Jacques Neuburger. Hygiène versus Passion…

Craindre de contaminer la personne aimée est insupportable quand on meurt de désir de la serrer dans ses bras – et je n’en dis pas plus: les enfants lisent par dessus notre épaule.

J’ai un couple de voisins, récents retraités de l’enseignement, qui vivent dans la terreur de tout effleurement eux qui furent de ces aventuriers osant tous les voyages, vous savez ces gens qui en septembre vous coincent dans l’ascenseur: “On revient de vacances en Grèce, venez prendre l’apéro, on vous passera les diapos” – ah, la belle bleue, pardon le Parthénon, oh, la belle rouge, ça, c’est la salle de bains de notre hôtel à Cnossos, Kiri parfum crevettes, saucisson bâton de berger pur porc industriel de Bretagne avec une image de paysan landais.

Lorsque je vais chercher mon courrier il m’arrive de croiser ces êtres qui ne sortent désormais que par deux, couverts comme cosmonautes, deux masques l’un sur l’autre, bonnet de montagne et visière de soudeur:, habillés en juin comme esquimaux pour chasser l’otarie en novembre, ils sortent dans le vaste monde dans l’esprit de se procurer du maïs en boîte, de l’artichaut en boîte et du thon en boîte afin de se faire une salade de printemps. Enfin, j’imagine car jamais nul parfum faisant envie ne s’échappe de leurs fenêtres économes. Et je les imagine se croisant dans leur demeure, je les imagine sursautant au contact de l’autre, vivant dans la peur, la défiance et le gel à la main.

Dans Rabelais il y a un passage magnifique, sorte de clef de tout l’ouvrage, sur les “paroles gelées“… “Tenez, tenez, dit Pantagruel, en voici qui ne sont pas encore dégelées. Il nous jeta alors sur le pont de pleines poignées de paroles gelées, qui semblaient des dragées en forme de perles de toutes les couleurs. Nous y vîmes des mots de gueule, des mots de sinople, des mots d’azur, des mots de sable, des mots dorés“.

C’est un peu ce qui se passe en cette période culpabilisante, infantilisante et qui a destructuré très largement notre vie affective.

Je me souviens d’un couple de jeunes femmes qui un jour me firent presque la leçon et m’expliquèrent savamment combien leur projet pour fonder à elles-deux  une famille (désir totalement respectable en soi et volonté tout à fait légitime, il va de soi…..) était supérieur aux techniques traditionnelles et antiques de reproduction dont elles étaient elles-mêmes issues du seul fait qu’elles auraient recours à des techniques modernes, aseptisées, sûres, hygiéniques et surtout “sans contact”…

Ce jour-là j’ai compris la profondeur de l’expression: apprendre à son père à faire des enfants et j’ai éprouvé un sentiment d’intense et désespérante solitude.

J’avoue, oui, j’avoue que l’aseptie me pèse, j’avoue, oui, j’avoue que l’hygiènisme me vanne, me gonfle, me rend chèvre.

On dirait un monde où quelque Alexis Carrel aurait pris le pouvoir afin de se venger d’avoir perdu sa rue.

Et je rêve, oui, je rêve, d’emballements à l’ancienne, de baisers empressés et baroques, non calculés ni évalués, fous comme ceux de Papageno, et devrais-je perdre ma place au paradis du bien trop sage Tamino, connaître de nouveau et enfin, cette joie d’aimer irrépressible qui est celle de l’Oiseleur serrant peut-être maladroitement mais si sincèrement, si passionnément sa Papagena dans ses bras….

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