Michel Onfray. “Le Parti unique”

OPINION. Le piège s’est refermé dimanche 10 avril au soir. Le candidat de l’Etat profond s’apprête à défier à nouveau Marine Le Pen, son assurance-vie pour une décennie de casse sociale. Une fausse opposition au sein d’un Parti unique : celui de l’Europe de Maastricht. Votez braves gens…

Jadis le “parti unique” désignait sans coup férir un régime dictatorial, autoritaire, tyrannique. Désormais, il est aussi la marque du régime français et ce depuis que les différentes consultations électorales débouchent systématiquement sur la validation d’un même programme depuis trois décennies : celui des maastrichtiens, droite et gauche confondues.

Il y a cinq ans, le choix était encore possible entre un maastrichtien emblématique, Emmanuel Macron, et une anti-maastrichtienne avérée, Marine Le Pen. Depuis que cette dernière a clairement dit qu’elle ne touchait plus à l’euro, à Schengen, aux dispositifs européistes en matière de banque, de finance et de justice, Marine Le Pen pense en gros comme Emmanuel Macron. La vulgate médiatique a beau dire qu’elle est d'”extrême-droite”, cette dame partage avec lui la même vision du monde, le cadre, excepté, à la marge, des broutilles sur lesquelles s’excitent les antifascistes en peau de lapin – derniers en date les étudiants de la Sorbonne forts en gueule plus qu’en thème.

Tout le monde convient qu’à l’évidence les partis politiques ont changé en un demi-siècle : le Parti socialiste du Congrès d’Épinay de 1974 propose, via Mitterrand, de rompre avec le capitalisme : qui dira que c’est encore le projet d’Anne Hidalgo ? Voire que ce fut celui de Lionel Jospin ou de François Hollande quand ils étaient aux affaires ? Sinon celui d’un François Mitterrand président de la République pendant deux septennats ? Le Poing et la Rose ont disparu du paysage politique français depuis bien des années.

Le Parti communiste français stalinien qui fut collaborationniste avec l’occupant nazi en vertu du pacte germano-soviétique entre le 23 août 1939 et le 22 juin 1941, qui prenait position contre la contraception, contre le divorce, contre l’avortement, contre l’homosexualité dans les années 50, contre le Manifeste des 121 au moment de la Guerre d’Algérie, ou qui, avec Georges Marchais, refusait l’immigration parce qu’elle procédait de la volonté du patronat d’appauvrir les travailleurs, ce PCF n’est plus. De Maurice Thorez à Fabien Roussel, dont, rappelons-le, le directeur de campagne Yann Brossat ne cache pas sa dilection pour l’idéologie woke. Loin de la côte de bœuf arrosée de vin rouge, de l’eau est passée sous les ponts. La faucille et le marteau n’ont plus droit de cité chez les communistes français.

La Ligue communiste révolutionnaire qui, avec Mitterrand, a fourni nombre d’acteurs du libéralisme maastrichtien devenus des dévots de Macron, n’est plus. Le projet trotskyste d’une révolution prolétarienne internationale est remisé. Le logo a changé. La faucille du paysan et le marteau de l’ouvrier laissent place au mégaphone qui dit bien le projet du Nouveau Parti anticapitaliste : un rassemblement de verbigérants augmentés par le mégaphone. Le bolchevisme trotskyste est passé de mode.

Le gaullisme chiraquien qui affichait dans ses congrès une immense croix de Lorraine et des photos gigantesques du général de Gaulle a bradé la France en signant le Traité de Maastricht qui, en 1992, jetait la souveraineté nationale à la poubelle au profit d’une nouvelle souveraineté, celle de l’Europe états-unienne de Jean Monnet. Plus de Croix de Lorraine, plus de portrait du Général, plus de possibilité même de gaullisme. Il ne reste que Valérie Pécresse pour dire pendant sa campagne qu’il était temps qu’une femme “gaulliste” (sic) arrive à l’Élysée. Gaulliste Pécresse ? Laissez-moi rire…

De même, Marine Le Pen n’a plus grand-chose à voir avec son père dont on peut lire les programmes politiques très libéraux des années 70/80 – Thatcher et Reagan étaient alors ses modèles économiques. Il y avait chez le père une passion pour le maréchal Pétain et une haine pour le général de Gaulle que confirment sans ambiguïté les deux tomes de ses Mémoires respectivement parus en 2018 et 2019, c’était donc hier. À coup d’humour ou d’ironie, de cynisme ou de provocation, Le Pen père n’a cessé de jouer avec la Shoah et le négationnisme – le détail de l’Histoire, l’Occupation pas si terrible que ça, le “Durafour crématoire”, récemment la nécessité de faire une “fournée” avec Patrick Bruel, etc. Cette passion maréchaliste et vichyste du père n’existe plus chez Marine Le Pen qui a fait de la Shoah le plus grand crime du XX° siècle – on peut imaginer que, pour son géniteur, le crime fondateur eut été le goulag.

