Guy Sitbon – Prix Nobel : Un besoin de Tunisie

Paris, onze heures cinq, la clochette du téléphone signale l’arrivée d’un sms. Je verrai tout à l’heure. Deux minutes plus tard, deuxième sms, troisième, quatrième. Mais qu’est ce qui se passe ? Inquiet, je tire mon téléphone de la poche de ma veste et je lis. Ma copine Laura de Rome : « Evviva la Tunisia. » Mon petit-fils de son bureau : « Tu l’aurais imaginé toi ? La grande classe. » Nicole de Madrid : « Bravo Radès » (elle a passé sa jeunesse à Radès) John, de San Francisco : « Congratulations, you really deserveit. » Boris, de Moscou : « Molodets, Slava Tunis (Bravo, vive la Tunisie). » Ma voisine Annie : « Tu vas encore nous embêter avec ta Tunisie. » Je descends, mes voisins Ahmed, le marchand de kebab et Samuel, vendeur de chaussures, tous deux Tunes, trinquent au bar d’en face. Un coup d’œil sur Google news, tout s’éclaire : Je viens de recevoir le prix Nobel. Ou presque moi. Tous les Tunes ont été nobélisés. J’imagine la nouba à Belleville, à Barbès et dans les restaurants du 17e.

Guy Sitbon
Guy Sitbon

 
Moi, ça ne m’étonne pas. Si pas la Tunisie, qui ? Obama ? Poutine ? Assad ? Le Pen ?
La guerre d’aujourd’hui c’est sous nos cieux qu’elle égorge, nulle part ailleurs. Dans ce foutu « monde arabo-islamique » précipité dans une chakchouka sanguinaire.
À la jointure du bien-être et de la malédiction, une pastille à peine visible sur les planisphères, la nôtre. Ni la plus gracieuse ni la plus ingénieuse, peut-être la plus sympa. Ni pétrole, ni armes, tout juste l’envie de vivre cette vie en sourire plutôt qu’en chagrin. En amour, pas en venin. En haine de la haine.
Dans les parages du Pôle Nord, une poignée de vieillards blondinets s’adonne à une seule tâche : tenir à l’œil les poings et les canons de la planète. Qui se tient mal, qui se tient bien. Qui croit au droit, qui croit au tordu. Qui tue et qui soigne. Rien ni personne n’échappe à l’oculaire de leurs microscopes. Un année entière, ils ont trifouillé l’espèce humaine pour finalement dénicher qui ? Vous, nous, moi. Je savais que j’avais besoin de la Tunisie. Mais voilà que d’Oslo m’est parvenue une révélation : le monde a besoin de la Tunisie.
Le Quartet a bien mérité de la patrie. Oslo aurait pu céder à l’usage en couronnant Béji Caïd Essebsi et Rached Ghanouchi pour avoir conjuré la calamité annoncée en mariant l’eau et le feu. Mais à Oslo, on a gardé un souvenir cruel de ces distinctions remises à des héros comme Kissinger et Le Duc Tho (1973), Arafat, Rabin et Pérès (1993).Ils ont même éliminé Merkel. Le Comité Nobel aurait pu aussi élire le peuple tunisien dans son entier. Beaucoup, à Damas ou à Sousse n’en sont pas dignes. Au delà du Quartet, c’est à l’histoire entière de la Tunisie que revient l’honneur. Histoire perpétuellement entre les mains de chacun.
Ce matin, Moncef explique à sa femme de ménage ce qu’est le prix Nobel. A l’issue du long discours de son patron, Salha demande : Qu’est-ce que ça va changer pour moi ? En une réplique, elle a tout dit Salha.
Désormais, chaque mot, chaque geste devra être précédé d’une question : ce que je vais faire, ce que je vais dire est-il à la hauteur d’un prix Nobel de la Paix. Vous avez bien entendu, la Paix.
Guy Sitbon
http://www.leaders.com.tn/article/18125-guy-sitbon-un-besoin-de-tunisie

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