Philippe Gabizon – Nous marchons ou nous marcherons contre l’antisémitisme ?

Yaël Braun-Pivet et Gérard Larcher. © Ludovic MARIN / POOL / AFP

Devons-nous perdre nos illusions ?

Qu’est-ce qu’une désillusion ? C’est la fin d’une illusion, la fin de ce qui, jusqu’à lors, n’était précisément pas encore considéré comme une illusion. C’est la fin de ce qui avait été imaginé comme possible, comme envisageable, une modalité de l’avenir. C’est un échec. Perdre ses illusions, c’est à la fois, sans doute, vieillir, mais aussi se résoudre à un état de fait, au constat de l’impossibilité de l’évolution de la situation, et par là même, admettre notre impuissance à modifier l’enchaînement et le cours des choses. Perdre ses illusions acte, d’une certaine façon, notre perte de liberté. Un impuissant, dans tous les sens du terme, c’est quelqu’un qui ne tient pas ses promesses.

A propos de l’antisémitisme, Emmanuel Macron s’est exprimé mercredi 8 novembre 2023 en ces termes: “Nous serons impitoyables face aux porteurs de haine”.

Je voudrais parler de l’usage du futur, du temps des verbes au futur dans les phrases prononcées en particulier par une autorité, réelle ou supposée telle. L’emploi du futur dans une phrase dans la bouche d’un responsable politique est le temps de la promesse. Il y a quelque chose de paradoxal, quand une catastrophe survient, à employer toujours le temps du futur, pour affirmer, grâce à lui, grâce à cette modalité de la présence à venir, que la catastrophe ne surviendra plus. “Nous serons impitoyables” face à l’antisémitisme présuppose – et nous sommes sommés de l’admettre a minima inconsciemment –, par l’emploi du futur, que dans le présent il y a du manquant, que la réponse à l’antisémitisme n’est pas à la hauteur, que nous ne sommes pas impitoyables, que nous sommes pitoyables. L’usage du futur rassure car il veut ancrer dans le présent la modification à venir. Il promet une puissance mais il reconnaît, dans le même temps, qu’elle fait défaut aujourd’hui.

Que se passe-t-il quand, pendant vingt ans, trente ans, le temps d’une vie humaine, nous avons entendu des futurs qui ne se sont pas réalisés ? Nous ne croyons plus ceux qui utilisent, régulièrement les mêmes, le futur, voire nous ne croyons plus au futur. Quand la promesse que l’usage du futur exprimait – non le conditionnel mais le temps du futur comme assurance, comme garantie, comme engagement qu’il implique – n’est pas tenue, nous ne pouvons qu’acter l’impuissance de celui qui a usé et abusé du futur.

Les Juifs ne réclament plus de futur mais un présent. C’est pour cela qu’ils sont retournés en Israël, pour ne pas dépendre de l’usage de futurs employés par d’autres qu’eux. Pour reprendre en main leur survie et leur vie. Mon ami Yonathan, qui vit à Ramat Gan, me disait récemment : “Ici au moins, on a la sensation d’être un peu plus maîtres de notre destin”. C’est la question de la puissance. Les Israéliens ne disent pas “nous serons impitoyables avec l’antisémitisme”. Ils se battent au présent. Ils ne font pas de futur. Ils ont un présent qu’ils habitent, tant bien que mal, en proximité immédiate avec leurs ennemis. Ils les identifient et ils leur font la guerre puisque leurs ennemis la leur ont déclarée. Pas de tergiversation.

Ici en France nous ne voulons pas de guerre, encore moins de guerre de civilisation. En Israël non plus, personne ne veut la guerre. Le peuple juif est le peuple du Shalom. Mais les Juifs ont perdu leurs illusions. Ils savent qu’on leur a déclaré une guerre de civilisation qu’ils n’ont pas choisie. Et ils acceptent d’y entrer. Frantz Fanon écrit : “Quand vous entendez dire du mal des Juifs, dressez l’oreille, on parle de vous”. Ici on a l’impression qu’on ne parle pas de nous. On garde nos illusions. On utilise le futur car il est encore permis, dans le présent, d’élaborer d’autres hypothèses que la volonté réelle de nous annuler, de nous annihiler. Ou plutôt on croit qu’il est encore permis. La guerre de civilisation est là, nous ne l’avons pas choisie, elle nous est imposée. Et nous faisons tout pour ne pas la voir.

Peut-être qu’en fait il n’est plus permis, que c’est quasiment fini, que le point de non-retour a déjà été dépassé. Peut-être que les violents ont déjà gagné. Ce n’est pas encore monté au cerveau tant cela fait peur, tant la conscience résiste, tant nous sommes persuadés d’être encore à l’abri : “Après tout, il s’agit d’une minorité, dans mon quotidien je ne me sens pas plus menacé que ça, je ne suis pas atteint dans ma chair”. Sauf qu’un matin, un prochain matin d’octobre ou d’un autre mois, peu importe, nous nous réveillerons et le réel aura encore frappé à la porte : il y a eu un nouvel attentat, un nouvel enseignant décapité, des Juifs, des journalistes, des quidams insouciants abattus comme des chiens, et cela se sera passé, ce sera du passé, ce sera le temps du passé, toujours pas dépassé. Alors nous utiliserons encore le futur pour dire “Plus jamais ça, cela n’arrivera plus”. L’optimisme et le pessimisme sont deux illusions de la raison qui font un pari sur l’avenir. Le réalisme est le temps du présent.

