Renée Fregosi. Port du masque: «Le gouvernement doit sortir de l’ambiguïté!»

Jean-Yves Le Drien et Marc Fesneau à l’Assemblée nationale. GONZALO FUENTES/REUTERS

Alors qu’un collectif de médecins réclame le port du masque obligatoire dans les lieux publics clos très fréquentés, la philosophe Renée Fregosi se joint à leur appel et demande au gouvernement de donner des consignes claires aux Français, pour éviter à tout prix un second confinement.

Le Président Macron se pique de philosophie mais gouverne en faisant alterner laxisme, quand il faudrait être ferme face aux atteintes répétées à l’autorité de l’État, et penchant à l’autoritarisme lorsqu’il s’agit de solliciter la responsabilité individuelle. Pourtant, depuis quelques semaines, alors même que plusieurs experts évoquent la possibilité d’une seconde vague, c’est le flou qui prévaut au plus haut de l’État.

Aussi, le 11 juillet dernier, quatorze médecins lançaient-ils un cri d’alarme dans une tribune réclamant le port du masque obligatoire dans les lieux publics clos très fréquentés, pour éviter que l’épidémie de Covid-19 n’oblige à nouveau à des mesures plus drastiques et liberticides. Ces praticiens rappellent ce que les autorités n’ont pas voulu puis n’ont pas su faire comprendre à tous: «Le port du masque ne vise pas qu’à se protéger soi-même, mais aussi à empêcher la diffusion du virus ; à condition que tout le monde le porte!». Avec leur slogan «Masqués Mais En Liberté!», les signataires pointent en effet un élément essentiel du problème, à savoir la juste définition et le bon usage de notre liberté.

La pandémie, on le sait, a pris de court des gouvernements imprévoyants, et la rengaine de l’humilité feinte: «Nous en apprenons tous les jours sur ce virus», a bien mal caché une impéritie désinvolte. Dans l’édition Lavoisier de 2012 de l’ouvrage de référence Médecine tropicale, le SRAS n’était-il pas déjà décrit comme un coronavirus qui a franchit la barrière des espèces, qui provoque des pneumonies graves, et dont la transmission est nosocomiale par aérosol, par objets contaminés, par la toux et les éternuements… Même sans connaître le mode spécifique d’évolution de ce nouveau coronavirus, fort complexe il est vrai, on a su très tôt qu’il s’agissait d’un virus à syndrome respiratoire et donc que le masque anti-projetions est absolument nécessaire, non seulement en milieu hospitalier, mais en population générale aussi.

Plutôt que d’imposer pour tous et au plus tôt, le port de masques artisanaux, on a laissé le virus se propager jusqu’à en arriver à la mesure moyenâgeuse du confinement.

Plutôt que d’imposer pour tous et au plus tôt, c’est-à-dire dès janvier, le port de masques artisanaux (faute de stocks suffisants de masques chirurgicaux), soit lavables en tissus soit même jetables (faits de plusieurs couches papier de style essuie-tout de cuisine par exemple), on a laissé le virus se propager jusqu’à en arriver à la mesure moyenâgeuse du confinement pour endiguer la saturation des hôpitaux. Après le déconfinement, alors que la pénurie de masques et de tests est surmontée, on tergiverse à nouveau sur l’obligation du port du masque dans les lieux publics à forte densité de population, tandis que les gestes barrières sont progressivement abandonnés. Et alors même que les clusters se multiplient lentement, les autorités sanitaires et politiques ne recourent pas au test obligatoire, préférant le «volontariat» comme c’est le cas en Mayenne, alors que seul un dépistage systématique assurerait l’arrêt de la propagation.

Or les gouvernants hésitent de plus en plus à aller à l’encontre d’un égoïsme déguisé en principe libéral tellement répandu dans nos sociétés, s’empêchant de prendre à temps les mesures prophylactiques indispensables. On voit ainsi depuis quelques années revenir des maladies éradiquées par le passé grâce aux vaccins obligatoires, comme la tuberculose ou la rougeole. Le lobby opposé aux vaccins qui porte même un nom de guerre, «les antivax», gagne en effet dangereusement du terrain en jouant sur la fibre libertarienne et l’esprit d’aventure de nos concitoyens. Mais la liberté de se mettre en danger induit en l’occurrence une atteinte à la vie des plus vulnérables du point de vue sanitaire, et ignore scandaleusement les notions d’intérêt général et d’immunité collective.

La liberté de se mettre en danger induit en l’occurrence une atteinte à la vie des plus vulnérables et ignore scandaleusement les notions d’intérêt général et d’immunité collective.

De la même façon, le refus des dépistages systématiques des IST a induit l’augmentation considérable de ces maladies au sein des populations depuis plusieurs années. À la fin des années 70, on cessa ainsi de tester pour la syphilis tous les étudiants inscrits à l’université. Aujourd’hui en France, on doit traiter par an, environ 270 000 infections aux chlamydiae, 50 000 blennorragies et 14 000 syphilis. Quant au VIH, faute d’une politique de test généralisée audacieuse et donc de prise précoce des traitements qui réduisent la charge virale jusqu’à la rendre indétectable, Santé publique France estime à 24 000 environ le nombre de personnes porteuses de la maladie sans le savoir. Ces populations ,dites «cachées», ignorantes de leur statut sérologique, sont menacées à terme de développer la forme mortelle du VIH, le sida, et sont susceptibles de transmettre le virus.

Refuser de tester à grande échelle de façon rigoureuse et donc contraignante les personnes les plus susceptibles de porter le Covid-19 et de le transmettre du fait de leur métier, de leur proximité avec un cluster détecté, et/ou de leurs types de sociabilité (fréquentation rapprochée d’un nombre important de personnes), pour des raisons budgétaires ou de respect mal compris de la liberté individuelle, serait s’empêcher de lutter contre la propagation de la maladie. Refuser par démagogie ou par conviction idéologique d’imposer le port du masque en milieux densément peuplés serait à nouveau faire preuve de négligence coupable qui conduirait in fine à des mesures autoritaires relevant de l’arbitraire pour le plus grand nombre.

Refuser par démagogie ou par conviction idéologique d’imposer le port du masque en milieux densément peuplés serait à nouveau faire preuve de négligence coupable.

Il serait temps que nos dirigeants se mettent au clair avec les notions de liberté individuelle et de liberté publique. La revendication à l’autonomie des individus a été dévoyée en droit de choisir tout et son contraire et la République est affaiblie dans son pouvoir d’instaurer et de maintenir un cadre commun.

Se défiant des calculs irresponsables à courte vue comme des idées fausses et des modes idéologiques douteuses, les gouvernants doivent retrouver le courage de décider dans le sens de l’intérêt général. En l’occurrence, porter un masque c’est à la fois se protéger soi-même et contribuer à protéger la collectivité dans son ensemble.

Renée Fregosi est philosophe et politologue. Elle a récemment publié Français encore un effort… pour rester laïques! (Ed. L’Harmattan, 2019)

Renée Fregosi

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