Jean Touitou (A.P.C.) : La conspiration dans l’élégance

Un anniversaire, un livre et la toute première collection rééditée. A.P.C. n’en finit pas de se réinventer, sans jamais renier la vision de son créateur, Jean Touitou. Une force dans le paysage de la mode.

Trente ans. C’est l’âge d’A.P.C., qui, fondée par Jean Touitou en 1987, s’est tout au long de ces années imposée comme une griffe très présente dans le paysage (français et international) de la mode, tout en ayant cultivé un territoire parallèle. A.P.C., c’est à la fois des vêtements issus d’une vision très minimaliste, qui ignore les fioritures et les emballements, tout en étant très ancrée dans quelque chose de culturel. Au sens large : Jean Touitou, lors des présentations de ses collections, peut citer aussi bien Marcel Proust que Kanye West ou Yves Saint Laurent.

A l’occasion de l’anniversaire de la marque, le créateur réédite sa toute première collection, baptisée à l’époque “Hiver 87“, et édite un passionnant livre consacré à ses archives et sa chronologie. Un recueil qui tient autant du geste artistique que de l’inventaire, de la monographie que de la cartographie d’un travail qui, au-delà des vêtements, se dévoile de plus en plus protéiforme. L’occasion de discuter avec le fondateur de la marque, de ses années de formation, de sa vision et de son rapport à l’élégance.

Quels souvenirs gardez-vous du jeune homme que vous étiez en 1987 ?

Jean Touitou : Exactement le même qu’aujourd’hui, sauf qu’on ne peut plus m’appeler un jeune homme… Je me rends tout de même compte que les choses sont demeurées semblables à ce qu’elles étaient au début d’A.P.C. : ce que je ne supportais pas dans la mode est toujours là, en pire.

Qu’est-ce que vous ne supportiez pas ?

La vulgarité de la mode. Le fait que sous prétexte d’être créatif, on n’habille pas bien les gens. J’étais récemment dans un hôtel de luxe sur la Côte d’Azur et il n’y avait pas de femme bien habillée. Pourtant, les marques de luxe ont de plus en plus de pouvoir. Et de responsabilités. Il y a un vrai culte de la vulgarité qui ne s’est pas arrangé et qui a été renforcé par la culture de la célébrité et la téléréalité. C’est un peu méchant pour Andy Warhol, mais je crois que Donald Trump est la résultante de Warhol, qui, à force de jouer avec la célébrité, de dire que c’est fun de l’être, de vouloir que tout le monde soit célèbre, a fait que l’Amérique devienne obsédée par cela. Ce qui a permis l’émergence de Trump.

Quel est votre état d’esprit en 1987, au moment de lancer A.P.C. ?

J’ai à cette époque l’impression d’être un outsider total. Je sais bien que, rétrospectivement, on peut trouver de la poésie dans certaines proportions, mais il suffit de regarder les émissions de télé de l’époque pour se rendre compte que, vers la fin des années 80, c’était vraiment hideux. Tellement hideux que j’avais envie d’une silhouette avec des épaules plus serrées, des boutons plus haut, quelque chose de plus minimal, avec des références très rock’n roll, sixties et seventies. J’ai commencé par de l’homme, en réaction à ce que l’on ne trouvait pas. J’avais envie de quelque chose à moi. Quand c’est sorti, les hommes, qui aiment les choses fonctionnelles, n’ont pas forcément vu ce que je voulais faire. Ce sont les femmes qui ont compris que je faisais de la mode.

Et vous, aviez-vous conscience que vous faisiez de la mode ?

Je savais que je n’étais pas en train de faire des basiques. Je le savais parce que j’avais ça dans le sang : faire une mode homme minimale. Mais je savais qu’il fallait aussi autre chose. Dès le départ, j’ai collaboré avec des stylistes et des photographes qui ont sublimé les vêtements. Très tôt, j’ai travaillé avec des personnalités comme Carine Roitfeld ou Marianne Chemetov. Ce qui a tout de suite donné une dimension forte à cet ensemble.

1987, c’est dix ans après le punk. Etait-ce une influence, notamment dans la façon de faire ?

La référence au punk m’amuse. Dans mon calendrier d’histoire de la mode, les choses s’inscrivent ainsi : Cristóbal Balenciaga craque en 1968 et Yves Saint Laurent est génial de 1968 à 1977. Ensuite, il ne comprend plus le monde de la même manière, il ne voit pas le punk. En m’autoanalysant, en regardant mon parcours, je crois que j’ai cherché de la radicalité dans le politique, puis dans le rock très pointu, très précis, en ne m’intéressant qu’à des choses comme le rock psychédélique garage américain des années 60, un truc de nerd, puis le pub rock et ses sons très particuliers. Du punk, j’adorais le son et la lumière. Je me souviens des concerts des Sex Pistols, où ils avaient la lumière dans la gueule, ce qui leur donnait un air blafard… Cela dit, personnellement, je n’ai jamais voulu faire ressortir sur les vêtements la révolte que j’éprouvais.

Pour quelles raisons ?

Parce que c’est ma formation. Quand j’étais militant révolutionnaire, après 1968, dans un parti trotskiste, on nous a appris qu’il fallait avoir l’air super-respectable. J’étais dans un parti qui voulait prendre d’assaut l’Elysée, nous avions tous des noms secrets. Il fallait avoir des allures d’étudiants respectables : belles chemises, pantalons en velours côtelé. J’adorais la conspiration dans l’élégance. Il ne fallait surtout pas avoir l’air d’être le mec qui va déclencher la grève. Mon parti politique aimait les belles sapes. Ça m’a marqué et ça m’a structuré. L’idéologie, les idées, l’allure. J’ai suivi ces gens-là à cause de leur allure, comme j’aurais suivi un groupe de rock.

