Michèle Chabelski. Souvenirs, Souvenirs ( XX )

Bon

  Vendredi

     Chabbat

     Chabes

   Résumé des épisodes précédents

    Paul a accepté de ne pas habiter avec sa mère.

  Ils iront vivre dans le 17 ème.

     Quelques jours après leur retour de voyage de noces, Paul, ayant prétendu avoir un dîner, rentre à 5 h du matin.

   Par un malheureux hasard, il a été vu ce soir-là au casino de Deauville.

    La suite

      Un joueur ? Interroge Papa…

        C’est un poison dans une famille.

    Maman relativise : Il a peut-être été entraîné.  Il ne faut pas juger sur un écart, on ne sait pas ce qui s’est passé…

    Si, on le sait…

      Il a joué et menti.

 On aura même d’autres occasions de le savoir…

   Mais l’idée de récupérer une fille divorcée alors qu’elle traverse la vie sur le tapis de la fierté et du soulagement noircit son horizon d’ombres délétères…

     Premier anniversaire de mariage

     Ce garçon qui déployait une ardeur, un courage, une inventivité, une audace phénoménale dans le domaine professionnel, mettait sa créativité au service de sa réussite et se satisfaisait de projets classiques dans la sphère privée si ça n’avait pas de résonance sur sa notoriété…

    Il avait mentionné une fête pour notre premier anniversaire de mariage, j’avais négocié un tête à tête.

 Scénario noir…

    Refuser de potentialiser une célébration pour en faire un truc plan plan lui donnait des poussées d’urticaire.

   Sa sœur avait fêté le sien chez Patachou.

   Ce serait Patachou.

   La jeune épousée fit la tronche.

    Patachou ?  Bof…

     Tu veux quoi ?

       Je sais pas. Une surprise.

          Laquelle ?

   Je sais pas.

     Menteuse !!

       Je savais.

J’avais envie d’un petit week-end en amoureux comme ceux que nous partagions avant le mariage dans ce creuset amoureux où les heures scellaient le bonheur d’être ensemble et…

    Ben si tu sais pas ce sera Patachou…

    Je ne voulais pas quémander quelques heures arrachées à la galopade quotidienne…

    J’avais envie qu’il ait envie.

    Il n’eut pas envie.

     Comme d’habitude il arriva en retard, pressé, excédé par un accroc professionnel, répondit finalement longuement au téléphone, puis me bouscula tandis que j’enfilais mes chaussures m’accusant d’un hypothétique retard si je ne me dépêchais pas un peu, ça va encore être raté à cause de toi t’as vu l’heure …

    J’avais vu l’heure.

    Et je vis rouge en enfilant mon second escarpin.

    J’y vais pas.

      Hein ????

         J’y vais pas.

     Mais ça ne va pas, non ? Je rentre exprès tôt du boulot, je t’attends sans rien dire, (près de trois quart d’heure au téléphone) je perds un temps fou à organiser (un mot à sa secrétaire, Marion, réservez moi deux couverts), et toi tu… J’en ai assez de tes caprices…

   Moi aussi j’en ai assez…

   Je me casse…

     Un petit sac

     Un pyjama

       Les clés de la petite automobile, je suis partie, direction le foyer parental…

    Dring…

 Qu’est-ce que tu fais là, demande papa, navré de me voir dans cet équipage…

   Je suis partie de chez moi.

     Partie ?

     Oui. Partie.

   Maman arrive…

    Qu’est ce qui se passe ?

     Je suis partie.

    Et tu viens faire quoi ici ?

    Ben… dormir…

     Papa est soucieux.

       C’est impossible.

 Tu ne peux pas quitter le domicile conjugal sur un coup de tête et te réfugier ici comme si tu avais le diable à tes trousses…

 Ton mari sait où tu es ?

    Euh…

     Alors tu rentres immédiatement chez toi, tu t’expliques clairement avec lui, et si vous décidez de divorcer …

    Divorcer ?

    Maman frémit devant la malédiction…

    Je remballe mon pyjama bordé de dentelle, mon baluchon, et la tête basse, je reprends la direction du foyer conjugal …

   Pourquoi ne suis-je pas faite du bois des femmes qui se taisent ?  Qui courbent la tête en attendant la fin de l’orage ?

  Qui négocient diplomatiquement une trêve quand se profile un évitable casus belli ?

 Qui jouent des cils et de leur féminité dans une chicane désamorcée d’un mot, d’un geste ?

  Qui se font chatte quand je me fais tigresse ?

