Michel Onfray. La gauche germanopratine est autant de gauche que le pape un athée forcené

Il porte une chemise blanche mais surmontée d’une redingote noire ; il est l’un des philosophes les plus connus et médiatiques de France ; il publie régulièrement chez Grasset ; il adore la politique et ne rechigne jamais à intervenir dans le débat public… À 61 ans, Michel Onfray, fondateur à Caen de l’Université populaire et auteur notamment du Traité d’athéologie, s’apprête à lancer une revue et un site Web pour peser sur le débat politique. Quoi de plus normal dans une époque où le moindre médecin, humoriste ou éditorialiste se croit habilité à donner son avis sur tout et tous.

Sauf qu’il donne à son nouveau bébé un nom sacré : « Front populaire ». La gauche s’étrangle, hurle à la captation d’héritage. On le soupçonne de vouloir construire le chaînon manquant qui relierait l’extrême droite à l’extrême gauche. On assure qu’il ajoutera le jour venu son nom à la longue liste des prétendants à l’Élysée. Le bruit et la fureur, les rumeurs et les approximations accompagnent désormais le lancement de cette initiative. Ce mercredi, de passage à Paris, où il rencontrait le soir même « des banquiers, des traders, des hommes d’affaires curieux et intéressés par [sa] démarche », Michel Onfray est venu au Point répondre à nos questions.

D’une voix calme et posée, sans hésitation, sûr de la justesse de son analyse, pétri de références philosophiques et historiques, il nous a livré son bréviaire politique, sa vision d’une France fatiguée d’elle-même, traumatisée par une année de Gilets jaunes et convalescente d’une épidémie de coronavirus. La gauche, Emmanuel Macron, Éric Zemmour, le gaullisme, l’extrême droite, le peuple, les médias… Onfray dit tout.

Le Point : « Le Front populaire, c’est Blum. Onfray, désormais, c’est Doriot », dit de vous Bernard-Henri Lévy dans Le Point.Quelle est votre réaction ?

Michel Onfray, philosophe et fondateur de l’université populaire de Caen. © Elodie Gregoire / Elodie Gregoire

Michel Onfray : BHL maîtrise à ravir la rhétorique fasciste française des années 30 dans laquelle l’insulte et l’attaque ad hominem pallient l’incapacité au dialogue et au débat… Cet homme est capable de juger d’une revue qu’il n’a pas lue puisqu’elle n’est pas encore en vente, ce qui est une performance morale bien dans son genre… Il a trop lu Botul et pas assez Front populaire

Après l’enquête du Monde, cette nouvelle attaque qui vise à vous présenter comme le porte-voix de la fachosphère vous affecte-t-elle ?

On ne peut rien attendre de ces journaux qui ont renoncé à penser et qui, comme BHL, insultent, invectivent et salissent en traitant de fasciste, de vichyste, de pétainiste, d’antisémite quiconque ne pense pas comme eux. Quant au Monde qui a accueilli dans ses colonnes le négationniste Faurisson, mais aussi Badiou faisant l’éloge de Pol-Pot, il est un journal qui, en matière de rouge-brun, sait de quoi il parle : il est une référence !

Enfin, la fachosphère, comme vous dites, renvoie au fascisme. Or, comme avec le mot « antisémite » qui, servi hors de propos, ne veut, hélas, plus rien dire, le fascisme étant partout, il n’est plus nulle part. Or, il existe un antisémitisme chez les musulmans radicaux et un fascisme chez ceux qui contrôlent l’information planétaire : comment dès lors lutter contre ? Si la fachosphère, c’est Valeurs actuelles, par exemple, je trouve que ce journal est moins liberticide avec ses articles que l’État maastrichien dont j’ai montré dans Théorie de la dictature combien il incarnait une modalité light du totalitarisme post-XX° siècle.

J’ai ma conscience pour moi et je ne vois pas pourquoi je serais affecté par un BHL qui m’associe à Doriot, un homme qui a porté l’uniforme nazi, ou au fascisme, c’est-à-dire au national-socialisme qui a envoyé des enfants dans les chambres à gaz et dans les fours crématoires ! Si je suis l’homme de ces projets-là, je demande qu’on me traîne devant les tribunaux, qu’on m’y juge et qu’on m’enferme s’il y a lieu ! Socrate avait raison de dire qu’il vaut mieux subir l’injustice que de la commettre…

Vous êtes devenu la tête de Turc favorite de la gauche médiatique. Comment l’expliquez-vous ?

