosse confusion. Il y a en effet deux folies en jeu, l’une c’est de vouloir tuer quelqu’un parce qu’il n’a pas votre religion et l’autre c’est l’état second plus ou moins halluciné que procure un excès de cannabis. Les juges, en toute justice, auraient dû juxtaposer ces deux folies pour évaluer leurs effets respectifs et leurs interactions, pour faire la part de chacune. Au lieu de cela, ils les ont superposées et confondues, ils ont écrasé l’une par l’autre, ils ont annulé la folie du projet de meurtre par la folie très ponctuelle due à la drogue. C’est une confusion pernicieuse car le meurtre était annoncé fréquemment avant l’acte, au vu de tous, et en état de pleine conscience. Qu’il ait fallu pour le réaliser se doper par du cannabis, quoi de plus normal ? Il est donc très injuste de réduire les faits et gestes du tueur à ce dopage. Alors qu’en se dopant, il a eu pour lui-même une attention très humaine : car ce n’est pas facile de mettre en acte la folie de tuer un être humain parce qu’il n’a pas votre religion, même si votre texte sacré le désigne comme figure de Satan, comme mécréant et membre d’un « peuple pervers ». Beaucoup de croyants lisent ces accusations et ne les mettent pas en acte, d’abord parce qu’ils tiennent à préserver un certain vivre ensemble et parce qu’ils n’en ont pas besoin, ou parce qu’ils ne veulent pas entendre ces appels d’un autre âge. Il se trouve que ce tueur, comme beaucoup d’extrémistes, les a entendus et a voulu les mettre en acte ; la drogue a été le moyen d’agir, de s’en donner la force, et non l’élément qui exonère cet acte de tout jugement.

Pourquoi les juges ont fait sciemment cette confusion afin d’écarter le procès ? Pour qu’on n’ait pas à entendre de tout cet entre-deux-folies, entre celle de l’acte et celle de la croyance fanatique. Il l’on fait, croient-ils, par égard pour les musulmans qui ne doivent pas entendre discuter leur religion, même si c’est au nom de cette religion que d’autres sont assassinés. Or les musulmans eux-mêmes sont assez mûrs pour prendre leurs distances envers ces postures extrêmes, eux aussi aimeraient les voir juger et condamner. Mais on les protège malgré eux d’une réflexion utile, et ce paternalisme met la France très en arrière de ceux qu’elle croit protéger, qui sourient de son zèle ou qui en sont très déçus. Quant aux autres, en l’occurrence les « mécréants » qui sont visés par ces appels, ils garderont leur colère et constateront qu’en France on peut sacrifier des juifs pour la bienséance tout comme pendant la guerre on les a laissé déporter pour le bon ordre des choses. Au mépris de toute justice.

  © Daniel Sibony

Daniel Sibony est un philosophe et psychanalyste français.  Dernier ouvrage paru : À la recherche de l’autre temps

Suivez-nous et partagez

RSS
Twitter
Visit Us
Follow Me

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*