Georges Juzmanovic. Babi Yar. 29 et 30 septembre 1941. Tout ici hurle en silence

Babi Yar, “Le ravin des bonnes femmes”.
Les 29 et 30 septembre 1941, il y a 81 ans, 33 771 Juifs étaient assassinés par les Nazis à Babi Yar, à côté de Kiev, en Ukraine. 

Ce fut le plus grand massacre de la Shoah par balles de la Deuxième Guerre mondiale.
Il fut perpétré par les Einsatzgruppen – police militaire politique nazie chargée d’assassiner les Juifs, Tziganes, Slaves et autres communistes derrière l’avancée de la Wehrmacht – avec l’assistance active des collabos fascistes ukrainiens, en particulier le 201e bataillon “Schutzmannschaft”, composé de 650 membres de l’OUN (Organisation des nationalistes ukrainiens) de Stepan Bandera et commandé par Roman Choukhevytch.
Bandera comme Choukhevytch se sont “illustrés” dans de nombreux massacres de Juifs et de communistes et en commençant avant même l’arrivée des nazis, par exemple en « nettoyant » le ghetto juif de Lviv AVANT l’arrivée des Allemands comme un cadeau de bienvenue si on veut. Pourtant, ils sont aujourd’hui élevés au rang de “héros” de l’Ukraine contemporaine sans que cela émeuve beaucoup en Europe.

Si jamais l’Ukraine doit rentrer un jour dans l’Union européenne, le minimum, surtout quand il est question de « valeurs européennes », est de refuser toute glorification de nazis ou collaborateurs durant la deuxième guerre mondiale, ne parlons pas de figures ayant directement participé à la Shoah.  De la même manière, on ne peut accepter la glorification des nazis, l’usage de leurs symboles par des unités militaires néo-nazies, quand bien même elles défendraient leur pays. 
Bien trop peu osent évoquer cette évidence, si ce n’est des personnalités comme Arno Klarsfeld.
Il doit bien y avoir des figures et des symboles plus positifs dans l’histoire de l’Ukraine pour donner des noms de rues ou de stades.

La sordide ironie des Nazis est d’avoir perpétré cet horrible crime le jour de Yom Kippour.
Le 29 septembre, les Juifs de Kiev, hommes, femmes, enfants et vieillards, tous, ont reçu l’ordre impératif de se rassembler rue Melnikovskaïa.
Tous pensent qu’ils seront conduits dans des trains. Mais en lieux et place, on les mène à Babi Yar où les attendent leurs massacreurs disposés sur deux colonnes. Les Juifs sont contraints de passer entre les deux rangées et là ils sont frappés à coups de matraques, de crosses de fusils, de poings, humiliés, sans considérations pour leurs âges ou leurs handicaps, des femmes sont violées, les chiens mordent aveuglément.
Puis, tous, aiguillonnés par les coups sont menés au bord du ravin où les Nazis ont prévus les choses en grand : 150 mètres de longueur, 30 mètres de largeur et 15 mètres de profondeur !!!
Puis ils sont exécutés.
22000 êtres humains sont assassinés en 12 heures. Un record jamais égalé en volume et en intensité, même à Auschwitz.

33771 Juifs tués en deux jours !
Près de 140000 en deux ans et avec les juifs, des Tziganes, des otages civils ukrainiens, des communistes…

En août et septembre 1943, les Nazis font exhumer les corps pour les brûler et tenter ainsi de faire disparaître les preuves de leurs crimes comme partout ailleurs où ils ont exterminé en Europe. Peut-être par crainte de représailles futures ? Je crois surtout qu’ils voulaient tuer la mémoire elle-même, c’est pour cela que le souvenir est si important.

A Babi Yar, la nature de l’extermination, son échelle et sa forme en font un des moments fondamentaux de la Shoah et le symbole de l’extermination des Juifs d’Europe de l’est.

Evgueni Evtouchenko, le grand poète russe, avait écrit en 1961 un magnifique poème que lui a inspiré cette tragédie :

