Johann Habib. “Partir”

Je ne pensais pas un jour devoir écrire ces lignes… « Partir » …

Partir  peut-être pour  revenir après quelques jours?  Oui c’est la guerre avec des mots édulcorés: interventions, escalades, opération barrière protectrice…

Ca n’est pas la première. Dès notre arrivée en 2009 nous avons été “accueillis” par une série de missiles du Hamas lors de l’opération Plomb durci. Puis 2014, etc …
Cette fois-ci il y a quelque chose de différent. Plus dangereuse que les missiles du Hamas, plus destructrice que les attaques quotidiennes sur le pays, c’est cette Fracture dans mon pays qu’ils tentent d instituer.

Paradoxalement peut-être, le modèle de vivre ensemble israélien fonctionne. L Etat d’ “apartheid” comme on entend élève des avocats, médecins, infirmiers, promoteurs, militaires, députés, juges à la Cour Suprême, PDG de grandes banques et “hi-techistes”  juifs, arabes, chrétiens ou musulmans sans distinction.  

Certes, ce modèle est imparfait et les inégalités importantes, mais elles touchent aussi bien le rapport juifs/arabes que hommes/femmes, centre/périphérie, ashkenazes/séfarades/éthiopiens, laics/religieux etc…

Oui il faut que l’État intervienne davantage, pour permettre au plus grand nombre de profiter des fruits de la réussite israélienne. Peu de partis traitent vraiment de justice sociale.

Le mode de vivre ensemble qui a du mal à exister ailleurs, nous pensions en avoir la recette. Car il tenait malgré les manifestations dans les villes et quartiers mixtes, Lod, Ramle, Acco, Yaffo…

Cette fois-ci, nous avons été surpris  par une faille béante que nous n’avions pas voulu voir, peut-être. Un habitant de Lod a été attaqué par ses propres voisins avec qui il partageait le café, les joies des naissances, les consolations des décès. Ce type de témoignages s’est multiplié.

J’espérais que nous serions préservés à Yaffo. Douze ans et trois guerres contre le Hamas. Le dialogue à l’école entre Juifs et Arabes a toujours continué. L’intérêt commun des enfants a toujours prévalu. Le “Un voisin est plus important qu’un Frère” se répétait comme un mantra.

Et pourtant…
Certes moins violent qu’à Akko ou à Lod, où durant les derniers jours de  vrais pogroms ont eu lieu, on a tué des juifs, brulé des synagogues…
Des voitures sont brûlées autour de chez moi. Pas encore la mienne. Des résidents juifs se font attaquer gratuitement dans la rue, un soldat en civil, natif de Yaffo, est passé à tabac et se trouve entre la vie et la mort… Certains se font poursuivre, frapper, insulter…

Ce même voisin que je croise tous les matins, cordial, me regarde avec un air menaçant, crache par terre en guise de Bonjour, et pestifère “Ya Sharmouta” – littéralement “Espèce de p…”

Pourtant il aurait été plus  à dessein de dire “kelb” ou ”ould el kelb”, chien, fils de chien, mais je me garde bien de le lui faire remarquer.

On nous appelle, nous prévient que la journée dite jour de la “Nakba” risque d’être violente. La Nakba en arabe c’est la catastrophe qui marquerait leur départ hors d’Israël en 1948.

On a, dès lors, décidé de partir quelques jours. J’avoue: Je ne suis pas un héros, ni pour moi, ni pour ma famille. La vie passe avant tout.

Pendant que je pliais bagage, une pensée m’a envahi, me laissant coi par son ampleur. En 1942, de Tripoli en Libye, ma mère et ses parents, en tant que Juifs, ont fui “pour quelques jours”, ne prenant que l’essentiel, échouant en Algérie puis en Tunisie.  Il aura fallu attendre 70 ans pour qu’elle puisse remettre un pied, comme touriste, sur sa terre natale. En 1962, mes parents, comme Juifs et Francais, ont fui la Tunisie.  Au début des années 50, la famille de ma femme, comme Juifs, a fui le Maroc et l’Irak. Tous ont laissé près de deux mille ans d’histoire juive derrière eux.
Alors nous partons, également “quelques jours”,  pour les mêmes raisons, et à cause des mêmes fanatiques. Mais ici, cela doit être différent. Nous sommes censés être arrivés à notre destination ultime. En Israël, l’État juif, l’État des Juifs, le refuge des Juifs.

Si mon ennemi est à l’extérieur, je l’accepte, c est le quotidien d’Israël depuis sa re-création.  De même, les deux alertes aux missiles samedi qui m’ont vu courir avec mes enfants hors de la voiture et les protéger de manière dérisoire de mes bras fait partie de notre quotidien de guerre.

Dans cette faille, ce sont des Juifs de Lod et de Ramle qui, suite aux violences,  ont été invités à retirer tout symbole juif à l’entrée de leur maison (les mezouzot ):  c’est pour éviter d’être attaqué comme Juif que je dois partir de chez moi.

Aucun dôme de fer aussi pétri de technologie ne pourra nous protéger de cette faille, aucun slogan ne pourra réparer cette rupture de confiance en certains compatriotes. Spoiler: je n’ai pas la solution. Je pense simplement que la crise du covid a mis en valeur la réussite d un modèle où le corps médical israélien composé de Juifs, Arabes, Druzes, Circasiens a vaincu le virus provoquant l’admiration du monde entier et le retour à la vie normale. Malheureusement ce retour à la normale n’aura vécu que quelques semaines.

Quoiqu’il en soit, aucune crise, aucune guerre, n’aura raison de notre volonté de vivre pleinement notre rêve sionniste devenu réalité grace au génie de certains, l’abnegation d’autres et parfois au sacrifice de leur vie. Comme je l’ai écrit au départ, Israël est notre pays. Nous avons Israël chevillé au corps pour toujours.

© Johann Habib

Johann Habib est Avocat fiscaliste franco-israélien

Merci à Emmanuelle Adda de m’avoir signalé ce texte de Johann Habib

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