Mais si personne ne pense plus que le PS veut rompre avec le capitalisme, que le PCF est contre l’IVG et l’homosexualité, que les Républicains défendent la nation française souveraine, la plupart estiment, malgré tout ce qu’elle a dit pour se démarquer de son père, que Marine Le Pen est raciste, antisémite, xénophobe – pourquoi pas antibolchevique, ce serait bien dans l’esprit ! Il suffit de comparer les propos de Marine Le Pen avec ceux de Charles Pasqua ou de Marie-France Garaud, d’Alexandre Sanguinetti et de Pierre Juillet, tous gaullistes d’airain, pour conclure que son tropisme n’est aucunement vichyste, maréchaliste ou pétainiste, mais néo-gaulliste.

J’écris “néo-gaulliste” et non “gaulliste », car son récent virage européiste [1]la rapproche plus de Chirac, acteur cynique de Maastricht, que du général de Gaulle qui a passé sa vie à conduire les destinées d’une France souveraine dans le monde.

Un excellent article de Thierry Breton[2], qui n’est pas ma tasse de thé politique libérale, mais qui dit des choses justes, montre que Marine Le Pen ne pourrait pas réaliser son programme en restant dans l’Europe de Maastricht. Comme Jacques Chirac en son temps, par électoralisme, elle a choisi de demeurer dans le cadre maastrichtien, ce qui l’empêcherait de mener à bien sa politique, toute sa politique, si d’aventure elle était élue.

Qu’on se souvienne de l’aventure Tsipras en Grèce : c’est ce qui l’attendrait si elle arrivait au pouvoir.

Il faut donc se moquer de ces palinodies qui saturent les médias français entre les deux tours et qui opposent le camp du Bien au camp du Mal. La palme, dans le camp du bien, revient à Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, comique à ses heures, qui affirme, sans rire : “Avec Marine Le Pen, les pauvres vont peut-être mourir” (sic) [3]. Sérieux ! On ne sait si c’est par le gaz ou la guillotine…

Palme de l’hypocrisie à Lionel Jospin qui, il y a quatorze ans, dans l’émission Répliques de France-Culture, revenant sur son échec de 2002 et sur les manifestations qui ont séparé les deux tours avec Chirac et Le Pen père en finalistes, affirmait au micro d’Alain Finkielkraut que, dans cette configuration, « l’antifascisme n’était que du théâtre » – rappelons qu’il parlait alors du Front national de Jean-Marie Le Pen… C’est le même qui, aujourd’hui, dans la configuration du RN de Marine Le Pen, tient absolument à sortir de chez lui pour jouer la scène de l’antifascisme en peau de lapin en invitant à son tour à voter Macron pour faire barrage, tralala, tralalère.

On ne compte plus les gens du Camp du Bien qui, en procession, venus du sport ou de la culture, du show-biz ou de la télévision, de l’université ou de la politique, du journalisme ou de la rue, associent Marine Le Pen au fascisme, donc, soyons clairs, à Lucien Rebatet ou à Robert Brasillach, en prenant le risque soit de banaliser le fascisme de ces deux-là, dont, rappelons-le, le second invitait à ne pas oublier les enfants juifs dans la déportation vers les camps de la mort nazis, soit à travailler à l’impossibilité d’utiliser ce mot quand il doit l’être pour tel ou tel qui le mériterait – Vladimir Poutine par exemple. Cette forme de négationnisme à laquelle on assiste me répugne.

Ce négationnisme-là est le ciment du Parti Unique qui, ces temps-ci, appelle à voter Macron : Roussel du PCF & Hervé Morin des Centristes, la CGT de Martinez & le MEDEF de Roux de Bézieux, Libération de Joffrin, Médiapart de Plenel & Le Monde de qui l’on voudra,  le Yannick Jadot des Écolos & le Jean-Luc Mélenchon des islamo-gauchistes, le François Hollande du PS & le Nicolas Sarkozy des Républicains, une fois de plus copains comme cochons, et avec eux leurs suivants correctement défaits, Anne Hidalgo et Valérie Pécresse, l’inénarrable Jack Lang, les médias du service public bien sûr, Lionel Jospin mais également  Édouard Philippe, François Fillon & Jean-Marc Ayrault et Bernard Cazeneuve, quatre Premiers ministres maastrichtiens, je ne parle pas de Castex bien sûr, des ministres de Mitterrand, Élisabeth Guigou, Marisol Touraine ou, plus sidérant, Jean-Pierre Chevènement… S’ils eussent encore vécu, nous aurions également eu Chirac & Giscard, Mitterrand bien sûr…  Autrement dit : tous ceux qui ont mis la France dans l’État dans lequel elle se trouve aujourd’hui hurlent au fascisme comme le berger criait aux loups ! Ils battent leur coulpe sur la poitrine des autres.

