Le populisme européen et les médias, par Pascale Davidovicz

Après la percée du Front National aux élections municipales, les documentaires télévisés et les articles de presse se sont succédés sur le thème du populisme et de la montée de l’extrême droite en Europe.

 Mais qu’est le populisme réellement ?

 J’ai consulté la définition qu’en donne le dictionnaire Larousse, et j’ai été surprise de constater qu’elle ne correspondait pas vraiment à l’usage que l’on en fait.
Idéologie et mouvement politique (en russe narodnitchestvo) qui se sont développés dans la Russie des années 1870, préconisant une voie spécifique vers le socialisme.
Idéologie politique de certains mouvements de libération nationale visant à libérer le peuple sans recourir à la lutte des classes.
Depuis les années trente, le populisme, d’abord courant littéraire et intellectuel russe d’opposition au tsarisme, est devenu courant politique prônant l’idée de retirer le pouvoir aux élites au profit du peuple.
Il fait son lit dans les pays en crise, et prétend parler au nom du peuple.
Il s’oppose au système et propose des solutions trompeuses, mais tellement simples, que le commun des mortels peut se demander pourquoi personne n’y a pensé plus tôt.
Il désigne des boucs émissaires.
Il alimente les peurs, les frustrations et les ressentiments.
Il est porté par des chefs charismatiques et autoritaires, issus des partis extrémistes, qui prétendent défendre la démocratie, mais en réalité la menacent.

Un populisme à l’italienne.

 Puisant dans le terrain commun à l’extrême droite comme à l’extrême gauche, l’ancien bouffon de la télévision italienne Beppe Grillo, âgé de 66 ans, se sert de son talent de tribun pour s’en prendre tous azimuts aux institutions, aux partis politiques, à l’Europe, aux émigrés, aux juifs, aux loges secrètes et aux francs maçons.

Beppe Grillo,
Beppe Grillo,

Son mouvement Cinq Etoiles milite pour l’écologie et la hausse des salaires, contre les impôts et pour les services publics. Encore marginal il y a un an, il a obtenu en février 2013, le vote d’un peu plus d’un italien sur quatre.Se déclarant fier d’être populiste, il surfe sur les scandales politiques de l’ère Berlusconi et s’en prend aux dirigeants impuissants face à la crise.
Beppe Grillo qui se veut le porte voix de toutes les colères, déclare vouloir « une révolution dans la tête des italiens et une participation directe ».Il se propose de créer une vraie démocratie et de redonner le pouvoir au peuple, comme s’il l’avait jamais eu réellement dans l’Histoire ! Les 163 députés de son mouvement, novices en politique, ont été sélectionnés par les internautes, histoire de faire croire à une démocratie participative.
Une poudre aux yeux quand on sait que le casting a été revu et corrigé par Beppe Grillo.
Le but est de saper le parlement et d’utiliser un pouvoir de nuisance.
Au Sénat où ils représentent la 3ème force politique, les élus n’ont cherché à faire adopter aucune de leurs 400 propositions, et se sont contentés d’attaquer le gouvernement, en se présentant comme victimes. Beppe Grillo interdit aux parlementaires de s’exprimer devant les médias, une vraie décision démocratique ! Seul Claudio Messora, bras droit du chef et responsable de la communication, peut répondre aux questions des journalistes.
Les internautes sont censés contrôler les dépenses et les frais des élus au travers d’une transparence illusoire, qui rappelle celle de la publication des déclarations d’impôts de nos élus qui n’a pas fait long feu. Paola De Pin, une chef d’entreprise, sénatrice du mouvement, qui osa proposer de soutenir la gauche au sénat, afin d’appuyer une réforme de la loi électorale que le mouvement Cinq Etoiles réclamait, paya les frais de son initiative.
Un membre l’appela, lui dit qu’elle ne valait rien, la traita de prostituée et lui demanda de se recentrer.Excommuniée, elle exprimera son soutien à la gauche.Quatre autres élus seront exclus pour avoir osé s’exprimer à la télévision.
Beppe Grilllo rêve d’un parlement sans partis, avec des citoyens qui voteraient sur Internet.Folie et absurdité, car qui représenterait la nation à l’international, mais au-delà de ça, la volonté d’atteindre 100 % du pouvoir, cela s’appelle le fascisme.
Marine Le Pen est venue saluer Beppe Grillo à la télévision italienne.
Marine Le Pen est venue saluer Beppe Grillo à la télévision italienne.

Un populisme à la française. 