Ce qui nous dispense du futur comme promesse – qui n’engage, on le sait bien, que ceux qui l’écoutent–, ce sont les actes. Les changements rendus présents, visibles, perceptibles, ressentis. Pensez-vous que la sécurisation des établissements scolaires français a fondamentalement changé depuis Samuel Paty ? Que des portiques ont été installés, que des vigiles ont été positionnés ? Et depuis Dominique Bernard, avez-vous vu le réhaussement des grilles d’enceinte des collèges et des lycées ? Pensez-vous que les Juifs français sont actuellement mieux protégés qu’hier ? Nous sommes-nous armés, intellectuellement et moralement ? Avons-nous dessillé le regard ? Sommes-nous devenus puissants en renonçant au futur et en agissant ? En allant traquer tous ceux qui nous menacent ? En expulsant tout étranger fiché pour radicalisation ? Avons-nous interdit les Frères Musulmans en France, avons-nous interdit l’idéologie salafiste et ses représentants ? Rien de tout cela : nous préférons nous demander si le RN peut rejoindre la marche contre l’antisémitisme dimanche.

L’histoire ne se fait pas avec et par les majorités. Elle se fait toujours par les minorités agissantes car les majorités sont, par essence, silencieuses, attentistes et paresseuses. Se taire face à l’antisémitisme, face au pogrom du 7 octobre, face à l’ignoble équivalence entre l’homicide et la torture volontaires de milliers de civils d’une part et l’homicide involontaire de milliers d’autres civils d’autre part, signe notre impuissance. L’équivalence des victimes ne signifie pas l’équivalence des coupables. Tiendrons-nous encore longtemps, nous qui avons besoin de présent pour mettre fin à des futurs hypothétiques, nous qui avons besoin de vivre debout ?

A toi l’homme de gauche, qui ouvres ton cœur à l’altérité, toi qui gardes une âme et des espérances d’enfant, toi qui crois en l’éducabilité de tous, toi qui crois à la force des mots, à leur pouvoir de persuasion, à leur pouvoir éthique, toi qui crois à la capacité de tous de changer, de faire évoluer des points de vue, accepte le réel et admets parfois ton impuissance : tu n’arriveras pas à modifier certains comportements, à éradiquer l’antisémitisme par l’éducation, par les mots – je te rappelle que la plupart des officiers des Einsatzgruppen étaient docteurs de l’université –, tu n’arriveras pas à créer la fraternité universelle à laquelle tu aspires uniquement par ton empathie, par ta capacité à te mettre à la place des autres. Tu seras parfois abusé, on se servira de toi. L’idée que l’éducation nous préserve de la barbarie, cette belle et vieille idée des Lumières, est une demi-vérité. On peut lutter contre l’antisémitisme par l’éducation, il faut tout faire pour cela, mais il faut aussi lutter par la loi et par la force. Le régime totalitaire qui nous fait face, et qui étend toujours plus son empire dans l’univers mental occidental, n’a que faire de nos discours. Il ne comprend que la force et les rapports de force. Il nous faut être puissants, il faut que nos promesses soient tenues, qu’on parle au présent. Malheureusement. Car nous Juifs détestons la force, l’usage de la violence, la mort de gens. Nous aimons la vie, nous la sacralisons. Notre fardeau, pour notre survie, est d’accepter désormais d’être forts, plus forts que nos ennemis.

Parce que la gauche nous désarme moralement et intellectuellement, je ne peux plus être de gauche. Cette gauche qui croit, paradoxalement, dans le capital comme solution au terrorisme. Elle croit qu’en élevant le niveau de vie des Palestiniens, des minorités qui se disent opprimées et qui, au nom de cela, usent de la violence, il n’y aura plus de terrorisme. La pauvreté n’engendre pas nécessairement la violence et la richesse, y compris culturelle, ne prévient pas nécessairement la barbarie.

Marchons-nous ou marcherons-nous contre l’antisémitisme dimanche 12 novembre 2023 ?

Ce n’est plus le temps du futur, le temps des promesses.

© Philippe Gabizon

Philippe Gabizon est écrivain.

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1 Comment

  1. Marchez jusqu au bureau de l agence juive , remplissez votre dossier , puis marchez de nouveau jusqu a l aeroport …… vous aurez ainsi parcouru 2000 ans , au lieu de perdre votre temps sur le pavé parisien avec n importe qui , pour dire n importe quoi.

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