Alain Chouffan. François Hollande au procès du 13 Novembre

« En a-t-on assez fait ? En fait-on jamais assez ? » Pendant près de 4 heures, la cour a entendu l’ancien président sur les mois qui ont précédé les attaques.

François Hollande à la barre de la cour d’assises spéciale de Paris, le 10 novembre 2021. Sergio Aquindo pour “Le Monde”

L’ancien président François Hollande a longuement témoigné au procès du 13 Novembre.

Il réendosse avec aisance son ancien costume de chef d’État, se montre solennel quoiqu’en clin aux traits d’esprit, doué dans la joute et parfois dans l’esquive. C’est peu de dire que François Hollande était attendu – par la cour, par la presse, par le public amassé dans les salles de retransmission de l’ancien palais de justice. S’il est anxieux en arrivant à la barre, ce 10 novembre vers 16 heures, l’ancien président n’en laisse rien paraître.
Pendant près de quatre heures, il répond aux questions sur le 13 Novembre. L’avant-13 Novembre, surtout : les opérations extérieures que menait alors la France, l’état connu de la menace terroriste. Le massacre aurait-il pu être évité ? C’est la question lancinante des parties civiles, une question qui en ouvre cent autres : comment les services de renseignements belges et français ont-ils coopéré ? Fallait-il décréter l’état d’urgence dès janvier 2015 ? Quelles suites ont été données aux propos du djihadiste Reda Hame, qui, au mois d’août 2015, révélait aux enquêteurs qu’il devait viser une « cible facile, comme un concert », et alertait : « Cela va arriver très bientôt. Là-bas, c’est une véritable usine » ?

« Chaque jour, nous étions sous la menace, déclare François Hollande. Nous l’étions le 12 comme nous aurions pu l’être le 14. Nous savions que des attaques se préparaient. Nous savions que des chefs en Syrie préparaient ces attentats, entraînaient des individus, leur faisaient égorger des otages et des prisonniers pour attester de leur détermination. Mais nous ne savions pas où, quand, comment ils allaient nous frapper. » Ce soir-là, explique-t-il, aucune alerte particulière n’est donnée. Sa propre sécurité ne voit aucune difficulté à ce qu’il décide, au dernier moment, d’assister au match France-Allemagne, en apprenant que s’y trouvera le ministre allemand des Affaires étrangères. « À la première détonation, j’ai pensé qu’il pouvait s’agir d’un attentat. À la deuxième, je n’ai plus eu de doute. » On vient le trouver dans la tribune présidentielle, il apprend que deux kamikazes se sont fait exploser aux abords du Stade de France et que des fusillades sont en cours à Paris – la longue nuit commence ” écrit Le Point.

François Hollande concède un « échec ». Mais rappelle que bien des attentats ont été déjoués. Rappelle aussi sa réforme du renseignement, comme le recrutement de 1 100 agents supplémentaires ou le rétablissement de contrôles au sein de l’espace Schengen. La coopération entre services belges et français a permis, souligne-t-il encore, de démanteler la cellule djihadiste de Verviers, en janvier 2015 – quoiqu’elle ait failli, ensuite, à empêcher les attaques. « Sur le plan du terrorisme, sans doute étions-nous plus aguerris. »

« En a-t-on fait assez ? En fait-on jamais assez ? poursuit-il. Il ne s’agissait pas alors de la même menace. Nous avons fait tout ce que nous pouvions pour traquer ces individus qui nous menaçaient, y compris frapper en Syrie. Mais nous n’avions pas l’information qui, hélas, aurait été décisive pour empêcher les attentats. » Si une menace précise avait été connue ce soir-là, insiste-t-il, toutes les salles de concert auraient été fermées – ce n’était pas le cas. De même, « aurait-il fallu après le 13 Novembre interdire les spectacles, les rencontres sportives, fermer les grands magasins ? Nous ne l’avons pas fait.

La cour, fin octobre, entendait l’enregistrement sonore de la revendication des terroristes au Bataclan. Les coups de feu qui résonnent dans un silence terrifiant et, entre les coups de feu, les voix si jeunes des terroristes : « Vous pouvez remercier votre président François Hollande, c’est lui qui vous a menés à ce massacre aujourd’hui. » La cour entend aussi Salah Abdeslam, seul survivant des commandos, répéter depuis l’ouverture de l’audience que les attaques ont été la réponse de Daech à l’intervention française en Syrie. Faux, répète François Hollande. L’intervention n’est décidée que le 7 septembre 2015 et les premières frappes ont lieu le 27 septembre – quand les attaques ont été préparées dès la fin de l’année 2014.

