L’islam(iste) otage du Juif

7 octobre 2023. Shabbat, Sim’hat Torah.

Le Hamas assassine près de 1500 personnes en terre d’Israël, ne les assassine pas simplement. Il mutile les corps, les dégrade, commet des actes de barbarie. Il retient encore plus de 220 otages. Il n’y avait pas eu contre les Juifs, depuis la Shoah, une telle conjonction d’organisation, de planification et de barbarie. Qu’il y ait eu, depuis la Shoah, une volonté génocidaire et antisémite mise en œuvre, de temps à autre, en particulier au Proche-Orient, est incontestable. Toutefois, elle intervenait dans un contexte d'”opportunité” et non de consciencieuse préparation. Pourquoi s’en sont-ils pris à des enfants, des femmes, des femmes enceintes, des personnes âgées ? Quel lien avec le combat pour la Palestine, en faveur de la création d’un état palestinien ? Quel lien avec l’arrêt de la colonisation ?

C’est le Juif qu’ils cherchent, comme des bêtes sauvages en quête de proies. Ils ont besoin du Juif

C’est le Juif qu’ils cherchent, qu’ils veulent, comme des monstres assoiffés de sang, des bêtes sauvages en quête de proies. Ils ont besoin du Juif. Le Juif pour ce qu’il a de Juif, pour ce qu’il a de plus. Ici, un apparent syllogisme nous laisserait croire que ce que le Juif a de plus est “la terre” : le Hamas est une organisation terroriste réclamant la terre de Palestine, le Juif a la terre de Palestine, donc le Hamas fait la guerre aux Juifs pour prendre la terre de Palestine.

Mais le 7 octobre 2023, où était le dessein politique, le but objectif ? Sont-ils entrés à Sdérot, dans les kibboutzim, à la rave-party, pour prendre le contrôle du territoire ? Rien de tout cela. Il n’y a pas de raisons rationnelles à leurs actes. Il y a peut-être une causalité d’un autre ordre.

Ils ne s’en sont pas pris à des Israéliens d’extrême-droite, ceux qui rêvent en secret ou pas de conquérir tout Israël, la Judée-Samarie, Gaza, pour activer la Terre promise biblique.

Ils ne s’en sont pas pris à des millénaristes, à des Juifs messianiques qui, au nom de leur foi, sont prêts à brutaliser les autres.

Ils s’en sont pris à des Juifs de gauche, des Juifs laïques, des Juifs qui considèrent que l’arabe du coin est plus proche d’eux que l’occidental individualiste et matérialiste.

Ils s’en sont pris à ceux qui veulent la paix, à ceux qui leur tendent l’autre joue pour y recevoir une caresse, à ceux qui tendent des mains, à ceux qui dressent des ponts, qui écoutent de la techno une nuit de fête religieuse.

Comme le Bataclan, comme les terrasses, et comme l’Hypercacher, tout cela combiné. 

Comme si, au fond, ceux qu’ils détestent le plus, ce sont ces laïques.

Comme si, au fond, ceux qu’ils respectent le plus, ce sont les Juifs orthodoxes, ces Haredim en noir. Ils les auraient tués eux aussi s’ils avaient été là, bien-sûr, mais tout de même, le message paraît frappé de cette étrangeté : “Nous tuons les athées de votre peuple, ceux qui ont renoncé à votre religion, ceux avec qui nous travaillons les champs, nous avons besoin que votre peuple croie, qu’il devienne religieux, car nous existons grâce à eux. Faites tous Techouva. Notre existence, nous Hamas, nous islamistes, nous interprètes littéraux du Texte, n’a de valeur que parce qu’elle s’origine dans un combat contre ceux qui veulent la guerre contre nous, contre les plus religieux d’entre vous, les Juifs messianiques. Nous avons besoin de vous. Nous dépendons de vous, nous dépendons de vos croyances. Vous avez quelque chose que nous n’avons pas, que nous aimerions avoir, que nous ne pouvons pas avoir et que nous ne pourrons pas avoir. C’est injuste.

L’avoir est impossible mais renoncer à se battre et mourir pour l’avoir est tout aussi impossible. Qu’est-ce que vous avez de plus ? Un rapport au sacré, quelque chose qui vous fait tenir alors que vous ne devriez pas tenir, une berakha, une bénédiction, dont on doute que vous l’ayez, mais peut-être que vous l’avez vraiment, alors dans le doute soit vous avouez que vous ne l’avez pas (mais on ne vous croira pas), soit on veut la même chose que vous, même si on ne peut pas l’avoir. On vous prévient, on va chercher partout à la récupérer, cette chose : dans vos maisons, dans vos chambres à coucher, dans vos cuisines, dans vos mamad, dans les ventres de vos femmes enceintes, dans les viscères de vos vieillards, dans les crânes de vos adolescents.”

Pourquoi prendre des otages ? Quel est l’intérêt de prendre des otages ? Qu’est-ce qui est visé ? En 2005, Ariel Sharon, au prix d’une discorde politique intense avec son propre camp, accepte de laisser le GoushKatif, la bande de Gaza, aux Palestiniens, avec un motif : la terre contre la paix. Un pari somme toute rationnel, intelligible et rassurant pour la communauté internationale qui a pu, enfin a-t-elle pensé, lire les cartes de la stratégie israélienne. Ils se sont sûrement dit, entre eux, ces diplomates de l’ONU : “Ah enfin, Israël abandonne ses passions au profit d’une politique réaliste !”

