Jean Szlamowicz et Pierre-André Taguieff : “Israël est une nation agressée depuis son origine par des pays qui veulent sa destruction et l’annihilation de la souveraineté juive”

Tribune

Pierre-André Taguieff, Sociologue et politologue, et Jean Szlamowicz, Linguiste

Dans une tribune au “Monde”, les deux universitaires s’indignent de l’argumentation selon laquelle la politique conduite par Israël serait la cause de l’agression commise par le Hamas le 7 octobre, car, disent-ils, “cette accusation est la même, sempiternellement, quel que soit le gouvernement”.

Après les massacres sadiques perpétrés par le Hamas en Israël le 7 octobre, les discours se sont mis à nouveau en place pour fustiger la victime et la transformer en bourreau. La compassion n’aura pas duré longtemps.

Pourtant, le fanatisme sauvage qui a animé les assassins du Hamas est un cataclysme qui aurait dû ébranler les antisionistes routiniers. Quand on torture les parents devant leurs enfants avant de les brûler vifs et qu’on massacre des nourrissons, on n’est plus dans le champ politique. Oser travestir cela en résistance légitime révèle une abjection particulière de l’idéologie antisioniste et met au jour son vrai visage.

Depuis le reproche théologique faisant d’eux les meurtriers de Jésus jusqu’au diagnostic de tare raciale, en passant par l’accusation de meurtre rituel et d’empoisonnement des puits, les juifs sont la cible persistante d’une diffamation ontologique. Tel est le lot éternel des juifs : on trouve toujours de bonnes raisons de s’en prendre à eux. Cet inextinguible appétit d’animosité judéophobe s’incarne aujourd’hui dans une désapprobation politique principielle qui voue Israël au dénigrement. Le socle de l’accusation envers Israël tient en vérité à peu de choses, si ce n’est à son rabâchement qui a fini par en diaboliser la seule évocation.

La “solution à deux États” déjà réalisée

Or, Israël n’est pas un “État d’apartheid” : c’est une nation parmi les plus multiculturelles qui existent, et où des partis pro-arabes peuvent siéger au Parlement.

Israël n’est pas “colonial” ou “impérialiste” : c’est un confetti territorial grand comme deux fois l’Ile-de-France, cerné par des puissances hostiles qui veulent sa disparition. Le foyer national juif promis en 1917 (déclaration Balfour) et par la SDN en 1920 (traité de San Remo) avait une étendue bien plus importante. La Grande-Bretagne a profité de son mandat pour en retrancher une partie et créer la Jordanie : la “solution à deux États” a donc déjà été réalisée et le camp islamique ne présente jamais la Jordanie comme un “occupant”.

D’ailleurs, la Cisjordanie/Judée-Samarie, occupée par la Jordanie (1948-1967), n’était pas non plus l’objet d’une revendication nationale “palestinienne”. Quand Gaza était aux mains de l’Égypte (1948-1967), on ne l’accusait pas non plus d’occupation et d’expansionnisme : ces accusations ne valent que pour la présence juive.

Israël est une nation agressée depuis son origine – en 1948, 1967, 1973 – par des pays qui veulent sa destruction et l’annihilation de la souveraineté juive. Le 7 octobre nous a montré la réalité sanglante de ce projet, animé par une haine radicale, dénué de contenu politique, sans la moindre ambition positive pour les populations arabes. On peut imaginer ce qui se passerait en cas de défaite militaire d’Israël à l’échelle nationale.

Hypocrisie

Ce n’est pas la politique d’Israël qui serait la cause de son agression, car cette accusation est la même, sempiternellement, quel que soit le gouvernement. Des pogroms ont toujours eu lieu dans le monde arabo-musulman (notamment à Hébron, en 1929) et leur travestissement en cause politique n’est qu’une hypocrisie. Parler de résistance ou de liberté pour présenter le camp arabo-musulman comme victime d’une injustice est un déni de la réalité idéologique et culturelle.

Yasser Arafat (1929-2004) lui-même, par exemple lors de son discours à la mosquée de Johannesburg en mai 1994, prenait soin de rappeler que les négociations de paix avec Israël étaient de même nature que le traité d’Houdaybiy a conclu, en 628, par Mahomet avec les autorités mecquoises [ces dernières, hostiles à la prédication de Mahomet, autorisaient le prophète de l’islam et ses fidèles à se rendre en pèlerinage à La Mecque] : une stratégie pour assoupir l’ennemi et l’attaquer au moment opportun. Comment concevoir la paix avec un tel ennemi ?

Le complotisme faisant d’Israël le responsable de son agression est une théorie à rapprocher de la thèse négationniste de Mahmoud Abbas, soutenue à l’université de Moscou, qui, tout en atténuant l’importance de la Shoah, en attribuait la responsabilité aux juifs.

Le discours antisioniste accuse Israël d’être un État sécuritaire mais exonère les assassins massacrant des enfants : cette dynamique d’atténuation des crimes arabes et d’exagération des manquements israéliens aboutit à un renversement total.

Le “oui, mais”

A Harvard ou à Cornell [universités américaines], on s’en prend physiquement aux juifs. En France, on marque les maisons des juifs. Dans le métro parisien, on y chante “Nique les juifs” sans que personne se lève pour intervenir. Quand il y a une manifestation, ce n’est pas pour soutenir les juifs massacrés par le Hamas, c’est pour appeler à étendre la lutte contre les juifs.

Comme pour Charlie Hebdo ou Samuel Paty, on parvient, in fine, à trouver que l’islamophobie est la responsable de ces crimes. Si on condamne donc les exactions djihadistes, c’est pour les justifier dans la foulée : le “oui, mais” ne sert plus à construire des nuances, mais à dissimuler lâchement une apologie du terrorisme.

Ce sont ces faux-fuyants et cette mauvaise foi qu’il faut désormais démasquer. Car nous sommes tous responsables de laisser s’étendre la contagion des discours trouvant sans cesse des détours et des atermoiements pour excuser l’hostilité islamiste. Sans un sursaut moral, l’animosité s’incarnera dans des passages à l’acte qui deviendront collectifs et se déchaîneront ici, en France, sur les juifs et sur les autres – et même sur les tièdes qui auront permis que prolifèrent le mensonge, l’indifférence et la haine.

Jean Szlamowicz et Pierre-André Taguieff


Jean Szlamowicz, linguiste et traducteur, professeur des universités, auteur de “Les Moutons de la pensée. Nouveaux conformismes idéologiques” (Cerf, 2022) ; Pierre-André Taguieff, philosophe, historien des idées, directeur de recherche honoraire au CNRS, auteur de “Le Nouvel Age de la bêtise” (Editions de l’Observatoire, 2023), “Qui est l’extrémiste ?” (Intervalles, 2022) et de “Sortir de l’antisémitisme ?” (Odile Jacob, 2022).


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2 Comments

  1. Ce bilan, ces arguments sont justes. Cependant l’Histoire des Peuples démontre que les Causes le plus Nobles soient elles sont toujours vaincues par la force du nombre et du glaive. N’y a t il pas un moment où il faudra que le Peuple de la Bible admette cela et “se mette à niveau”… ?

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