Guylain David Sitbon. Regards d’enfants sur la Guerre d’Algérie

Un livre “qui frappe” ? Est-ce que ça existe ? aurait demandé le Petit Prince. Le livre de Daphna Poznanski-Benhamou est à l’origine de ce questionnement et de bien d’autres. Né de la guerre et la violence, rempli de terreurs et de douleurs secrètes, ce livre porte le témoignage d’enfants qui ont vécu cette période et ont gardé la marque indélébile de l’incompréhensible silence de parents sidérés et qui ne le savaient pas et les ont laissés seuls se débrouiller devant la violence insoutenable qui déchirait leur quotidien. Et pourtant ce livre est en réalité une “arme de construction massive” pour détourner l’expression que nous connaissons depuis la guerre d’Irak en 2003.

Le témoignage de Daphna Poznanski-Benhamou sur huit ans de conflit, huit ans de non-dits, pour une enfant qui a vite tout compris

Divisé en deux parties égales en pages, mais aussi en importance, la première partie du livre comprend le témoignage de Daphna Poznanski-Benhamou sur huit ans de conflit, huit ans de non-dits, pour une enfant qui a vite tout compris. La guerre est un “accélérateur de l’histoire“, c’est aussi un accélérateur de maturité. 

Et Daphna, qui a réécrit chaque année ce livre pendant vingt ans, choisit des mots ciselés à la pointe fine, donnant à ses pages l’allure d’une poésie en prose ou d’une prose poétique. 

En réalité, c’est d’autre chose qu’il s’agit. La forme littéraire choisie par Daphna, ou qui s’est imposée à elle, traduit un vécu tragique, irrationnel, incompréhensible aux yeux d’une enfant et les mots deviennent des armes en même temps que des murs protecteurs. 

Un livre aujourd’hui devenu Témoignage et en même temps Essai

Est-ce vraiment un paradoxe ? Il me faut ici révéler un secret : la dernière version du manuscrit que j’ai eu l’occasion de lire -une fiction inspirée de faits réels- raconte l’histoire d’une petite meurtrière de dix ans qui prémédite son crime et, pire encore, brouille les cartes pour égarer l’inspecteur de police qu’elle connait puisqu’il est le père de sa meilleure amie, musulmane. Et c’est la forme nouvelle du livre aujourd’hui devenu témoignage et en même temps essai, qui permet de comprendre la version romancée car comment, sinon dans l’imagination, peut-on ressentir la nécessité impérieuse d’un exutoire aussi choquant qu’un crime perpétré par une enfant ?

L’écriture d’un roman est un art et le témoignage sa propédeutique. Le lien entre ces deux modes d’écriture, mais aussi certaines expressions employées par Daphna, la tonalité portée par la musique de ses mots, créent une atmosphère très particulière et peignent un tableau aux couleurs de la Méditerranée. 

Tipasa ici, Oran là…

Ma manière de lire et de me laisser porter par ce que j’appelle mon “attention flottante” évoquent pour moi les nouvelles de Albert Camus et tout particulièrement ce paragraphe d’une des plus belles : Noces à Tipasa: “Tipasa apparaît comme ces personnages, qu’on décrit pour signifier indirectement un point de vue sur le monde. Comme eux, elle témoigne, et virilement. (…) Il y a un temps pour vivre et un tempspour témoigner de vivre. Il y a aussi un temps pour créer, ce qui est moins naturel. Il me suffit de vivre de tout de mon corps et de témoigner de tout mon coeur. Vivre Tipasa, témoigner, et l’œuvre d’art viendraensuite. Il y a là une liberté”. Tipasa ici, Oran là.

Un livre qui touche à l’universel de la problématique du secret des familles et des traumatismes du “transgénérationnel”

24 témoignages constituent la deuxième partie du livre, courts, anonymes à la demande de leurs auteurs

Les 24 témoignages qui constituent la deuxième partie du livre, courts, anonymes à la demande de leurs auteurs, n’en sont pas moins importants. Eux aussi forgent une identité, portée au fer rouge de la peur, de la panique, des bruits des casseroles et des cadavres qui jonchent le sol et qu’il-ne-faut-pas-voir mais qu’on a vu quand même. Seulement voilà, la peur est jugulée par la résilience qui se met en place dans les âmes meurtries d’enfants pour les aider à vivre et à créer.

En ce sens, le livre de Daphna Poznanski-Benhamou ouvre un champ nouveau d’exploration pour ceux qui réfléchissent à ce que veut dire “traumatisme infantile” ou “syndrome post trauma” et aux modalités d’une éventuelle guérison. Issu du particulier de 25 enfants confrontés à la guerre, ce livre touche à l’universel de la problématique du secret des familles et des traumatismes du “transgénérationnel”.

Est-ce un hasard si ce livre qui raconte une histoire d’il y a soixante ans, ait été conçu et écrit en Israël, et pas ailleurs ?

© Guylain David Sitbon 

27 septembre2023

12 Tichri 5784

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 “Les enfants de la guerre d’Algérie”. Daphna Poznanski-Benhamou. Éditions Ramsay 

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