  Qui se font câlines quand je romps comme du bois sec ?

 Qui n’ont pas de turbo sur les talons de leurs escarpins qui les fait galoper comme une poule sans tête sur l’herbe de la ferme ?

    Je rentre dans une maison vide…

      Ah la chance !!

       Pas de Patachou, pas d’anniversaire de mariage dans les furies d’une épouse capricieuse, pas de…

    Juste un petit poker-copains, comme ça, arraché aux infortunes conjugales, entre une empoignade et une réconciliation, une parenthèse de bonheur viril, entre mecs qui se comprennent en partageant ces apnées qui les saisissent en découvrant leur jeu et les conduisent parfois au bout de l’enfer…

    L’impression de vivre enfin, accrochés au bord de ravines où ils essaient de transcender les lois du destin…

   Pokers, casinos, distribuent autant d’émotions que de cartes dans l’excitation d’une odyssée au bout de soi- même…

   Erotisme auto-centré, jouissance maladive, orgasmes en rafale, domination sur l’irrationnel, le jeu est une infatigable et constante branlette où la défaite ne signe que la pensée magique qui efface le bon sens…

  Et le corps affamé réclame son dû, comme un incurable junkie haletant avant sa dose réparatrice.

     Pourquoi suis-je finalement restée ?

   Parce qu’il chantait comme une sirène enjôleuse l’air du bonheur conjugal dans une envolée lyrique pleine de projets fous, parce qu’il développait une énergie contagieuse, une créativité sidérante dans une confiance en soi sous tendue par un sentiment d’invincibilité céleste, Baroukh Hachem, malgré les tournedos non cacher…

   Fascinant

   Fascinée

    Une paire conjugale qui fonctionna plus cahin que caha, où le charmeur et le serpent dansaient parfois un pas de deux hasardeux et toxique.

    Mais j’avais envie d’enfants.

      J’étais amoureuse, même si mes yeux s’étaient dessillés. Et j’avais décidé de marcher à l’amble avec ce garçon sur le chemin caillouteux qui me blessa plus d’une fois, sans voir le ravin tapissé de brume qui…

   Mais c’est une autre histoire.

      Je voulais aujourd’hui relativiser la culpabilité unilatérale qui semblait émerger de mes descriptions, le principal chef d’accusation me concernant étant le pari fou qu’il fallait tenter l’aventure quoi qu’il en coûte …

   Palinodies multiples, espoirs et réveils violents, on fit de multiples embardées, on quitta même plusieurs fois la route avant les tonneaux qui devaient….

    On continue ?

     Que ce Chabbat de confinement signe les espérances de retrouvailles familiales autour de la table pleine de rires et de fumets rassurants…

     A git chabes

     Chabbat Chalom

      Je vous embrasse

Bon

Samedi

  Résumé des épisodes précédents

    Le mari est un incurable joueur.

Il tente de cacher son vice par des mensonges en enfilade.

    Joueur et menteur…

  Absences inexpliquées, détails confus, et l’attaque étant la meilleure défense retournement de situation : tu crois que je pourrais t’offrir tout ça si je ne travaillais pas nuit et jour ?

  Il perd la nuit ce qu’il gagne le jour et mes deux mains en coupe sur le tonneau des Danaïdes n’empêchent pas le flux de s’écouler …

  Après un calamiteux premier anniversaire de mariage où j’ai fugué chez mes parents qui m’ont renvoyée dans mes foyers, je commence à m’interroger …

   La suite

      L’impression d’être entraînée par quatre mustangs au galop dans une course effrénée m’empêche parfois de penser rationnellement…

  Mon salaire de prof commence à ressembler à ces piécettes qu’on offre à un enfant pour sa tirelire…

 Il ne me donne droit à aucun jeton de présence au conseil d’administration conjugal, car l’époux prend seul la plupart des décisions.

  Mais j’aime ce boulot qui me donne souvent l’impression de faire le grand écart entre deux mondes qui ne se rencontreront jamais…

  D’un côté les élèves, les odeurs de craie, l’administration, les syndicats, de l’autre, l’effervescence du monde des affaires, le tourbillon d’une vie sociale tournée vers la construction de réseaux, les visions qui se succèdent et parfois se télescopent dans l’esprit vibrionnant de Paul et qui ressemblent à ces contes qu’on raconte aux enfants pour les endormir …et les syndicats côté patrons…

   Les bottines enfoncées dans la terre, je n’y crois pas toujours et pourtant certains de ces fantasmes trouveront une concrétisation inattendue que je considérerai comme un signe espiègle du destin.

