Dominique Andolfatto et Dominique Labbé. En France, premier bilan des chiffres de la mortalité liée au Covid-19

Le président français, Emmanuel Macron, reconduisant le confinement jusqu’au 11 mai. Un délai depuis dépassé.

Voici les conclusions de l’épisode 15 de l’enquête de Laurent Mucchielli sur le coronavirus. Cette partie intitulée “Les chiffres de la mortalité liée au Covid-19 : premier bilan”, a été publiée sous la signature de Dominique Andolfatto et Dominique Labbé.


L’épidémie de covid-19 a donc fait en France au moins 38 000 victimes au 31 mai 2020 mais, selon l’INSEE, au 30 avril, le surcroît de mortalité par rapport aux années antérieures est de l’ordre de 22 000 à 26 000 victimes.

Notre analyse statistique montre que, pour la France, aucune des justifications habituellement avancées ne peut expliquer les écarts considérables constatés dans les taux de mortalité à l’hôpital (afflux des patients, débordement des capacités hospitalières, plus ou moins grande gravité des cas hospitalisés)

Il est donc impossible d’affirmer que les hôpitaux français ont tous traité de la même manière les malades, ce qui pose quelques questions dérangeantes.

Comment expliquer que les malades hospitalisés pour covid-19 sont morts 2,5 fois plus à Paris qu’à Toulouse ou qu’en outre-mer ? Pourquoi est-on mort deux fois plus dans les hôpitaux mosellans, ou de Meurthe-et-Moselle, que dans ceux du Var ou des Bouches-du-Rhône ? Ou encore 1,6 fois plus dans la région parisienne que dans les Bouches-du-Rhône ? Pourquoi une différence de près de 50 % de mortalité entre des départements voisins comme le Var et les Alpes-Maritimes ? Voire de 1 à 3 entre la Haute-Corse et la Corse-du-Sud ? Pourquoi la mortalité à Paris est-elle significativement plus élevée que dans le reste de l’Ile-de-France et dans la plupart des départements de province, alors que les hôpitaux parisiens sont richement dotés et que les plus grands spécialistes y travaillent ?

Bien sûr, il serait intéressant d’examiner cette situation au niveau des hôpitaux. Les résultats seraient sans aucun doute encore plus contrastés, mais il n’existe pas à ce niveau de transparence.

Tous ces constats et ces questions, s’agissant d’une même pathologie, touchant des personnes au profil assez comparable, ne peuvent renvoyer qu’au système de soins, aux pratiques mises en œuvre et surtout aux traitements.

A l’heure du bilan définitif, il faudra comprendre pourquoi une partie du système hospitalier français a semblé dépassé – spécialement au cœur même de ce système dans les établissements les plus prestigieux – alors qu’une autre partie a fait face à l’épidémie avec plus de succès.

Enfin, le questionnement de l’action gouvernementale ne pourra pas être esquivé. En effet, en mars 2020, les autorités françaises se sont posées en « chefs de guerre » face à l’épidémie. Elles ont eu recours à un « confinement » général extrêmement dur pour tenter de ralentir la diffusion du virus dans le pays. De plus, les autorités ont mis sur la touche la médecine de ville, interdit aux médecins de prescrire certains médicaments et aux pharmaciens de les délivrer ; elles ont levé le secret médical et obligé les médecins à transmettre à l’administration le nom des patients atteints de covid-19. Elles ont édicté une réglementation « sanitaire » tatillonne. Elles ont mis l’économie quasiment à l’arrêt et obéré pour longtemps l’équilibre de l’assurance maladie et de l’assurance chômage sans parler des coups très durs portés au système scolaire.

Or, comme nous l’avons montré, toutes les données empiriques disponibles suggèrent que cette politique n’a pas eu d’effet sur la dynamique de l’épidémie ni sur la mortalité finale, mortalité très lourde par rapport à la plupart des autres grands pays comparables.

Les pays qui ont obtenu les meilleurs résultats face à l’épidémie, ont adopté une attitude exactement opposée : prévention (spécialement protection spécifique pour les personnes à risques), dépistage systématique (particulièrement du personnel soignant), mise à l’écart des malades et soins précoces (souvent avec des traitements comparables à ceux interdits en France). Ces pays ont fait confiance au corps médical et aux citoyens. Ils se sont bien gardés de mettre entre parenthèse les libertés publiques et ils n’ont pas plongé leur économie et leurs assurances sociales dans une crise sans précédent.


Dominique Andolfatto (professeur de science politique, Credespo, Université de Bourgogne Franche-Comté)

Dominique Labbé (chercheur associé en science politique, Pacte-CNRS, Université de Grenoble-Alpes)

Une précédente version de cet article a été publiée dans Revue Politique et Parlementaire le 5 juin 2020. Toute citation doit se faire à partir de cet article de la Revue Politique et Parlementaire.

Les auteurs n’ont reçu aucun financement public ou privé.

Source: Revue Politique et Parlementaire. 5 juin 2020.

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