Michèle Chabelski. Souvenirs, Souvenirs ( XXII )

Bon

   Lundi

   Résumé des épisodes précédents

     Après une première année de mariage soldée par un anniversaire calamiteux et une perception aiguë d’un possible naufrage conjugal, Michèle s’offre une dernière tentative de réconciliation en choisissant le rôle de geisha pourvoyeuse de thé chaud et de bons services.

   Mettant le divorce en fin de liste des choix potentiels, elle se dit que quitte à écoper, ben elle écopera jusqu’à la plongée fatale…

    La suite

      La décision mûrie bien au chaud au fond du crâne, j’envisage désormais une vie scellée par un fruit de l’amour.

    J’ai quitté l’enseignement sous la pression de mon époux qui avait besoin d’une bénévole à ses côtés pour assurer les relations publiques et l’accompagner dans certains de ses déplacements en terre anglophone eu égard à ses carences linguistiques…

   Il ne parlait pas anglais et s’avisa qu’une épouse prof d’anglais pourrait présenter une certaine utilité…

    Et cette collaboration connut une certaine extension dans le domaine des relations publiques sous forme de dîners que la jeune épousée dépoussiéra de sa spontanéité un peu naïve…

    Mais qui rendit ces réunions moins austères malgré les regards de Paul qui s’inquiétait parfois de la désinvolture charmeuse de sa compagne et se rassurait aux rires et au bien- être de ses invités…

   Il croyait frôler l’incident diplomatique quand un rire tonitruant le rassurait sur la tournure des événements…

   Moi je me barbais bien un peu, mais investie d’une mission quasi divine, je gardais un objectif en ligne de mire, comme un moussaillon attaché au mât guette l’ombre de la terre : la satisfaction de mon époux…

   Et puis enfiler une robe élégante, dresser une jolie table, préparer un fin dîner après les premiers piteux essais de la sole non vidée, me donnait une illusion de bonheur, quand il ne s’agissait en fait que de scénariser une pièce de théâtre montée par un réalisateur exigeant.

   Car les absences injustifiées, les conversations téléphoniques embarrassées, les explications noyées sous un flux de détails aussi invraisemblables qu’inutiles, continuaient de polluer la vie conjugale et moi, j’avais pris le parti de me taire, ce qui signifie en gros que je ne criais que quand il avait dépassé les bornes…

  Il les dépassait souvent et la jeune épouse babillante du dîner professionnel se muait en une harpie étouffant de rage, puis se souvenait de son vœu de japonisation et redevenait la geisha augurée.

     En fait de japonisation, c’était les montagnes russes, rêve de famille d’un côté, addiction de junkie de l’autre, je croyais un pont possible entre les deux.

   Et sournoisement venaient s’ajouter des ombres blondes aux brumes des casinos enfumés, mais ça me paraissait bien accessoire au regard de la passion du jeu qui lui dévorait les entrailles.

   Et puis intellectuellement je m’interdisais d’être jalouse…

   Personne n’appartient à personne était un slogan soixante-huitard, liberté sexuelle en porte-étendard, j’essayais de poser un sparadrap sur la petite voix qui me soufflait Oui Mais Vous êtes mariés, c’est pas la même chose.

  Je n’avais aucune certitude, juste des ombres de soupçons que je souffletais sèchement, en me rappelant les décisions prises entre moi et moi – même : la paix quoi qu’il en coûte…

    Et puis un beau petit garçon chez toi, mon fils !

   Commençait à cogner à mon huis…

   Un enfant, bien sûr…

   Une famille, un papa, une maman…

    Je voulais un bébé, et j’étais convaincue que cet enfant serait un aimant qui ramènerait au foyer un playboy immature dans une bouffée d’amour inconditionnel…

     J’aimais déjà ce bébé dont je sentais le souffle tiède sur mon cou et la peau douce entre mes bras…

   Je me voyais juchant la petite sur un âne des Tuileries, partageant ses cris de joie, ou courant me cacher derrière un arbre en guettant son arrivée inquiète …

 Je me voyais, posant un biberon vide près d’un bébé repu qui s’endormirait doucement en pesant un peu sur mon bras, je me voyais conduisant l’enfant à l’école le cœur battant le jour de la rentrée, le papa ému à mes côtés, je nous voyais tous par terre alignant des cubes ou trichant au Monopoly, je nous voyais…

   Quand j’émis l’idée d’un bébé- qui ne serait pas nécessairement un garçon, on ne sait jamais, ces choses-là sont imprévisibles – il acquiesça, anticipant le sourire de joie sur le visage de sa mère…

    J’avais bien envie d’une fille, mais personne encore ne nous proposait le choix, et nous décidâmes d’œuvrer au repeuplement de la France…

   Vous savez comment on fait les enfants ?

    Pas besoin d’un graphique ?

