André Pelletier – L’invention de la démocratie

Qui n’a entendu parler plusieurs fois par jour, de la part de nos hommes politiques ou des média, de démocratie, quel que soit le continent : la démocratie est en danger, la démocratie doit s’affirmer, etc. Alors interrogeons-nous sur le sens de ce mot ! Et faisons appel à la Grèce, à ses penseurs puisque démocratie vient d’un mot grec, démos, qui signifie le peuple.

Aristote et son étudiant Alexandre imaginés par le graveur Charles Laplante en 1866. Wikipédia

C’est Aristote (- 384-322) qui, le premier, a synthétisé l’évolution des régimes politiques dans le monde grec (Politique, 8, 3 et Constitution des Athéniens, III, 1-3).

A l’origine l’Etat grec a connu la monarchie, c’est-à-dire le gouvernement d’une seule personne (monos), c’est-à-dire le roi. Puis au bout d’un certain temps, la monarchie est remplacée par une oligarchie, de oligos (peu abondant), c’est-à-dire un petit nombre de personnes, quelques-uns, qui peuvent être les meilleurs (aristoi), soit une aristocratie, ou ceux qui ont la richesse (ploutos), soit une ploutocratie. Enfin, dernière évolution, l’oligarchie cède la place à la démocratie, soit le pouvoir (cratos) donné au peuple (démos). On passe donc du pouvoir d’un seul au pouvoir du plus grand nombre.

Mais nous dit Aristote, ce dernier passage ne s’effectue qu’à l’issue d’une grave crise politique qui voit l’installation temporaire d’un régime autocratique, la tyrannie.

Evidemment, vous l’avez compris, Aristote puise sa documentation dans l’histoire d’Athènes.

A l’origine, Athènes aurait été gouvernée par des rois, qui auraient été remplacés par des archontes, élus annuellement, dont les plus connus, à la fin du VIIe – début du VIe siècle avant, sont les législateurs Dracon (- 621) et Solon (- 594), qui annoncent la démocratie ; mais celle-ci est contrariée par la tyrannie de Pisistrate et de ses fils (561-510), avant de triompher avec Clisthène (grand-oncle maternel de Périclès) en – 508/507.

Les institutions politiques établies par Clisthène : d’abord l’ecclesia, assemblée souveraine qui réunit l’ensemble des citoyens (système de démocratie directe. L’Antiquité ignore le système de représentation) et qui vote les lois.

Ensuite des magistrats élus ou tirés au sort chaque année parmi les citoyens de plus de 30 ans et non rémunérés, ce qui exclut les plus pauvres. Les plus importants sont les stratèges et les archontes.

Enfin l’héliée, tribunal populaire composé de 6 000 membres tirés au sort chaque année.

Limites de la démocratie : d’abord en nombre !

Sur une population totale estimée au – Ve siècle à 400 000 habitants, seuls 40 000 sont citoyens (à l’exclusion des femmes et des enfants, des étrangers – métèques et des esclaves). Donc un habitant sur 10 participe théoriquement à la vie politique

Ensuite en niveau de vie : la gratuité des services dûs à la Cité exclut les moins riches. Il faut se souvenir que pour les grandes décisions prises par l’ecclesia, on exige un quorum de 6 000 votants, soit 15 % des citoyens et 1, 5 % des habitants ! (avec cette image des gardes scythes qui parcourent les rues d’Athènes avec de grandes cordes et qui rabattent les citoyens vers la Pnyx où se réunit l’ecclesia pour obtenir le quorum !). Ce qui signifie qu’habituellement pas plus de 1 % de la population participe à la vie politique !

Mais ces restrictions sont considérées comme secondaires dans l’Antiquité où seul compte le citoyen athénien, inscrit dans un dème (sous-division des tribus), né d’un père lui-même citoyen et, à partir de – 451, d’une mère fille de citoyen (comme en latin, citoyen n’a pas de féminin).

En contre-partie, le citoyen a des devoirs, celui de payer l’impôt et surtout de défendre militairement sa cité.

Toutes les cités n’ont pas connu l’intégralité de l’évolution. Ainsi Sparte, la grande rivale d’Athènes, s’est arrêtée au régime oligarchique, sans connaître la démocratie.

En face de la Grèce, Rome a aussi connu une évolution de son régime politique passant de la royauté à la république puis à l’empire. Penchons-nous sur le régime républicain (entre – 509 et – 27. Vous avez noté la coïncidence : 509 c’est un an avant 508, la réforme de Clisthène !) : est-ce un régime oligarchique ou une démocratie ?

Les théoriciens « romains » ont résolu le problème en inventant le système de la constitution mixte. C’est ainsi qu’écrit Polybe (Grec emmené en otage à Rome en – 167), au IIe siècle av. J.-C. : « Les formes de gouvernement dont j’ai parlé plus haut se trouvaient amalgamées dans la Constitution romaine et la part de chacune d’elles était si exactement calculée, tout y était si équitablement combiné, que personne, même parmi les Romains, n’eût pu dire si c’était une aristocratie, une démocratie ou une monarchie. Cette indécision était d’ailleurs très naturelle : à examiner les pouvoirs des consuls, on eût dit un régime monarchique, une royauté ; à en juger par ceux du Sénat, c’était au contraire une aristocratie ; enfin, si l’on considérait les droits du peuple, il semblait bien que ce fût nettement une démocratie ».
Et Polybe d’ajouter : « Aussi n’est-il pas possible de trouver une forme de gouvernement plus parfaite que celle-là ! » (Histoires, VI).

A votre avis, il a reçu combien de sesterces, le Polybe, pour cette dernière phrase ???

André Pelletier
Professeur Honoraire des Universités
Ancien Doyen de la Faculté d’Histoire-Géographie de Lyon

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