Michèle Chabelski. Souvenirs Souvenirs (VIII)

Bon

  Samedi

   Résumé des épisodes précédents

  Après avoir fortuitement ou pas rencontré le frère d’une collègue et amie travaillant avec moi au lycée Montaigne, je trace l’esquisse d’un béguin léger avec icelui, qui s’ébrèche assez rapidement sur l’affrontement de deux perceptions du monde et la lassitude de voir Jo le copain nous escorter comme une ombre portée…

 Enough is enough.

Fuyant le projet de vacances communes, je file en Angleterre.

 D’où je rentre, guillerette, je passe le mois d’août à Paris avec mes potes, interrompue par un Chabbat chez les parents de Renée…

  Prière, lavage de mains, petit morceau de khala (brioche tressée), appelé motzé, jeté par le patriarche dans l’assiette de chaque convive, couscous parfumé, rires partagés, grondements sourds sur des désaccords politiques, enfants joyeux, la corbeille de fruits couronne ce festin d’oranges grosses comme des citrouilles et sucrées comme du miel…

  La Maman est chaleureuse, empressée, m’appelle ma fille, le papa me regarde d’un air un peu suspicieux, on invite traditionnellement à la table du Chabbat des juifs, et mon nom a soulevé en lui des questions dont les réponses le laissent dubitatif.

  Chabelski ?

  C’est juif, ça ?

  Oui Papa, c’est juif.

     Mais c’est pas juif comme Azoulay ou Bensoussan.

  Non Papa. Mais c’est juif quand même.

Son père est un bon juif ?

     Un bon juif !!

 Je vous laisse juges…

     De toute façon, il est très malade et personne ne s’est chargé de lui décrire l’intermède sentimental de son fils avec l’invitée au nom énigmatique, qui a eu la bonne idée de s’engager ailleurs ce soir-là.

J’apprendrai incidemment qu’il est aux Etats Unis.

J’espère que Jo a eu le temps d’apprendre l’anglais.

  Je retrouve le nid séfarade quelque temps plus tard pour récupérer le cadeau tricoté par la Maman : un magnifique châle écru, bordé de couleurs chatoyantes, hommage à la mode hippie de cette année-là.

   Tant de bonté m’émeut, je comprendrai bien plus tard qu’elle fait partie d’un plan stratégique minutieux.

  Le Strasbourgeois s’est mis aux abonnés absents, est ce que je regrette le frangin aux pompes noires pointues qui conduit le samedi en m’empêchant de fumer ?

  Bah…

   Le monde est grand, la vie est longue…

   Couchée sur le lit par un après-midi midi tiède de fin d’été, je lis voracement quand le téléphone sonne.

  Réponds ! hurle maman…

    Je jure entre mes dents, et après avoir soulevé de mauvaise grâce ma silhouette malingre, je me dirige lentement vers le téléphone du salon qui se tait au moment où j’arrive.

   Ben tu peux pas décrocher ? gronde la voix maternelle…

   Si. Je pourrais en fait.  Matériellement, je pourrais. Mais j’ai pas trop envie.

  Je repars vers ma chambre, interrompue par la sonnerie stridente.

  Punaise !

   J’ai envie de lire, pas d’assurer le standard familial.

  Oui ?

   Bonjour...

      Oupsss

 Surprise !!

    Devinez devinez qui je suis

      C’est lui…

  Naturel, enjoué, un rien enjôleur, m’expliquant qu’il rentre à l’instant des Etats-Unis et que malgré le décalage horaire il aimerait beaucoup…

  Tel quel

    Comme si de rien n’était.

  Comme s’il n’avait pas appelé pendant mon séjour en Angleterre pour demander mon numéro à mon père qui lui a répondu délicatement que si j’avais jugé bon de lui communiquer l’information, je l’aurais fait moi-même.

  Non.

Il bavarde avec légèreté, tente de me faire rire et revient à l’objectif initial : il a pris des billets pour assister à un concert de Gilbert Bécaud, il faudrait que je sois prête à…

  Je tangue entre colère et hilarité…

    Sous les pavés la plage

    Mon corps m’appartient

    Mon dieu ! Qu’est devenue mon autonomie décisionnaire toute neuve surfant sur un choix libre qui dégaine plus vite que son ombre ?

    Comment peut-il être aussi sûr de lui et ne jamais laisser place au doute, à l’imprévu à l’impondérable, à l’échec ?

  Je n’aurai jamais la réponse.

Ou une réponse très fragmentaire…

  J’ai envie de refuser, juste par idéologie…

 Ça ne doit pas se passer comme ça…

 On est en 1970, je ne suis pas un sac de patates qu’on hisse sur son dos, comme ça d’un claquement de doigts, je ne laisserai personne scarifier mon libre arbitre et…

   Je dis d’accord.

Boncza, Babyliss, vite, Maman je trouve pas ma robe rouge, cette petite chose arachnéenne, élégante et sexy, Ah la voilà, des hauts talons et même des boucles d’oreilles…

 Mon libre arbitre est plein de bleus, mais ça ne se voit pas dans ma délicieuse robe coquelicot…

  Quand je vois de ma fenêtre le portier passager s’ouvrir, je guette le second claquement annonçant l’arrivée de l’importun Jo, mais …

 Juste une précision :

   Ce séduisant séfarade, tout imprégné de bonnes manières qu’il soit, m’attendra toujours dans la rue, considérant le foyer de la jeune fille comme sanctuarisé…

  Et y pénétrer devient soit un outrage, soit un engagement quasi biblique…

   On y entre pour faire sa demande et pas pour tendre le bras à une copine qui a déjà témoigné de quelques bontés…

  Il attend donc dans la rue…

     Vous voulez savoir comment était le concert de Gilbert Bécaud ?

    Ben dites le😄

     Je me mets à votre entière disposition…

Mais je vous avertis : le registre est très classique…

   Que cette journée vous offre une respiration pour vous habituer à la tête du presque nouveau Président des Etats Unis…

    Je vous embrasse

© Michèle Chabelski

Suivez-nous et partagez

RSS
Twitter
Visit Us
Follow Me

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*