    Ben nous fîmes comme tout le monde…

    Sauf que tout le monde ou presque tombait enceinte après ces activités essentiellement nocturnes qui se pratiquent à deux dans la tiédeur d’une alcôve libidineuse…

   Mais pas moi.

    Nous avions beau pratiquer avec lumière, sans lumière, dans des draps de percale ou de tergal, en musique ou sans musique, dans un exercice classique ou plus innovant, dans la patience ou dans l’urgence, en forme ou épuisés, nous pensions naïvement que la rencontre de nos deux sexes clairement différenciés mais unis par un amour infini (enfin, ça c’est pour faire joli), bref nous pensions que tout cela mènerait à la nursery dont nous rêvions.

    Ben non…

   Beaucoup d’efforts, et peu de résultat…

   Comme disent les Espagnols mucho de héhé y poco de haha…

   Enfin d’efforts, entendons-nous…

    Mais l’illusion prospérait dans nos esprits brûlants que si on multipliait les rencontres entre mon ovule et un de ses spermatozoïdes galopants, on ferait un enfant…

  Ce qui n’était pas une analyse excentrique, vous en conviendrez…

   Ben non…

    Et l’idée du beau petit garçon chez toi mon fils et de la jolie petite fille sur un âne des Tuileries commençait à se couvrir des ombres de la déception et de l’inquiétude…

    Dans les quarantièmes rugissants, la barque prenait l’eau…

    Ça ne fonctionnait pas…

      Pour éviter les questions pressantes et indiscrètes de belle-maman et des belles-sœurs, nous indiquâmes, d’un ton désinvolte, que toute réflexion faite, nous ne voulions pas d’enfant…

 Pas tout de suite en tout cas…

    Le beau petit garçon, ce serait pour plus tard…

   Nous étions jeunes, Paul travaillait beaucoup pour asseoir sa situation, nous voyagions énormément, rien n’urgeait, nous voulions attendre encore un peu…

    Encore un peu, c’est à dire…

    C’est à dire que vous le saurez si vous …

Ben vous savez, quoi…

    Que cette journée signe le plaisir de vivre en France où on peut ouvrir les stations de ski, mais pas les remontées mécaniques…

     Ben, zavez qu’à monter à pied, sous-entend monsieur Castex…

    C’est comme l’ascenseur. Certains préfèrent les escaliers…

      Je vous embrasse

Bon

  Mardi

  Résumé des épisodes précédents

   Mi geisha, mi philosophe, Michèle partage la vie de son époux, dents serrées parfois pour éviter un passage à des mots qui blesseraient tout le monde car ils ouvriraient le robinet des mensonges qui l’inonderaient inutilement.

  Elle se tait.

Elle a quitté l’enseignement, travaille dans sa boutique de fringues, accompagne parfois son mari dans ses voyages d’affaires et s’offre des récréations chez Natalys en contemplant les grenouillères de velours rose…

  La suite

     Je m’apprête à enfiler une robe moulante et fluide à la fois…

   C’est pas la peine…

 Qu’est ce qui n’est pas la peine ?

  De t’habiller…

   Mais… pourquoi ?

J’étais invitée et…

   T’es plus invitée.

   C’est sans les conjoints finalement…

 Mais je croyais que…

   Ben moi aussi je croyais …

    Mais c’est sans les conjoints …

Il va s’irriter si je ne comprends pas assez rapidement…

    Conjoints…

     Une bouture de deux crétins…

       Je range ma robe…

        Il m’avait vendu la soirée comme une purge incontournable, je me rends compte qu’il essayait de me dissuader de l’accompagner…

  Qu’à cela ne tienne…

  Nous boirions le calice jusqu’à la lie, mais dans la même coupe.

  Sa description n’ayant pas eu l’heur de m’encourager à déclarer forfait, il fallait sortir la grosse artillerie…

   Sans les conjoints…

    Puisque j’étais presque prête, j’irais dîner dehors avec des copains…

  Son front se plisse …

   Ça gâche un peu le plaisir, une femme rieuse et babillante, dehors avec des potes …qui la désirent peut-être, eu égard à ses robes trop courtes et provocantes…

  La vie n’est pas tendre pour un   mec qui fait craquer les coutures de son costume d’époux devenu trop étroit et qui voit sa geisha poser sa théière et filer retrouver des copains au lieu d’enfiler une aiguille pour ravauder sagement le costard endommagé…

  L’incident est clos, dans mon auto rendez-vous je me suis promis d’éviter les vagues, je resterai désormais à quai, j’ai d’autres chats à fouetter…Un bébé…

 Un bébé…

    Dans l’appartement bien au large de belle maman, somnole une chambre d’enfants et sa salle de bains, de petits lapins orange dansent sur les murs, ça fera rire la petite, on n’a pas encore acheté les meubles, mon ventre est toujours bien plat…

    Ma belle-mère m’accueille le Chabbat par un rituel T’as rien à nous annoncer ?