 Pendant que le populisme italien joue sur la crise politique, le populisme français joue davantage sur la crise économique et le chômage.
Le Front National, qui a remplacé le Parti Communiste Français au sein de la classe populaire, abat la vieille carte du bouc émissaire.
Dans les années trente, c’était les juifs, et maintenant comme à Forbach, où les étrangers ne représentent pourtant que 5 % de la population, après les ritals de François Cavanna et les polacks, ce sont les maghrébins autrefois attirés par les mines.
Au chômage, c’est à eux et aux roms que le Front National s’en prend.
Pourtant pas de trace de caravanes de roms à Forbach, mais la peur fait recette et le Front National le sait.
Le pire c’est que pendant ce temps là, Manuel Valls se fait vilipender pour être ferme sur l’expulsion des roms et des illégaux qui franchissent nos frontières, paralysent notre réseau ferroviaire par leurs vols de matériau et cambriolent.
Diplômé de l’ENA, Florian Philippot, bras droit de Marine Le Pen, tête de liste aux européennes 2014, devenu conseiller municipal à Forbach, se déclare protectionniste et défenseur des acquis sociaux.

Florian Philippot
Florian Philippot

Il se dédouane comme il peut de la corruption  et de la violence qui ont accompagné la gestion des villes conquises par le Front National dans les années 1990, en arguant que le ménage a été fait.
La règle est de ne pas tenir un discours trop radical et de paraître politiquement correct, jusqu’à trahir les valeurs familiales et religieuses du Front National en n’appelant pas à manifester contre le mariage pour tous, qui est aussi un geste de bonne volonté à l’égard du parti néerlandais PVV, le Parti pour la liberté de Geert Wilders, qui combat l’émigration mais défend le droit des homosexuels.

Un populisme à la néerlandaise.

Pendant l’occupation allemande, les Pays Bas sont dirigés par Arthur Seyss-Inquart, gouverneur autrichien, qui ne parviendra jamais à convaincre la majorité des néerlandais humanistes de se rallier aux thèses nazies.
Alors pourquoi aux Pays Bas, pays prospère, qui a connu une résistance exemplaire au nazisme, le populisme peut-il si bien réussir ?
Comme partout en Europe, la peur de la perte d’identité serait une raison du vote populiste.
Geert Wilders qui vient de la droite libérale, et se déclare favorable à la liberté d’expression, à l’homosexualité et à l’avortement, a récolté 16 % aux législatives de 2010.

Geert Wilders
Geert Wilders

Sa seule motivation, après la critique de l’Europe, est la haine de l’islam, sans qu’il précise s’il s’agit uniquement de celui radical, hégémoniste, prosélyte, voire terroriste.
Il considère l’islam comme une idéologie totalitaire plus qu’une religion, à l’inverse des autres religions, et compare le Coran à Mein Kampf.
On pourrait aisément le rejoindre dans sa crainte de l’islamisation pratiquée par des mouvances qui, soit dit en passant, cultive le même terreau de la crise économique et sociale.
Mais là où le bât blesse, c’est qu’au Pays Bas une large majorité d’émigrés s’est fondue dans  le creuset néerlandais et compte nombre d’hommes d’affaires, de professeurs et d’élus.
Le PVV tient à ses chiffres non discutables et se défile face au débat d’idées, refusant toute confrontation qui ne lui donnerait pas raison
Mais ne nous y trompons pas, comme pour les autres, ce qui anime Wilders, c’est sa soif de pouvoir.

Un populisme à la hongroise.

 Depuis 2010, Viktor Orban, un populiste est Premier ministre en Hongrie.