Depuis le virage libéral de Mitterrand en 1983, cette gauche médiatique défend les idées du Giscard des années 70 : le libéralisme, le marché faisant la loi, l’euro et l’Europe de Jean Monnet qui fut financée par les États-Unis, la haine du général de Gaulle et du souverainisme auquel elle lui préfère son exact inverse : la sujétion, la soumission, la servitude. Comme depuis la Libération, la gauche est un passeport de Vérité transcendantale, la gauche caviar n’aime pas que je lui dise que son roi est nu et qu’elle-même n’est guère mieux accoutrée ! Je n’ai pas voté pour les idées de Giscard en son temps, je ne vois pas pour quelles raisons je voterais pour ces mêmes idées sous prétexte qu’elles seraient portées par le syndicat des puissants qui se décrète de gauche parce que la plume de gauche va bien à son chapeau ! La gauche germanopratine est autant de gauche que le pape un athée forcené ! Il est normal de se faire haïr quand on dénude les chimères…

Pourquoi estimez-vous que le peuple est mal représenté aujourd’hui ?

Pour deux raisons : la première est que la sociologie des élus ne recouvre pas la sociologie du pays. La sociologie des Gilets jaunes, qui n’est certes pas celle de toute la France, comporte des employés, des ouvriers, des artisans, des petits commerçants, des chauffeurs routiers, des paysans pauvres, des marins pécheurs, des chômeurs, des retraités modestes. Combien d’élus du Congrès viennent de ce monde-là ?

La seconde, c’est que le coup d’État de 2008 qui, avec le traité de Lisbonne, a vu le Congrès voter contre le choix du peuple qui avait rejeté par référendum le traité européen en 2005 (Giscard a dit dans les colonnes du Point que c’était le même texte, sauf nettoyage cosmétique…) montre que le vote du peuple est considéré comme nul et non avenu quand les maastrichiens estiment qu’il a mal voté. Nombre d’intellectuels du système, dont celui qui estime que j’ai porté l’uniforme nazi pendant la dernière guerre mondiale, sont même allés jusqu’à déplorer que le peuple ait à donner son avis sur des questions comme celles-ci.

Pour vous, les médias ont leur part de responsabilité…

Bien sûr puisque, lors des présidentielles, tout est fait pour obtenir un second tour entre un Le Pen démocratique jusqu’au soir du premier tour puis fasciste dès le résultat de ce même premier tour. Comme un seul homme, les médias convoquent alors à nouveau Pétain et Hitler, Déat et Doriot (pour Macron ce fut une visite à Oradour-sur-Glane et une autre au Mémorial de la Shoah…) pour expliquer que le bon vote, c’est le vote maastrichien !

De quinquennat en quinquennat, le peuple a fini par comprendre que cette instrumentalisation du Front national puis du Rassemblement national permettait de fabriquer un entonnoir politique qui fait immanquablement gagner le candidat de l’État maastrichien.

Pourtant, on vote presque tous les ans dans des élections qui intéressent encore les Français…

Mais ceux qui gagnent les élections sont ceux dont on ne parle jamais : les abstentionnistes, ceux qui ont voté blanc ou nul, ceux qui ont porté leurs suffrages sur des partis folkloriques – le bien-être animal, par exemple… Je vous rappelle que 49,88 % des électeurs n’ont pas voté à la dernière élection européenne. Quelle légitimité peut bien sortir de ce genre de consultation ?

Michel Onfray dans les locaux du Point mercredi 3 juin 2020.  © Elodie Gregoire / Elodie Gregoire

En 2017, Emmanuel Macron est élu avec 66 % des voix. C’est donc qu’il a séduit une large partie du peuple !

Au deuxième tour, 25,44 % des gens n’ont pas voté… Depuis la mort du général de Gaulle, c’est un record. Par ailleurs, la propagande est telle que j’aimerais savoir, parmi ceux qui ont voté pour lui, lesquels ont eu un vote d’adhésion à son programme politique, un vote positif donc, et lesquels ont avant tout voté contre Marine Le Pen, un vote négatif. Je ne sais si des instituts de sondage ont jamais posé ce genre de question pour mesurer l’adhésion véritable et positive. Qui a souscrit ? Qui a écarté ?

En lançant votre revue Front populaire, vous êtes donc nostalgique de la gauche de 1936. Mais celle-ci peut-elle encore exister ? N’est-elle pas fantasmée ?

Je dis dans l’éditorial que vous découvrirez que le Front populaire est associé à des images heureuses : des tandems, des pique-niques, des vacances, du camping, la découverte de la mer, des plages, des paysages français, la découverte de la culture, de la lecture et des musées pour des gens simples et modestes, pour le petit peuple. C’est, dans l’histoire de la gauche, une page heureuse pour les ouvriers sans qu’il ait été besoin de verser une seule goutte de sang. On n’en dira pas de même pour la Révolution française ou pour la Commune – que je ne méprise pas pour autant.