   Si…

    Son œil frise…

      On a acheté un nouveau canapé, ils le livrent la semaine prochaine, vous viendrez le voir…

   Méchante…

   Que dire ?

     Ce bébé en pyjama rose hante mes jours et mes nuits, le magasin parasite avantageusement mes fantasmes, je bosse, les clientes sont adorables, Vous êtes mariée, vous avez des enfants, oh non j’en veux pas, avec le boulot, tout ça…

Les copines Ben alors, toujours rien ? Non, on n’en veut pas maintenant…

   Menteuse…

  Ma mère (qui m’a fabriquée peu ou prou lors de sa nuit de noces) T’as raison d’en profiter, la vie n’est plus pareille après…

  Mais moi j’aimerais bien que ma vie ne soit plus pareille, mes entrailles gargouillent de faim et de soif, je rêve de remplacer mes jeans étroits et mes robes ajustées par d’amples vêtements qui protégeraient mon ventre arrondi.

  Mes copines accouchent en rafales, je félicite, j’offre des mini brassières duveteuses, j’écoute les roucoulades des jeunes mamans, leurs confidences sur le bonheur de la maternité, C’est un truc incroyable, Tu ne peux pas savoir, si justement j’aimerais savoir, mais…

   Je ne comprends pas pourquoi t’en veux pas, sous-entendu l’égoïsme se porte haut cette année…

   Pas maintenant, le magasin, les voyages, j’ai le temps, trop tôt, trop vite…vous n’y pensez jamais ? Si on y pense, puisque tu veux des détails, mais dans un an ou deux, y a pas d’urgence…

Dommage…

Bizarre…

Tu devrais…

Les conseils appuient un peu sur la plaie qui s’ouvre, je ris d’un air désinvolte, à toi les nuits blanches ma belle, à moi la liberté…

  L’argumentaire me tapisse les lèvres d’un goût métallique.

   La liberté !! D’aller consoler les petits lapins orange qui pleurent ?

   Les vagissements qui m’ont frappé les oreilles et lacéré le cœur soulignent le silence de l’appartement conjugal et la tristesse des petits lapins orange qui dansent sur les murs et le carrelage de la salle de bain avec moins d’enthousiasme…

      Paul est d’accord pour fabriquer ce bébé si impatiemment attendu par sa mère, nous devenons des stakhanovistes de l’érotisme procréatif, sauf que nous ne procréons pas grand-chose à part de l’incompréhension et des déceptions.

   Au bout d’un an de cet exercice, pas loin des petits lapins orange qui s’étiolent, nous décidons de prendre des mesures en faveur de ces petites bêtes…

  Nous allons consulter…

    Ma meilleure amie, médecin, m’indique l’adresse d’une gynéco spécialisée dans les problèmes de stérilité…

  Stérilité !!

    Le mot est lâché et s’inscrit en lettres de feu sur l’écran noirci de mes espérances…

   Mais l’idée d’un coup de pouce médical propre à accélérer la rencontre indispensable à la procréation ouvre néanmoins une fenêtre sur l’imminence espérée d’une grossesse…

  Quelques piqûres, et tu verras…

    Oui…

      Je verrai…

      La gynéco, revêche, prescrit des examens…

    Hôpitaux, explorations parfois douloureuses, seringues, expectatives, certitudes, le flux mensuel coule sur des espoirs mille fois déçus, On a sondé Madame, il va falloir examiner Monsieur…

     Est-il possible que comme Napoléon et Joséphine nous soyons incompatibles ?

   Il est possible.

     Damned !

       Toi Napoléon l’Empereur, ça t’irait encore, mais moi Joséphine l’infidèle un rien débauchée, non merci…

   Nous ne serons donc pas incompatibles, c’est dit…

  Le médecin, qui a remplacé la sèche première gynéco d’une longue liste, hoche la tête en souriant…

   Il est charmant, prescrit un examen à Monsieur, et les Cohen partent à l’assaut de ce sommet convoité, ce Graal espéré, ce succès de la science sur la pathologie, cette timbale décrochée au terme de…

   Mais ça vous intéresse vraiment ?

      Ceux qui me connaissent diront bah on s’en fout, on connaît la réponse

   Pas que…

    Dans Le laboureur et ses enfants, La Fontaine démontre que le chemin parcouru peut être aussi gratifiant que le résultat obtenu, et qu’il ne faut pas négliger…

  Enfin…

   C’est vous qui voyez…

    Que cette journée signe un remède au torticolis qui nous affecte quand on observe les échanges et palinodies d’un gouvernement qui se cherche une légitimité dans une anarchie parfois préoccupante…

     Je vous embrasse

© Michèle Chabelski

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