Viktor Orban
Viktor Orban

Son parti conservateur, le Fidesz, a obtenu 44,50 % des suffrages aux élections législatives de dimanche dernier.
Viktor Orban, démocrate dans les années 80, ancien étudiant à Oxford, et jeune premier ministre de centre droit pro européen en 1998, est arrivé au pouvoir en 2010 avec une toute autre conception.
Après avoir fait installer au parlement la sainte couronne de l’empire austro-hongrois, il fait apparaître la religion catholique dans la constitution, traite les sans abris de criminels, dénonce la bureaucratie et la ploutocratie européennes, les partis d’opposition, les multinationales, les « ennemis de l’intérieur » qui voudraient réduire la Hongrie en esclavage.
Il doit son succès à la crise, car un tiers des hongrois vit dans la pauvreté, et au désenchantement depuis l’entrée du pays dans l’union européenne.Mais la Hongrie reste marquée par sa collaboration active avec le nazisme, au travers des sinistres Croix Fléchées qui participèrent activement à l’assassinat des juifs hongrois, et une liste de juifs hongrois aurait été dressée par le Fidesz à toutes fins utiles…
Viktor Orban menace d’expulser les entreprises européennes soupçonnées de spolier les hongrois, mais inaugure une usine avec l’ambassadeur et des entrepreneurs chinois.
Entre dictateurs on se comprend.Il prétend avoir sauvé son pays de la faillite en lui imposant de dures mesures d’austérité.Il défend l’insuffisance des institutions et le manque de pouvoir personnel.Il a entrepris de modifier la constitution pour mettre sous tutelle la justice et la cour constitutionnelle, et de limiter la liberté d’expression.
Il a même fait voter une loi qui restreint la campagne électorale de l’opposition.
Opposition sous pression qui préfère se taire, à de rares exceptions près, comme ce jeune député politologue de métier, Gergely Karacsony, qui dit que la Hongrie est entre démocratie et dictature, une démocratie dirigée.
Viktor Orban a fait supprimer le drapeau européen du parlement pour le remplacer par le drapeau de Transylvanie, petit territoire roumain qui appartenait à la Hongrie il y a un siècle, et compte une importante minorité hongroise qu’Hitler avait rendue à son allié hongrois.
Il a attribué la nationalité hongroise aux minorités hongroises de Roumanie et des pays limitrophes.Pour lutter contre le chômage et la pauvreté, il contraint tous les chômeurs à travailler et s’ils refusent, ils perdent leurs maigres allocations pendant 5 ans.
Les mairies régentent ce « travail obligatoire » de 8 heures par jour pour 6 fois moins cher que le salaire moyen.
Les principaux touchés sont les roms qui ont perdu leur travail suite au post communisme, qui représentent de 5 à 8 % de la population, parce qu’il faut montrer qu’on les met au travail.
Viktor Orban, anti-européen, continue cependant de bénéficier des aides européennes et il a du venir se justifier de ses mesures liberticides devant le parlement de Strasbourg en juillet 2013.
Mais c’est ce qu’un de ses élus s’amuse à appeler la danse du paon.
Lâcher sur 3 des 5 directives européennes, en gardant les 2 auxquelles on tient, comme la récente loi de détention préventive illimitée sans jugement pour les suspects de crime.

Un populisme islamiste

Mais, même s’il s’approche des deux tiers des sièges à l’Assemblée, le Fidesz perd des voix au profit du parti d’extrême droite Jobbik, dont le leader Gabor Vona se réjouit d’avoir obtenu un score de 20,50 %, lui attribuant 23 sièges.

Gabor Vona
Gabor Vona

Gabor Vona est le fondateur du parti Jobbik qui présente la singularité de militer pour un touranisme, idéologie proturque qui attribue des origines asiatiques au peuple magyar, et qui fut défendu par Ferenc Szalasi, le leader des Croix Fléchées nazies.
Gabor Vona affirme que « l’islam est le dernier espoir de l’humanité dans les ténèbres du globalisme et du libéralisme »
En visite en Turquie, il a déclaré être venu rencontrer ses frères et sœurs turcs.

Il a révélé avoir beaucoup d’amis musulmans, et que l’un de ses témoins de mariage était palestinien.

Le populisme, une extrême droite déguisée.

 Il progresse partout, et Viktor Orban n’est que son premier leader à se retrouver au pouvoir.
Sous prétexte que les partis extrêmes participent à des élections démocratiques, les autres partis politiques sont désarmés face à leur progression.
Mais si les droites extrêmes s’allient pour représenter un groupe parlementaire aux élections européennes et obtiennent 25 sièges de 7 pays différents, ils recevront des centaines de milliers d’euros, et des moyens accrus pour faire entendre leurs voix.
« Il n’y a pas de mal à prendre des mains du diable pour les bonnes œuvres du bon dieu » déclare avec cynisme le député européen britannique Nigel Farage, qui vise à désintégrer l’Union Européenne et se réjouit d’en percevoir 2 ½ millions d’euros.
« Les despotes eux-mêmes ne nient pas que la liberté ne soit excellente ; seulement ils ne la veulent que pour eux-mêmes, et ils soutiennent que tous les autres en sont indignes tout à fait » disait Alexis de Tocqueville.
Pascale Davidovicz
 

Suivez-nous et partagez

RSS
Twitter
Visit Us
Follow Me

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*