Antoine Desjardins. Blessures morales, fictions, discours

Il y a un quart d’heure d’Histoire vous n’eussiez pas souffert et n’auriez pas songé à vous plaindre…

Il y a des gens qui n’auraient jamais éprouvé la moindre souffrance “réelle” ni aucun sentiment d’avoir été “blessés”, s’ils n’avaient rencontré dans la société un discours qui leur eût dicté mot à mot en quoi consistait exactement cette douleur morale, quelle en était la localisation et la profondeur, à quelle intensité de gémissements ininterrompus elle était en droit de les porter, quelle réparation ils en pourraient tirer en s’en plaignant, éventuellement devant la justice puisque désormais il y a toujours un responsable à tout.

Ils ne fussent pas allés consulter un psychiatre ou un psychanalyste pour se débarrasser de symptômes qu’ils n’eussent jamais manifestés.

Leur vie, peut-être, n’eût pas été gâchée par une illusion de souffrance, une imagination d’offense, une chimère d’affliction.

Le surprenant est que ces gens ne sont pas insincères ou hypocrites, tant la parole, le langage, les récits, construisent et dictent nos émotions. Leur donne l’être.

Ils “ont mal” parce qu’un discours (pas toujours dominant mais qu’ils ont incorporé) dit qu’ils ont mal.

Il n’y a que les esprits forts qui interrogent (en permanence) au plus profond d’eux-mêmes, la nature exacte, strictement singulière, hors société autant qu’il est possible, de ce qu’ils éprouvent ou n’éprouvent pas en Vérité, qui puissent échapper à cette hétéronomie inquiétante des affects.

Le monde moral est décidément une chose bien étrange quand on s’en approche avec un rasoir (d’Occam)

 Croquis intitulé Frater Occham iste, d’après un manuscrit de Summa Logicae d’Ockham . Vers 1323 .

© Antoine Desjardins

Antoine Desjardins est professeur de Lettres, coauteur du livre Sauver les lettres: des professeurs accusent (éd. Textuel), membre du Comité Les Orwelliens 

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