La réalité est la réalité.
Les concepts abstraits sont des concepts abstraits.
Il y a le monde, et il y a les représentations du monde.
À un moment de l’histoire, l’homme a commencé à vivre dans ses représentations — à croire qu’elles étaient plus réelles que le réel.
C’est là que naît l’idée de civilisation.
La « civilisation » n’existe pas dans la réalité.
Il y a des hommes, des groupes, des valeurs, des principes, des interprétations du monde réel.
Conflits, équilibres, ruptures, recommencements, destruction.
Mais pas de « civilisation » au sens d’un ordre stable.
Ce mot désigne une bulle idéologique, une abstraction dans laquelle on finit par penser le monde depuis l’extérieur,
comme si on pouvait s’extraire du chaos pour le dominer.
Or le monde est chaos.
Rien ne reste à la même place.
L’homme préhistorique le savait : il regardait les étoiles, il voyait qu’elles changeaient, qu’aucune ne se retrouvait jamais au même point.
Il vivait avec cette conscience.
Il ne fuyait pas le chaos : il l’observait, il s’y orientait.
La géométrie, la mesure, sont nées de cette observation —
non pour nier le chaos, mais pour s’y frayer un passage.
Plus tard, avec l’âge classique, une idée nouvelle est apparue :
celle d’un monde ordonné, d’un cosmos mathématisé, d’un ordre que l’homme pourrait comprendre, maîtriser, imposer.
C’est là que commence le nihilisme moderne.
Non pas le chaos — mais la négation du chaos.
La croyance en un ordre parfait, en une harmonie totale, en une raison universelle.
La croyance que le monde peut être autre que ce qu’il est.
Le nihilisme n’est pas le désespoir : c’est la fuite hors du réel.
C’est le refus du tragique, du conflit, de la limite.
C’est vouloir purifier le monde, le rendre transparent, lisible, docile.
Et c’est cela, au fond, le projet de la civilisation moderne :
créer un arrière-monde, un monde d’idées, où tout semble stable, moral, raisonnable, pendant que la réalité brûle.
Mais la réalité ne disparaît pas.
Elle revient toujours — sous forme de crise, de guerre, de violence, d’instabilité.
Le chaos est inéluctable, comme le mouvement des idées, comme la vie elle-même.
Il n’y a pas de paix sans conflit, pas d’ordre sans tension, pas d’équilibre sans déséquilibre.
La paix véritable ne naît pas de la neutralisation du chaos.
La société dite « ouverte » porte en elle sa propre fragilité.
En se voulant tolérante à tout, elle s’ouvre aussi aux forces sectaires qui la détruisent de l’intérieur.
En se voulant pacifique, elle oublie que toute paix repose sur une victoire.
La civilisation moderne ne comprend pas cela.
Elle veut la paix sans victoire, l’ordre sans conflit, la lumière sans ténèbres.
Et c’est précisément pour cela qu’elle s’effondre :
parce qu’elle refuse de voir le monde tel qu’il est, l’homme moderne finissant par vivre dans les concepts, non dans le réel. Et dans la fantaisie.
Le réel précède et déborde le logos.
La « civilisation » devient un fantasme d’ordre, un espace où l’on peut croire que la violence, la contradiction et le tragique peuvent être éradiqués.
C’est là le cœur d’un nihilisme moderne.
© Nicolas Carras

Nicolas Carras -est Créateur (vidéo – son – photo), artiste, poète
https://nicolascarras.wordpress.com/

Paralogismes. On ne peut pas dire que nos sociétés occidentales post-modernes cherchent l’harmonie. C’est tout le contraire. Elles cultivent la division et tout ce qui fracture. Elles sont tout sauf pacifiques : à l’extérieur les guerres et à l’intérieur l’ultra violence, la guerre civile permanente. Et la barbarie passée dans les moeurs : ce qui est arrivé à Lola, à Philippine et à tant d’autres serait impensable et inacceptable dans de nombreux pays. En « France », c’est banal.
Depuis l’époque antique, toutes les civilisations ont pour but de substituer l’ordre au chaos. Ou plus exactement d’utiliser les oppositions et les contradictions inhérentes à la société, à la nature et au monde (cf Héraclite, le Yin et le Yang) pour s’enrichir et prospérer. C’est précisément ce que font les nations restées civilisées, les civilisations qui veulent se perpétuer. Comme par exemple la Russie et le Japon _ tout n’y est pas parfait, loin de là, mais Elles survivent et progressent car Elles ont fait le choix de la vie.
Notre monde occidental en fin de course, c’est exactement l’inverse, il est caractérisé par le culte du chaos, de la violence et de la mort. Comme les islamistes et les Indigénistes, mais alors que ceux-ci sont dans une logique de mort conquérante et de haine de l’autre, les occidentaux post-modernes sont dans une logique de haine de soi et d’autodestruction (sans précédent dans l’histoire du genre humain).
Bonsoir Alain
Je crois qu’il y a une confusion sur le terme “chaos”. Dans mon texte, le chaos n’est pas péjoratif : c’est la réalité mouvante et conflictuelle dans laquelle l’homme vit et doit s’orienter. Il ne s’agit pas d’un culte du chaos ni d’une logique de mort, mais simplement de la reconnaissance que le réel précède et déborde toute construction abstraite.
Vous avez écrit : « Depuis l’époque antique, toutes les civilisations ont pour but de substituer l’ordre au chaos. »
C’est une projection anachronique d’une vision du monde sur l’histoire.
les sociétés antiques percevaient le chaos non comme un mal à éradiquer, mais comme une composante inhérente à la condition humaine et au monde naturel. Ainsi, attribuer à ces sociétés une volonté de « substituer l’ordre au chaos » selon des critères modernes constitue une lecture anachronique qui déforme leur vision du monde.
Et il ne faut pas confondre la volonté de se déplacer au mieux dans le chaos, et celle de vouloir substituer l’ordre au chaos.
Les sociétés ou les hommes peuvent apprendre à vivre et à s’orienter dans le chaos — c’est adaptatif, concret, pragmatique.
Cela ne signifie pas qu’ils ont pour objectif de créer un ordre parfait pour éradiquer le chaos, ce qui serait une projection moderne.