Malgré leurs scores déplorables, le PS n’est pas mort et LR non plus puisque leurs idées maastrichtiennes sont celles de Macron : elles sont donc au pouvoir ! C’étaient celles de Sarkozy & de Hollande, de Chirac & de Mitterrand d’ailleurs. Comptons ceux qui sont venus de la rue de Solferino et de la droite pour se rendre à la mangeoire macronienne depuis cinq ans, et pour cinq ans encore, la liste est longue ! Elle s’allongera le temps des récompenses venues. Le Traître est une grande figure de la politique française – Emmanuel Macron en navire amiral.

Même si Marine Le Pen était élue, le système maastrichtien serait reconduit. Question de temps : un round, deux ou trois ? Là est la question. Mais l’issue du combat est connue. Je ne suis pas de ceux qui pensent “Tout sauf Macron”. Je n’ai rien contre cet homme qui ne laissera aucune trace dans l’Histoire, mais j’ai contre le monde qu’il défend dans lequel l’argent fait la loi – c’est ma définition du libéralisme. Et si ce monde doit être défendu par Marine Le Pen, mes armes taillées dans le bois politique des années 90 du siècle dernier sont prêtes.

Pour moi c’est : “Tout sauf Maastricht”. Le reste est littérature.

Pas plus que d’habitude, et aux côtés d’un quart des Français, je ne voterai, car le piège se refermera au soir du premier tour sur un peuple transformé une fois de plus en dindon de la farce.

Nous sommes sous la férule d’un Parti Unique et, aussi paradoxal que cela puisse paraître, comble de la réussite du système, les deux finalistes défendent cette même idéologie maastrichtienne. L’un en est le vassal déclaré, l’autre le deviendrait faute de se donner clairement les moyens d’échapper à cette vassalisation qui la prive de souveraineté – donc des possibilités d’agir… Élue, Marine Le Pen ne déferait pas l’Europe maastrichtienne, elle serait défaite par elle.

On ne se débarrasse pas de ce genre de dispositif trentenaire imposé par le Parti Unique avec seulement des bulletins de vote…

[1] Voir mon texte Le Front National est mort paru le 2 avril 2021, il y a donc plus d’un an, sur le site de Front Populaire.
https://michelonfray.com/interventions-hebdomadaires/le-front-national-est-mort?mode=video

[2] Le Figaro, 15/04/2022, “Le projet de Madame de Pen nécessite un Frexit”.

[3] Le Parisien, 14 avril 2022.

© Michel Onfray

https://frontpopulaire.fr/o/Content/co10014277/le-parti-unique

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8 Comments

  1. Analyse intéressante quoi qu’un peu superficielle. Plus digne d’un polémiste (certes brillant) que d’un philosophe. Ce qui est vrai c’est qu’il existe un parti unique : celui du mensonge et de la manipulation. L’empire de la désinformation. Mais c’est autant le cas sinon plus en Amérique du nord et au Royaume Uni que dans l’Union Européenne. Huxley disait que la dictature parfaite serait une dictature où les esclaves se croiraient libres et d’où (quasiment) personne ne chercherait à s’échapper. Orwell et Huxley sont à relire pour bien comprendre ce à quoi l’on assiste en France depuis 2017. C’est à la fois comique et terrifiant.
    Kevin Louis

    • D’accord, Kevin; mais pourquoi terrifiant?
      Si les esclaves se croient libres, ils le sont et tout va bien. Leurs faire croire le contraire ne serait pas un service à leur rendre.

  2. Ce texte de Michel Onfray est un long sanglot ; une litanie de deuil sur un monde disparu dont il est le seul nostalgique.
    Son énumération de ses chéris d’antan ; les partis politique et les engeances idéologiques du siècle dernier, fait pitié.
    Il le dit lui-même : « …mes armes taillées dans le bois politique des années 90 du siècle dernier sont prêtes ».
    Effectivement il est armé de bois ; et périmé, avec ça.

    Onfray ne s’améliore pas avec le temps et son dernier AVC n’a apparemment rien arrangé.

    Cela ne serait pas grave s’il n’était pas tenté par l’appel à la violence : « On ne se débarrasse pas…avec seulement des bulletins de vote… ».

    On’fray mieux de lui clouer son bec.

  3. Bonsoir. Je pense vraiment que tous les contributeurs et lecteurs de TJ devraient écouter ce témoignage au sujet de la censure et des pressions exercées par la macronie sur les journalistes (cela confirme ce dont j’avais déjà entendu parler). La vraie nature du régime politique où nous vivons https://youtu.be/e-8x_4kIRw0

    • mdr, la pub pour Tatiana Ventose, ex. secrétaire du Parti de Gauche de JLM qui appelle à voter MLP… il y a vraiment de tout sur ce forum et comme quoi les extrêmes se rejoignent toujours !:)

      • @Nirih Au lieu de lancer des accusations gratuites avez-vous écouté la vidéo ? Il semblerait au contraire que ce soient votre candidat et sa clique qui se comportent comme des extrémistes a la tête d’une démocrature aux dérives fascistes.

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