Tout ici hurle en silence

“Sur Babi Yar, pas de monument.
Un ravin abrupt, telle une dalle grossière.
L’effroi me prend.
J’ai aujourd’hui le même âge que le peuple juif.
Il me semble là — que je suis juif.
Me voici, errant dans l’ancienne Egypte,
Là agonisant, sur cette croix,
Dont, jusqu’à ce jour, je porte les stigmates.
Il me semble que Dreyfus, c’est moi.
Les boutiquiers me dénoncent et me jugent.
Je suis emprisonné.
Pris dans la rafle. Poursuivi comme une bête,
couvert de crachats, calomnié.
Et les petites dames, en dentelles de Bruxelles,
glapissent et me plantent leurs ombrelles dans le visage.
Il me semble — que je suis le gamin de Bialystok.
Et le sang du pogrom ruisselle.
Les piliers de bistrot se déchaînent, puant la vodka et l’oignon.
Et moi, jeté au sol à coups de bottes, sans force,
je supplie en vain mes bourreaux.
Et ils s’esclaffent :
“Cogne les youpins, sauve la Russie !”
Un épicier viole ma mère.
Oh, mon peuple russe ! — Je le sais — Toi — Par essence, tu es international.
Mais souvent, des hommes aux mains sales ont fait de ton nom pur le bouclier du crime.
Je connais la bonté de ta terre.
Et quelle bassesse !
Sans le moindre frémissement, les antisémites se sont pompeusement baptisés
“Union du peuple russe” !
Il me semble — que je suis Anne Frank.
Transparente comme une brindille d’avril.
Et j’aime.
Et pas besoin de grands mots.
Il faut juste que nous nous regardions en face.
On voit, on sent si peu de choses !
Le ciel, les feuilles nous sont interdits.
Mais nous pouvons beaucoup :
Tendrement nous embrasser dans ce réduit obscur.
On vient ?
N’aie crainte — c’est juste le bourdonnement du printemps qui s’approche.
Viens vers moi.
Offre-moi vite tes lèvres.
On brise la porte ?
Mais non, c’est la glace qui cède…
Sur Babi Yar bruissent les herbes sauvages.
Les arbres regardent, terribles juges.
Tout ici hurle en silence,
Et moi, tête nue, je sens lentement mes cheveux grisonner.
Et je suis moi-même un immense hurlement silencieux au-dessus de ces mille milliers de morts.
Je suis chaque vieillard fusillé ici.
Je suis chaque enfant fusillé ici.
Rien en moi n’oubliera jamais cela !
Et que L’Internationale résonne quand on aura mis en terre le dernier antisémite de ce monde.
Je n’ai pas une goutte de sang juif.
Mais, détesté d’une haine endurcie, je suis juif pour tout antisémite.
C’est pourquoi je suis un Russe véritable !”

Evgueni Evtouchenko

© Georges Juzmanovic

Georges Kuzmanovic, né Djordje Kuzmanović à Belgrade, est un homme politique français et officier de réserve. Il est le président du mouvement République souveraine, qu’il a créé en 2018 après avoir quitté le Parti de gauche dont il était secrétaire national en charges des questions internationales et de défense.

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6 Comments

  1. On lira avec intérêt, et émotion, “Le ravin” de Wendy Lower (Taillandier) qui relate comment les Allemands, aidés de leurs collaborateurs ukrainiens, ont abattu les Juifs de Myropil (Ukraine) en septembre 1941 avant de continuer à grande échelle dans le ravin de Babi Yar. Puis, ils revinrent à Myropil pour “compléter le nettoyage” avec un gramophone de Babi Yar, « où ils avaient constaté que mettre de la musique rendait la besogne plus agréable pour tout le monde. »
    Qu’ils soient maudits à jamais. Je répète : À jamais !
    Paul Fuks

  2. On comprend mieux les sympathies d’Ursula Von der Leyen pour l’Ukraine (*) Ainsi que pour ceux qui rêvent de génocider again les Arméniens.

    L’UE + les USA d’aujourd’hui sont un 4eme Reich.

    (*) ce n’est pas de l’ironie : il existe un inconscient collectif de même qu’il existe un inconscient individuel. Depuis 1981, la France est dirigée par des néo petainistes.

  3. Et on oublie souvent de le dire : les Allemands réservaient aux Russes un sort assez similaire : ils l’ont prouvé dans les zones qu’ils occupaient. N’est-ce pas, Ursula ?

  4. Comment oublier ? Comment pardonner ? Et ironie tragique leurs héros sont souvent des massacreurs de juifs….Magnifique poème glaçant et émouvant d’empathie sincère.

  5. Quoi qu’en en dise, on a du mal à croire et à comprendre l’horrible tragédie perpétrée par des “humains” à Babi Yar les 29 et 30 septembre 1941.
    Il n’y a donc aucune limite à la cruauté humaine ?
    Il est vrai que crucifier Jésus a été une barbarie, inimaginable aujourd’hui; inadmissible, en tout cas, par les humains que nous prétendons être.
    Il est temps que l’ONU s’empare de cette question pour mettre fin aux abus.
    L’écologie au sens large, en effet, devrait faire son entrée à l’ONU sans trop tarder.

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