Edith Lefranc. “Mort de Samuel Paty : la lettre édifiante d’une institutrice nîmoise sur la laïcité fait réagir”

Enseignante en réseau d’éducation prioritaire, elle appelle ses collègues à la lucidité.

Florence (*) est professeure des écoles depuis une vingtaine d’années en réseau d’éducation prioritaire, à Nîmes. À la suite de la mort de Samuel Paty, elle vient d’envoyer à ses collègues enseignants une lettre ouverte qui a fait réagir.

Pour cette Nîmoise, les hommages et les minutes de silence ne sauraient suffire. 

Qu’allons-nous changer dans notre pratique quotidienne ? Dans notre relation à nos élèves et à leurs familles pour que Samuel Paty ne soit pas mort pour rien ? J’y pense depuis des jours et une foule de souvenirs de détails, de situations me reviennent à l’esprit. Face à la montée de l’idéologie islamiste, nous faisons trop souvent – et je m’inclus dans ce “nous” -, preuve d’un manque de lucidité, voire d’une attitude de déni coupable“, écrit l’enseignante.

Et Florence de citer quelques exemples, comme ces journées de classe verte au Mas Boulbon à Nîmes, où sur une classe de trente enfants, vingt steaks hachés du midi sont jetés à la poubelle, parce que la viande n’est pas hallal. Ou encore cet atelier vitraux qui inclut une visite dans une église et la mauvaise humeur d’un élève de CE1 qui jette son travail à la poubelle.

J’ai simplement grondé et privé de récréation l’enfant, alors qu’il aurait sans doute fallu convoquer les parents et faire expliquer à chacun les raisons d’un tel refus. Celles qui donnent, à un enfant de 7 ans, l’aplomb suffisant pour s’opposer avec un tel entêtement à une activité scolaire. J’ai bien compris qu’il exprimait un rejet épidermique de l’église, emblème d’une autre religion que la sienne, dont la simple vision constituait apparemment une grave offense, mais les mots n’ont pas été prononcés.”

Refus de serrer la main

Florence revisite encore ce moment où une mère vient inscrire son enfant et refuse de serrer la main du directeur, au prétexte que c’est un homme. “Là encore rien d’explicite. Nous l’avons déploré mais avons inscrit l’enfant le jour même. Je réalise aujourd’hui qu’il aurait fallu différer, demander à cette famille de se présenter ultérieurement et disposés cette fois au minimum de respect et de politesse requis.”

C’est enfin une collègue qui s’interroge sur les activités de Noël qui pourraient “heurter” les enfants musulmans. “Imaginerait-on une activité toute bienveillante, visant l’accueil d’enfants étrangers dans leur nouvelle communauté culturelle pourrait défriser des bouddhistes ? L’islam rend donc bien chatouilleux !

Florence raconte s’être de tout temps battue pour le multiculturalisme et l’intégration : “Je défendais il y a vingt ans les menus sans porc à la cantine, je comparais ce dégoût à la proposition que l’on me ferait à moi, de manger du chat. Je me demande aujourd’hui de quoi j’ai été l’instrument.”

En 2015, j’ai commencé à m’interroger : les mamans du quartier étaient accablées comme nous face à l’horreur du Bataclan. Mais aucune n’est venue à la grande marche à Nîmes alors que, nous, l’équipe de l’école les attendions. Je me suis dit “Elles sont sur une autre planète“.

Celle où l’islam est une grille de lecture tellement forte que l’humanisme, la République et ses lois n’ont pas de poids dans les pratiques quotidiennes. Je ne veux condamner personne, mais je me dis que la bienveillance n’est pas l’acceptation de tout.”

La peur de passer pour des fachos nous pousse à arrondir les angles. Ma lettre c’est un simple appel à la lucidité. Il a fallu cette violence contre un enseignant pour que je me dise “Ou tu fais quelque chose ou tu changes de travail”. On a perdu de notre aura, de notre responsabilité. Le respect, l’autorité, ça se construit. Ce n’est plus un a priori.

(*) Le prénom a été modifié.

Source: Midi Libre. 30 novembre 2020

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