«Et pourtant elle rêve…», de Hafsa Bekri-Lamrani

Les poètes sont les législateurs non reconnus du monde, écrit Hafsa Bekri-Lamrani

Et pourtant elle rêve …” est un récit très dense. Où la parole ne se perd jamais dans d’inutiles détours. C’est une prose directe. Implacable. Et précise. C’est un texte grave mais écrit avec élégance. Il y a, dans l’envers des mots, une légèreté, empreinte de pudeur, pour dire les choses.

Halima, le double de l’auteure, a trois ans quand elle quitte sa famille pour aller vivre à Mascara, en Algérie, chez sa tante qui n’a pas d’enfants.

Elle y connaîtra l’enfer. Mais ne baissera jamais les bras. Elle sait d’instinct que le monde est à ce prix.

Des amis, juifs et chrétiens, Christian, Danielle… lui apprendront à s’ouvrir à l’autre et à l’aimer dans sa différence.

Dans la guerre qui va bientôt faire rage, elle croisera le regard d’un jeune appelé. Ce passage est d’une très grande force. La petite fille pose un œil plein de révolte et de compassion sur un soldat de dix-huit ans qui ne sait pas lui-même ce qu’il fait là. “Plus d’uniforme, plus de mitraillette, plus d’ennemi. Comme si la mère se réveillait dans son corps de fillette, elle comprit et aima l’enfant-soldat victime de son uniforme. Son intuition n’était pas faite de mots, mais d’une simple vague d’amour dont l’innocence ne laissait aucune place à la haine. Elle comprit qu’ils étaient deux victimes d’une même guerre sur cette terre, sous ce ciel si bleu. Deux victimes d’une même guerre dont ils ne pouvaient comprendre ni les enjeux ni la perfidie.”

A douze ans, elle quitte l’Algérie et rejoint la France où ses parents se sont établis. “Cette année de trêve en Côte d’Azur” lui permettra de se reconstruire. “La guerre, la violence, le sang c’était là-bas, ‘‘outre-mer’’ comme ils disent. Ici, c’était la France tranquille de Français sans histoires, loin de l’Histoire qui colonise, qui torture, qui tue les autres et qui fait de ses propres enfants des déracinés éternels lorsque sonne pour eux l’heure d’un ‘‘retour’’ artificiel, eux qui laissaient derrière eux leur terre natale.”

L’année en France s’écoulera tranquillement. “Non plus scandée par la faim, la peur de la guerre, la peur de sa tante, mais par la robe qu’elle allait porter, ses notes au collège, ses camarades filles et garçons dans cette école mixte, la première qu’elle fréquentait, les voyages dans cette contrée si belle et si riche culturellement.”

Rabat ensuite deviendra d’emblée sa terre d’élection. Halima n’aimera jamais aucune ville autant que cette cité lumineuse bâtie sur le bord d’un fleuve.

Au lycée Lalla Aïcha, elle aura, pour professeur, une Madame C., rigoureuse comme la loi Romaine. Et se souvient que “d’autres classes avaient la chance d’avoir comme professeur de latin l’écrivain Kabyle Mouloud Mammeri, célèbre défenseur d’Amazighité, Apulée moderne qui connaissait ses lettres grecques, latines et françaises”.

Après le bac, c’est à Paris qu’elle ira poursuivre ses études. Elle y rencontrera Chafiq, qui deviendra son mari. Ils étudieront et militeront ensemble.

A leur retour au Maroc, le petit Moncef viendra égayer leur foyer. Une petite sœur, Zahra, viendra se joindre à lui pour agrandir la famille, qui se sera installée entre temps à Casablanca.

Halima continuera de se battre pour un monde meilleur. Pour la poésie et la paix. Pour bâtir des ponts et transmettre les plus belles valeurs. Elle sera prof, participera à la fondation de la maison de la poésie, représentera la femme maghrébine dans des conférences…

Une émouvante rencontre à Pékin viendra clore ce récit qui porte en lui un monde que les guerres, les larmes et le sang soumettent à de violents soubresauts.

Mais Halima “plie mais ne rompt pas”. A l’instar de Martin Luther King, elle “refuse d’accepter le désespoir comme la réponse finale aux ambiguïtés de l’histoire. Et n’oublie jamais le verbe cinglant de Shelley, ce sublime poète anglais, mort en 1822 avant sa trentième année et dont elle avait fouillé l’œuvre pour les études et le plaisir». Comme lui, elle pense que “les poètes sont les législateurs non reconnu(e)s du monde”.

Et pourtant elle rêve...” est une façon de regarder le temps qui passe, sans regrets mais avec lucidité. C’est un livre qui essaie, avec humilité, de remettre les choses à leurs justes places. C’est une ode. A l’amour. A l’amitié. Au savoir. C’est une leçon de vie.

Et pourtant elle rêve...”Hafsa Bekri-Lamrani. Editions Virgules.

https://m.le360.ma/blog/kebir-mustapha-ammi/les-poetes-sont-les-legislateurs-non-reconnus-du-monde-243004

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