Kamel Daoud. Le voile est un féminicide

Kamel Daoud écrivain et journaliste algérien d’expression française.

Le voile tue. La démocratie, non. La mort de l’iranienne Mahsa Amini rappelle une fois de plus cette évidence.

Voici la réalité : une femme, Mahsa Amini, meurt à la suite de son arrestation par la police des mœurs parce qu’elle ne portait pas «correctement» le voile. Des manifestations éclatent, des femmes brûlent leur voile, coupent leurs cheveux pour rappeler au monde
leur tragédie, le courage, le coût de la liberté et le sens de cet uniforme totalitaire.

Cela suffit à tout dire et à tout démentir. Ce n’est pas un événement rare, d’ailleurs. Une femme harcelée, violentée, menacée, tuée ou excommuniée parce qu’elle refuse de porter le voile est chose banale dans le monde dit «musulman ». Une femme qui ose arracher ce linceul confessionnel, c’est encore pire que l’apostasie, c’est le choix de la pornographie, de la prostitution, de la désobéissance civile.
Il faut être femme dans ces territoires pour le vivre, en mourir et sourire de celles et ceux
qui, en Occident, prétendent que le voile est une liberté.

L’enthousiasme n’est pas l’état d’Ime d’un écrivain, et peut-être encore moins la colère,
mais l’auteur de ces lignes ne peut rester impartial. Parce que, vivant dans le « Sud confessionnel », il sait que ce morceau d’étoffe est une prison et une condamnation à mourir une vie entière, un enterrement vertical, le renoncement acclamé à son propre corps.
Il sait ce que cela coûte pour les femmes et combien elles le paient. Et écouter l’«engineering de l’islamisme » occidental présenter cela comme une liberté et un choix et rameuter les opinions et les médias pour geindre sur une présumée confiscation de droits
provoque la rage.

Il faut donc rappeler les évidences coûteuses: le voile n’est pas une liberté, mais sa fin. Le voile n’est pas un épi derme qui souffre d’un racisme adverse, mais un uniforme d’enrôlement. Le voile n’est pas le signe d’une identité communautaire, mais un renoncement à toute identité et communauté au bénéfice d’un refus de vivre ensemble, de partager, de s’ouvrir, de s’enrichir mutuellement. Le voile n’est pas une «origine », mais un effacement de soi, des siens, de ses généalogies au bénéfice d’un recrutement. Le voile n’est pas seulement un petit foulard, c’est surtout ainsi qu’il commence.
Le refuser, le combattre, n’est pas un acte néocolonial, l’ordre d’un colon.
Le dévoilement n’est pas une violence de colonisation reconduite, et l’accepter, c’est concéder le territoire et le corps de ses propres citoyens au bénéfice d’une autre loi.

Le voile a bénéficié de la «culpabilité» en Occident, de l’intelligence de l’islamiste occidental expert en droits, ONG et architectures associatives. Il a profité de l’histoire mal soldée des colonisations et recycle les procès en arnaques rusées, les dénis en séparatismes. Il a surtout recyclé le communautaire en confessionnel et le confessionnel en stratégie de conquête.

Le voile est un bout de territoire cédé, pas un bout de tissu choisi. Il prétextera la «vertu » pour recruter le malaise, il se présentera comme une «culture» pour entamer la déculturation. Il y a presque réussi: aujourd’hui, au sud du monde, une femme non voilée est une prostituée et, au nord, une femme non voilée est une traitre à sa culture, à ses ancêtres.
Et il s’en trouvera pour le défendre, naïfs ou fourbes, électoralistes ou populistes. Des
exilés ayant fui les islamistes d’Algérie défendent le voile et les islamistes en France parce que cela sied à la « colère» professionnelle, à l’identité que l’on pense défendre, à la lutte des classes ou au « décolonial» fantasmé, à la rancœur ou à l’aigreur, ou parce que cela fait «joli» dans le CV des convictions faciles, dites militantes.

Mais qu’on arrête une femme en Iran, qu’on la torture, qu’elle meure à cause de ce « tissu » qui n’est qu’une camisole et tout reprend sens, s’ordonne selon ces évidences à qui on fait une guerre sournoise: le voile n’est pas la liberté, ni l’identité, ni un choix. Il est prétendu choix dans le pays qui a le respect des choix, c’est-à-dire des libertés, c’est-à- dire dans les démocraties.
Dans les dictatures, il se montre pour ce qu’il est: un assassinat.
Car on aura beau jouer sur les mots, le voile tue. La démocratie, non. Des Iraniennes auraient donné beaucoup pour venir vivre leur liberté en France. Pas pour y renoncer.

© Kamel Daoud

Le Point. 29 septembre 2022

Suivez-nous et partagez

RSS
Twitter
Visit Us
Follow Me

2 Comments

  1. Vous (Kamel Daoud) dites : ” Le voile n’est pas un épi derme qui souffre d’un racisme adverse, mais un uniforme d’enrôlement. “.
    Dans toutes les armées ont fait attention que l’uniforme soit porté impeccablement. C’est le B.A.BA de la vie militaire. Le voile est l’uniforme d’une armée de conquête.

  2. Bravo Monsieur DAOUD pour votre courage, car il en faut pour oser écrire ce que vous écrivez. En tant qu’occidental je serais à coup sûr taxé d’islamophobie si je tenais un tel discours mais sous votre plume à vous, une sorte de légitimité s’empare de votre propos et met en pièces toutes les attaques désormais récurrentes que l’on a malheureusement l’habitude d’entendre dans contrées “colonialistes”. Encore bravo.

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*