Blaise de Chabalier. Critique du documentaire “Simone et ses soeurs” sur France 5

Simone et ses soeurs : à la recherche du bonheur saccagé sur France 5

Simone
(au centre) et ses sœurs Milou
(à droite) et Denise, au temps de l’insouciancesur une plage niçoise avant-guerre. © Archive Famille Veil

CRITIQUE – En s’appuyant sur des lettres inédites, David Teboul retrace le destin de Simone Veil, de son enfance heureuse en famille jusqu’à l’horreur de la déportation. Simone et ses soeurs, un documentaire à ne pas manquer, ce dimanche à 23 heures 10 sur France 5.

Tout le bonheur du monde. La joie de vivre dans une famille unie et aimante installée à Nice. Cette félicité, Simone Jacob (qui se mariera en 1946 à Antoine Veil) l’a savourée avec ses parents, Yvonne et André, ses sœurs, Madeleine, surnommée Milou, et Denise. Sans oublier leur frère, Jean. Au fil d’extraits de lettres et de journaux intimes lus en voix off par des acteurs – notamment Isabelle Huppert et Mathieu Amalric – et d’images d’archives souvent inédites, le passé renaît. Le quotidien d’une famille juive, laïque, parfaitement intégrée à la société française, apparaît dans ce documentaire intitulé Simone et ses sœurs. Un passé d’abord paisible, donc, mais percuté par la barbarie nazie. Ce contraste, ce basculement du paradis à l’enfer jaillit de façon poignante dans ce film réalisé par David Teboul. Pour nourrir son propos, l’auteur s’appuie sur le livre éponyme qu’il publie aux Éditions Les Arènes le 13 octobre, le lendemain de la sortie du biopic qu’Olivier Dahan consacre à Simone Veil (Simone, le voyage du siècle).

Rebelle, Simone l’a toujours été

Les jours heureux sont décrits par les mots de Simone, lus posément par Céleste Brunnquell. En même temps, à l’écran, des clichés en noir et blanc montrent les quatre enfants en maillot de bain sur la plage de Nice. «Lorsque je repense à ces années heureuses de l’avant-guerre, j’éprouve une profonde nostalgie. Le bonheur est difficile à restituer en mots parce qu’il était fait de petits riens, de confidences entre nous, d’éclats de rire partagés, de moments à tout jamais perdus. C’est le parfum envolé de l’enfance, d’autant plus douloureux à évoquer que la suite fut terrible», exprime la petite dernière de la famille. On la voit vers l’âge de 5-6 ans avec une bouille ronde et un regard décidé, un brin bougon, qui ne la quittera jamais.

Rebelle, Simone l’a toujours été, comme le souligne sa sœur Denise. Cette dernière, engagée dans la résistance en octobre 1943, torturée par la Gestapo à Lyon et survivante de Ravensbrück, est décédée en 2013, quatre ans avant sa cadette. Elle s’exprime dans un extrait d’interview donnée dans les années 2000, en se remémorant l’instauration, le 2 juin 1941, du recensement obligatoire des Juifs en France. «Nous savions un peu ce qui se passait en Allemagne, mais sans le comprendre. (…) Simone l’avait presque senti, plus que le reste de la famille. Et quand nous avons dû nous faire tamponner “Juif” sur notre carte d’identité, Simone était tout à fait opposée à ce qu’on aille au commissariat de police. Et finalement nous l’avons fait.»

De l’autre côté de l’humain

Après le départ des Italiens en septembre 1943 et la prise de contrôle de Nice par les Allemands, tout bascule. Une lettre saisissante de Milou à Denise, devenue agent de liaison à Lyon du mouvement Franc-Tireur, est lue par Isabelle Huppert. «Ma Denise chérie, ce que tu me dis de toi m’attriste un peu. Ta vie n’est pas toujours drôle (…). Pour retrouver ces moments de pure joie (…), il faudra attendre que la guerre soit finie. Ce sera bon alors de rire tous ensemble.» Simone, âgée de 16 ans, écrit aussi à Denise et évoque son premier amour: «J’ai vu maman, je lui ai parlé d’Henri, et naturellement elle n’est pas du tout enchantée et regrette que je ne sois plus un petit bébé.»

Le 30 mars 1944, Simone, Milou, Jean et leur mère, Yvonne, sont arrêtés par la Gestapo. Le 7 avril, ils sont incarcérés à Drancy. Simone, Milou et leur maman montent dans le convoi 71 du 13 avril pour Auschwitz-Birkenau. Simone Veil, dans un entretien donné à la fin de sa vie, se souvient de l’arrivée au camp: «C’était la nuit, vers minuit: les projecteurs, les chiens qui aboient, les SS qui crient (…).» Yvonne mourra à Bergen-Belsen. Déportés en Lituanie, André et son fils, Jean, ne reviendront jamais. Milou survivra mais mourra dans un accident de voiture en 1952. Un destin que Simone résume ainsi: «Ce qui m’a le plus marqué, c’est d’être passé de l’autre côté de l’humain.» ■

© Blaise de Chabalier

À noter, la publication, le 19 octobre, d’un livre inédit de Simone Veil, Seul l’espoir apaise la douleur  (Flammarion-INA).

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Dates de Rediffusion sur Arte

Du 09.10.22 à 23h14  au 16.02.23. De 23h14 à 00h45

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2 Comments

  1. Destin tragique d’une famille entière… le père, le frère, la mère ne reviendront pas des camps. Restent trois soeurs dont la célèbre Simone. Documentaire exigeant mais qui vaut le coup, vraiment. Les voix des actrices sont magnifiques et la musique est belle, discrète et touchante pour accompagner ce long récit. Une réussite.

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