  Lui y verra la main de Dieu, nous balancions entre Dieu va m’aider et C’est péché, tout en nous régalant de tendres rosbifs qui narguaient la viande cacher des Chabbath.

  Encore que belle-maman prît soin de faire mijoter les morceaux de barbaque pour leur donner un côté comestible, et le résultat était souvent savoureux quand il s’accompagnait du couscous fumant et des rires du vendredi…

  Car il était inconditionnellement exclu d’échapper au respect du Chabbat familial…

  Sauf à partir en week-end où soleil et casino gommaient l’impérieuse nécessité du kiddouch rituel…

  Petits arrangements avec le Très Haut qui pardonnerait ces petits écarts à ses trébuchantes créatures … Surtout si elles s’appelaient Cohen.

  N’oublie pas que tu es maintenant une Cohen…

  Ben si… je l’oubliais parfois et il fallait sèchement me le rappeler …

   J’étais à jamais la fille de mon père dont le nom était aussi digne que celui de mon mari et si on m’avait prêté ce patronyme considéré comme prestigieux, il n’était que la partie émergée d’une histoire d’amour administrativement consolidée…

   Madame Cohen…

  C’est qui ?

   Nous étions en outre nombreuses à porter ce nom que je partageais avec belle-mère et belles sœurs qui avaient eu la bonne idée d’épouser aussi des Cohen.

   Et certaines belles sœurs qui avaient changé de patronyme continuaient à commencer leurs phrases par moi qui suis une Cohen…

   Bref…

    Les Chabbath, en dehors de leur caractère indéracinable, étaient des moments de chaude convivialité cloutés d’empoignades féroces sur la politique et le rôle de la femme dans la société, proportionnelles à la frustration des fumeurs qui s’interdisaient d’en griller une, et se mettaient allègrement sur la tronche pour évacuer leur stress…

  Belle-Maman réchauffait, servait, les filles échangeaient des secrets qu’elles ne partageaient pas avec les belles filles, mais tout s’amalgamait dans les pépiements, les estomacs repus et les esprits qui s’ensommeillaient…

   À intervalles réguliers belle maman levait son verre vers son fils chéri avec un souhait plein de chaleur Un beau petit garçon chez toi, mon fils !

Un jour où les étoiles n’étaient pas convenablement alignées, je répondis Quelle bonne idée ! Tu me le prêteras ? J’adore les enfants.

    Le silence qui suivit m’indiqua qu’insolence et humour n’appartenaient que chétivement à l’arsenal de communication de la famille …

  Bon

   On ferait avec…

    Mes parents participaient parfois à ces agapes, surtout au début, les événements transformant progressivement ces dîners en rencontres sèches entre Horace et Curiace…

 Enfin essentiellement les femmes…

   Mon beau père tenant la main de mon père qui lui expliquait que son propre père était rabbin, ce qui redonnait une larme de lustre à ma mécréante personne …

  Mais ces dîners sonores où ne volait ni le nom d’Auschwitz ni celui de Treblinka, où personne ne comptait les disparus d’une famille décimée, où des prénoms yids, Herschel, Rivke, Reizel, Yankel ne provoquaient ni larmes ni sanglots secs, m’ouvraient les portes d’un monde qui ne pleurait pas ses morts entre deux gorgées de thé brûlant…

  Une sorte d’engourdissement bienfaisant après le chagrin de voir papa souffrir, larmes ravalées en évoquant sa nièce suppliciée…

  Mais le foyer restait accidenté et mes cris de rage devant les mensonges finirent par me lasser moi-même.

  L’amour commençait à s’ébrécher, le confort n’était pas une monnaie d’échange acceptable, et je décidai de me convoquer à une séance d’introspection d’où devrait émerger une décision viable pour les deux conjoints.

  Idiote qui aurait dû prendre ses jambes à son cou et courir, courir…

  Car les choses ne sont pas toujours aussi dramatiques que ce qu’on craint …

  Elles sont parfois pires…

   Allez, je ne veux pas vous retenir plus longtemps, les magasins rouvrent, l’heure du shopping va bientôt sonner …

   On se reverra peut-être …

 Si vous… Enfin, vous savez bien, quoi…

 Que cette journée signe la galopade presque oubliée dans les boutiques enfin rouvertes, gel à l’entrée, gel à la sortie, et d’interminables queues pour respecter les consignes …

Il fera moins froid dans les galeries marchandes…

    Je vous embrasse

© Michèle Chabelski

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