La gauche à laquelle j’aspire n’est pas d’hier ou d’avant-hier : elle procède de la tradition libertaire française et vise un futur avec une France girondine, donc une France qui évite le pouvoir centralisateur qui tombe du ciel, le lieu du ciel étant Paris bien sûr, et qui descend jusqu’au peuple par ruissellement. Le pouvoir du peuple, par le peuple, pour le peuple – je vous rappelle que c’est le mécanisme de souveraineté inscrit dans notre Constitution… – doit partir de la base, là où sont les compétences professionnelles. Le vieux schéma théocratique qui fait du chef de l’État un représentant de Dieu sur terre et du peuple un ramassis de sujets soumis n’a pas été aboli par 1789-1792… mais recyclé. Tocqueville a bien montré tout ça dans L’Ancien Régime et la Révolution française.

Front populaire va lancer une plateforme qui recueillera les doléances des Français. Vous copiez Macron, son grand débat et ses cahiers de doléances…

Je vous rappelle que le cahier de doléances n’est pas né avec Macron, mais au XIVe siècle ! Bien sûr, il y a eu ensuite ceux de la Révolution française. Quant à ceux de Macron, qui a vu à quoi ils ressemblaient en dehors de l’effet d’annonce ? Ont-ils jamais été synthétisés et publiés après un travail honnête de collation ?

Nous allons réellement travailler ces doléances qui remonteront par capillarité numérique sur cette plateforme. Une équipe écartera tout ce qui serait hors sujet, purement négatif, pour ne retenir que les propositions positives. C’est le principe autogestionnaire en vertu duquel il n’y a pas mieux que les personnels de santé pour dire ce qui est le mieux pour le monde de la santé, les paysans, les marins, les viticulteurs pour leurs mondes respectifs, etc.

Nous travaillons également dès à présent avec des fiscalistes, des juristes, des banquiers, des traders, des économistes, des syndicalistes, des militaires, des paysans qui avouent que la création de la revue les libère de la culpabilité qu’ils avaient à se dire souverainistes. Il existe également un groupe constitué d’acteurs, de comédiens, de réalisateurs qui savent que sortir du bois leur vaudrait la mort sociale, la fin de leurs subventions, la mise au ban de la profession, la disparation de leur travail et qui travaillent également avec nous. Pour l’instant, nous la nommons La belle équipe en relation avec le film de Duvivier que j’adore – du moins avec sa fin française, et non sa fin commerciale américaine…

La gauche française est-elle encore de gauche ?

Pour le PS, c’est clair que non. Ce parti est giscardien, saturé de notables bien nourris. Pour La France insoumise, oui, bien sûr. C’est une gauche robespierriste, jacobine, néomarxiste qui, suivant les humeurs de Jean-Luc Mélenchon dont le talent est aussi grand que l’ambition, adopte des lignes contradictoires. Il fut ainsi souverainiste et gaullien par exemple, donc laïque à l’endroit de l’islam, il eut alors ma sympathie, puis islamo-gauchiste, donc complaisant envers le communautarisme. Mélenchon délaissant Robespierre et Castro pour leur préférer de Gaulle et Jaurès aurait fait un malheur.

Pour l’extrême gauche, NPA et LO, oui, bien sûr aussi. LO est sur une ligne trotskiste orthodoxe et le NPA sur un néotrotskisme mouvementiste affiché au départ de sa création. Un article élogieux sur Louise Michel dans Libération signé Olivier Besancenot m’avait en son temps retenu l’attention. Mais cette promesse n’a pas été tenue. Le NPA a ripoliné le vieux trotskisme avec les nouvelles luttes communautaristes.

Vous croyez encore dans la Politique (avec un grand P)…

Je vais vous faire un aveu : non… Mais je crois à l’éthique, à la morale, et la politique, pour moi, relève de l’éthique et de la morale. Notre civilisation disparaît, c’est inéluctable, mais on peut au moins ne pas accompagner ou augmenter le nihilisme. Lui résister, même si c’est un combat perdu, crée du sens dans un monde qui n’en a plus. Tant qu’à mourir, qu’au moins ce soit sans avoir courbé l’échine.

Éric Zemmour ? Un interlocuteur avec lequel ce qui faisait le génie français est encore possible.

Maastricht en 1992, Chevènement en 2002… En France, les souverainistes ont toujours perdu. Et quand il gagne le référendum de 2005, ils perdent quand même à la fin. Comment vaincre cette malédiction ?