Les Palestiniens ont eu la terre et nous n’avons toujours pas la paix

Les Palestiniens ont eu la terre et nous n’avons toujours pas la paix. Nous avons pire que la guerre, nous avons l’atteinte à la dignité de l’être humain, l’atteinte à l’unité divine. Il y a une interprétation psychanalytique des otages. Le Hamas a capturé a minima 222 Israéliens, même pas forcément Israéliens, 222 Juifs, c’est plutôt cela qu’il faut dire. Des femmes, des enfants, des hommes, des vieillards. En outre mis en scène dans d’horribles vidéos diffusées sur les réseaux sociaux, y compris de façon sadique sur les réseaux personnels des otages, à destination de leurs familles et amis.

Le Hamas reprochait à Israël d’être présent dans la bande de Gaza, il reprochait aux Juifs d’être présents dans la bande de Gaza. Ariel Sharon, comme dit précédemment – c’est important d’insister – décide, avec un courage politique qui a déconcerté même ses plus proches amis, de quitter la bande de Gaza, de la donner aux Palestiniens, en échange de la paix. Pourquoi donc le Hamas décide-t-il de ramener, de force, 222 Juifs dans le lieu même au sein duquel il leur était reproché de vivre ?

Le Hamas ramène de force des Juifs là où le Hamas leur reprochait de se trouver. C’est le lieu de fondation du Hamas. Le Hamas ramène des Juifs au moment et à l’endroit où s’origine la légitimité, le sens, la cause finale du Hamas. Le Hamas veut rejouer la scène où des Juifs occupent une terre qu’ils ne doivent pas occuper.

C’est rejouer la scène de la naissance, ou plutôt de la conception : les Juifs ont engendré le Hamas

Mais pourquoi donc ? Pourquoi veulent-ils mettre des Juifs à l’endroit précis où les Juifs ne doivent pas être mis,selon le Hamas ? C’est étrange. C’est comme s’ils forçaient le destin pour que les Juifs reviennent à l’endroit du reproche qu’on pouvait leur faire : ils occupent une terre qui n’est pas à eux. On les ramène, de force, occuper la terre qu’ils ne doivent pas occuper. C’est rejouer la scène de la naissance, ou plutôt de la conception : les Juifs ont engendré le Hamas. 

Prendre 222 Juifs en otage dans la bande de Gaza est un acte particulièrement ambigu : c’est se rappeler que 1) non, ils ne doivent pas être là, cette terre est à nous les Palestiniens, 2) c’est parce qu’ils ont été là, parce qu’ils sont de nouveau là, que nous, le Hamas, nous sommes fondés à exister, que nous nous légitimons, que nous trouvons de la force, que nous trouvons une existence. La boucle est bouclée, le cercle fermé : il fautles ramener dans la bande de Gaza pour exister.

Le Hamas a besoin des Juifs. Son sort, son fondement dépend d’eux

Quand mon existence dépend d’un autre, cela s’appelle l’aliénation. Le Hamas a besoin des Juifs. Le Hamas prend les Juifs pour se reprendre. Le Hamas prend les Juifs en otage pour déjouer la réalité : c’est le Hamas qui est l’otage des Juifs. Son sort, son fondement dépend d’eux.

Prendre des Juifs pour tenter de s’en déprendre : “tel est pris qui croyait prendre”. Mais c’est les replacer dans le lieu qu’ils ont quitté dans une condition différente de celle dans laquelle ils l’ont quitté. Ils les ramènent à Gaza pour leur faire du mal, en leur faisant du mal : ils sont otages. Ils les dégradent physiquement et psychiquement.

J’utilise le mot “dégrader” comme un euphémisme délicat. Le réel est tout autre. C’est pour comprendre. Il faut les ramener de force à Gaza, le lieu qu’ils n’auraient jamais dû occuper comme le lieu qu’ils n’auraient jamais dû quitter : on les remet à Gaza, on utilise la métaphysique juive, “ce lieu est à nous les Juifs, il nous appartenait du temps biblique”, en la pervertissant, “ah ce lieu est à vous les Juifs, vous allez voir comme il est à vous, vous allez voir comment vous allez vous y sentir mal, vous allez voir comment ce lieu ne vous accueille pas favorablement, vous ne pouvez être présents ici que sur un mode ‘dégradé'”.

Ambiguïté de l’antisémitisme : haine et fascination, rejet et besoin des Juifs

Ils auraient pu tuer des Israéliens puis rentrer chez eux à Gaza. Attentat classique. Pourquoi avoir pris des otages ? Pour leur montrer leur haine et leur fascination : “C’est parce que vous étiez là que nous sommes nés, le Hamas – l’islam ? – et puisque maintenant vous êtes là (grâce à nous, car on vous a pris en otage), nous renaissons et nous vous faisons mal, nous vous barrons comme il y a écrit dans notre Livre, notre Livre a raison.” Ambiguïté de l’antisémitisme : haine et fascination, rejet et besoin des Juifs.

C’est cela l’antisémitisme : une chaîne de croyances en la dépendance à l’égard des Juifs.

Le racisme est ce délire qui consiste à penser que l’on peut se passer de l’autre, qu’il n’est pas important, qu’il m’indiffère totalement, que son existence n’a rien à voir avec moi. L’antisémitisme est ce délire qui consiste à penser que l’on ne peut pas se passer de l’autre, qu’il est trop important, qu’il me concerne totalement, que j’en suis dépendant, que je ne peux m’en déprendre. Quand une identité se construit sur la croyance en la dépendance à l’égard des Juifs, elle devient nécessairement antisémite. Si l’alternative devait un jour se poser en ces termes dans nos vies, has veshalom, il ne faut jamais préférer l’identité à la liberté.

© Philippe Gabizon

Philippe Gabizon est écrivain

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