Les revendications des terroristes le mettant nommément en cause l’ont amené, dit-il, à s’interroger sur sa propre responsabilité. « Mais, je le dis, je ferais exactement la même chose. Je le dis aussi pour les parties civiles qui souffrent. Je ferais la même chose parce que nous le devions, parce que nous sommes la France et que nous le devions aussi aux populations massacrées sur place. Les plus grandes victimes du terrorisme islamiste sont les musulmans. »

Sur les dates des interventions, cependant, la défense l’interroge. Olivia Ronen au premier chef, l’avocate de Salah Abdelam, qui revient sur la « chronologie imprécise » donnée par l’ancien chef de l’État des opérations extérieures de la France, menées en Irak dès septembre 2014 – comme sur sa « pudeur » à l’évocation d’éventuelles victimes collatérales des frappes françaises. « Pas pour légitimer quoi que ce soit, insiste-t-elle, mais parce qu’il est important, pour avoir un contre-discours efficace, de ne pas laisser de vide : les vides sont toujours comblés. »

« Je vous remercie de ce conseil », lâche François Hollande. Qui répète que l’intervention en Irak était menée à la demande même de l’État irakien et que la décision d’intervenir en Syrie était, elle, justifiée par la « légitime défense » de la France dès lors que des attaques précises et coordonnées étaient préparées. Les attentats du 13 Novembre ont été menés « d’une certaine manière comme une opération de guerre, déployée par une organisation qui occupait un territoire, avait une structure hiérarchique et différentes directions ». Une organisation qui a embrigadé en Irak et en Syrie des centaines de jeunes sur la foi de propositions mensongères, rappelle-t-il, les obligeant à tuer, organisant l’horreur pour que l’horreur soit possible, plus tard, sur le sol européen.

Son propos, François Hollande l’achève par une mise en garde politique qu’il aura à plusieurs reprises distillée au cours de ces quatre heures d’audition – et qui vaut adresse aux futurs candidats à la présidentielle. « Il y a eu en 2015 une capacité de consensus et, malgré tout, d’unité. La question est de savoir si cette unité existe encore, s’il n’y a pas la volonté de recréer des conflits. Nous avons tous cette responsabilité et le procès a cet enjeu-là : faire comprendre que la démocratie est plus forte que la barbarie, faire en sorte que nous évitions les pièges de l’extrémisme et le poison de la division. »

Fallait-il entendre l’ancien président ? Avant son arrivée à la barre, un long échange a occupé la cour. Son témoignage – comme ceux de chercheurs qui doivent être entendus dans les prochains jours – a en effet suscité un vif débat. « On aimerait vous demander de réparer la frustration qui est collective, de panser les plaies béantes de l’histoire, on voudrait que cette salle d’audience soit le lieu de tous les règlements de comptes », a ainsi plaidé Me Arab-Tigrine, l’un des conseils d’Ali El Haddad Asufi. « Qu’est-ce qu’on ne veut pas faire ? Une cérémonie de commémoration et une tribune. Les fautes des services, ce n’est pas le sujet, pas le débat, il y a eu pour cela une commission d’enquête parlementaire, a renchéri son confrère Me Méchin. Et de lancer : « La seule chose qui doit nous intéresser pendant ces neuf mois d’audience, c’est d’analyser les charges et les preuves. La seule question qui se pose pour M. Hollande, c’est : que peut-il nous dire des accusés ? » Une question évidemment rhétorique, mais que de nombreux avocats posent, rappelant que ce procès est avant tout celui des hommes assis dans le box vitré.

Tous ne sont pas de cet avis, cependant. « C’est pour ça que la défense est vivante », a déclaré Me Vettes, qui représente Salah Abdeslam avec Me Ronen. Tous deux ont fait savoir qu’ils ne voyaient aucun inconvénient à ce que François Hollande vienne témoigner. Me Nogueras, qui défend Mohammed Amri, se range de leur côté : « Pourquoi ferions-nous l’économie de l’audition de quelqu’un qui est considéré comme le mobile ? Les terroristes du 13 Novembre ont dit qu’ils voulaient frapper l’État français, qui mieux que François Hollande représentait l’État le 13 novembre 2015 ? » Côté parties civiles, Me Delas, l’avocat de l’association Life for Paris, à l’origine de la citation de François Hollande, s’est voulu rassurant : aucune question en dehors de ce qui intéresse le procès ne serait posée. Soucieux depuis l’ouverture de l’audience de tenir les débats, le président Jean-Louis Périès y a veillé – rappelant à l’ordre, au besoin, certains avocats, comme il a coupé, dans les dernières secondes, Salah Abdeslam, qui s’était levé pour interpeller François Hollande. « Non, monsieur Abdeslam, ce n’est plus le moment. Si vous avez des questions, adressez-vous à vos conseils. »

Alain Chouffan

Suivez-nous et partagez

RSS
Twitter
Visit Us
Follow Me

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*