Ils perdent quand même à la fin comme vous dites parce que le personnel de la classe politique réalise ce que Babeuf appelait un populicide : si nous étions en démocratie, le vote « Non » aurait dû engager les gouvernants socialistes et chiraquiens à obéir au peuple qui les mandatait. Au lieu de cela, vous connaissez l’histoire, le peuple qui avait gagné a été déclaré perdant par les vaincus…

Lire aussi L’art de perdre des souverainistes

Nous avons regardé sur CNews votre débat courtois et parfois complice avec Éric Zemmour. Qu’est-ce qui vous sépare encore ?

Il défend l’État jacobin, moi pas. Il est contre toute immigration avec renvoi des immigrés « chez eux » même s’ils sont français depuis deux ou trois générations, moi pas. Il s’oppose à toute forme de féminisme, moi pas. Il croit à une féminisation de la société, moi pas, je crois au contraire à une infantilisation de la société. Il essentialise les musulmans, moi pas. Il dit sur Napoléon, Hugo, Pétain, de Gaulle des choses aux antipodes de ce que je pense. Il ne cache pas son admiration pour Marx et le marxisme, moi, je ne sauve rien de ce côté-là. Il estime que le socialisme libertaire se réduit aux soixante-huitards, moi pas puisque le mien regarde du côté des proudhoniens de la Commune. Il est contre le mariage homosexuel, moi pas. Il est contre l’ISF, je suis pour. Il affirme comme moi le tragique de l’Histoire, mais, au contraire de moi, en hégélo-marxiste qu’il est, il pense que la violence accouche l’Histoire.

Il travaille, il lit les livres dont il parle, il n’insulte pas, il ne méprise pas, il est cultivé, il connaît l’Histoire, il est courtois, ce qui en fait un personnage unique dans le milieu médiatique : il est un interlocuteur avec lequel ce qui faisait le génie français, je pense aux débats dans les salons littéraires d’avant 1789, est encore possible. Est-ce une faute de débattre avec lui ?

Raoult, Bigard, Zemmour, Hanouna, et vous-même… Le peuple se cherche des héros tellement dissemblables. Qu’est-ce que cela dit de la société ?

Ce sont des personnages que les journalistes montent en épingle… Il n’est pas interdit de penser que, ce faisant, ils nourrissent le plan de communication de l’Élysée qui a tout intérêt à une candidature d’un comique du genre de Jean-Marie Bigard. Cet homme qui n’est pas que grossier et vulgaire sur scène mais également dans la vie est un excellent leurre pour le pouvoir. Ce personnage qui ne peut pas parler trois minutes sans scatologie se trouve donc associé aux Gilets jaunes et au peuple : quelle formidable réussite pour les muscadins de la cellule réélection du président d’obtenir que le peuple soit représenté par un homme dont le CV se réduit beaucoup au « lâcher de salopes », au « paquet dans le slip » et à la théorie complotiste concernant le 11 Septembre ! Il est bien plus intéressant de constater, pour valider mon hypothèse, qu’Emmanuel Macron téléphone ou visite les quatre personnes dont vous parlez – sauf un… Il sait qui il faut mettre en avant et qui faire taire.

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Êtes-vous frustré que le mouvement des Gilets jaunes ait accouché d’une souris et d’un piètre score aux européennes ?

Les Gilets jaunes ont été mangés après un mois d’existence par les professionnels de la politique et du syndicalisme de gauche, par le Rassemblement national, puis par les Black Blocs, les casseurs, enfin par Macron, Castaner et ses séides qui ont largement laissé faire ceux qui se sont fait voler leur révolte. C’est ainsi que les jacqueries s’éteignent : par strangulation et répression.

Mais ce qui faisait les Gilets jaunes, à savoir : l’aveu de n’en plus pouvoir d’être étranglé par le pouvoir fort aux faibles et faible aux forts, est toujours là…

En France, pour exister dans le paysage politique de la Ve République, il faut se présenter à la mère des élections, la présidentielle. Est-ce votre objectif ?

La question m’a été posée un nombre considérable de fois et j’ai chaque fois répondu que je n’étais pas intéressé par une candidature aux présentielles. Un sondage me crédite déjà d’un pourcentage, alors que j’ai décliné vingt fois la proposition. Quel intérêt y a-t-il à entretenir ce genre de ritournelle ? Je ne suis pas du genre à me parjurer. C’est mal me connaître que de m’imaginer revenir sur ce que j’ai décidé et annoncé.

Source: Le Point. 4 juin 2020.

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