Comment êtes-vous sorti de l’engagement politique ?

Par un dégoût du rythme de vie. Tu dois faire tes études, être le meilleur, tes chefs te le demandent pour être crédible au moment de faire la grève. Et puis il y a les réunions interminables, les lectures de textes théoriques. L’odeur du tabac sur tes vêtements, si forte que tu es obligé de les laisser pendre sur le balcon en rentrant chez toi à 2 heures du matin. Avant de te réveiller tôt le lendemain pour aller distribuer des tracts à l’île Seguin devant les usines Renault, où les ouvriers te marcheraient dessus s’ils le pouvaient parce que tu les fais chier, qu’ils n’en ont rien à foutre de ton tract ou de ton journal. Il est 6 heures du matin, et ta révolution, ils n’en veulent pas.

Je ne le théorisais pas à l’époque mais j’ai compris que ça n’en valait pas la peine. J’ai été engagé entre 16 et 24 ans. Et j’ai compris vers 23 ans que l’on n’arriverait jamais à faire la révolution. Rétrospectivement, je peux dire que j’ai bouffé trop de Marx et pas assez de Nietzsche.J’avais besoin de quelque chose de plus sensuel. Et c’est comme ça que je suis parti dans une obsession complètement inspirée d’Easy Rider, mais en Amérique du Sud, pour faire la route pendant un an.

Votre aventure militante a-t-elle été votre “école de commerce”, votre formation ?

Tout à fait. Une école de commerce, et une façon d’apprendre à gérer les moments les plus rudes. Je ne suis pas un garçon de la rue, je ne me bagarrais pas. Mais là, je me retrouvais dans des circonstances tendues, face au service d’ordre de la CGT, avec des métallos aux mains grandes quatre fois comme les miennes. Des situations de conflits physiques. Je me souviens d’un congrès de la MNEF (Mutuelle nationale des étudiants de France, ndlr) à Marseille avec en face de nous des syndicalistes du taxi, contrôlés par Gaston Defferre. Pas facile non plus.

Faire débrayer un amphi : arriver à 8 heures, saisir le micro du prof, voter la grève. Tout cela, je l’ai fait. Alors, maintenant, organiser des meetings avec des banquiers, présenter des collections : je ressens une anxiété, à chaque fois, mais je sais que je peux le faire parce que j’ai réalisé pire… Et puis surtout, la politique m’a appris à être minoritaire et à résister quand même. Je savais au début d’A.P.C. que ce ne serait pas un succès immédiat. Du coup, je me suis donné les moyens de résister pour durer.

Quels moyens ?

J’étais “ghost designer”. Je réalisais les dessins, le style, la fabrication, la livraison pour d’autres marques en restant anonyme. C’est un modèle économique que les gens qui démarrent aujourd’hui ne veulent pas avoir. Ils préfèrent lever des fonds, mais en faisant ça, ils perdent le contrôle de leur business. Moi, quand j’ai vu mon père faire faillite, vendre l’appartement, les tableaux, je me suis dit : ça ne doit jamais m’arriver. J’ai compris qu’il ne fallait jamais demander de l’argent à une banque. Que tout doit être préparé très à l’avance, mener une bataille que l’on est certain de gagner. Il a toujours été hors de question qu’il m’arrive des bêtises du point de vue financier. Personne ne m’a pas payé. Je me suis organisé. Et c’est peut-être ça qui a aussi influencé le côté utilitaire de ce que j’ai créé.

Au début, vous êtes combien à monter A.P.C. ?

Nous sommes deux. J’étais le seul associé, avec un employé. Comme Jerry Lewis, qui disait : “Dans mes films, il n’y a que le rôle du cheval que je ne joue pas.” Je ne faisais pas les patrons mais je m’occupais de la recherche des tissus, du style, des dessins, de la fabrication. J’avais une vie de marin pêcheur. Je me levais très souvent à 3 heures du matin pour être à l’ouverture des usines en Vendée à 9 heures.

Vu le rythme, avez-vous parfois eu envie d’abandonner ?

J’aurais pu ne travailler que pour d’autres labels. J’ai collaboré par exemple avec la marque Joseph. Je dessinais tout, des camions entiers de vêtements. J’aurais pu en vivre très confortablement. Bâtir une industrie en faisant la même chose pour plusieurs marques. Mais j’avais une vision.

A quoi ressemblait votre vie à ce moment-là ?

Dr. Jekyll et Mr. Hyde. C’était très strict. A ce moment-là, tout en créant mes collections en référence au workwear, à mes années militantes et à Samuel Beckett, dont la présence physique m’inspirait beaucoup, je dessinais aussi des leggings en jersey Stretch imprimé python par milliers, pour financer l’achat du denim brut au Japon. La partie industrielle me servait de banque. Et parallèlement, je creusais pour réaliser de belles photos avec de bons photographes. C’était plus que de l’ambivalence, c’était schizo et très intégriste. Du minimalisme intégriste. Je théorisais sur le noir, par exemple. Parmi les couleurs que je choisissais, il n’y avait que des marine, des gris foncé, des kaki et des noirs. Ma mère en était très effrayée.

Pourquoi la référence à Beckett ?

Ma rencontre à 15 ans avec la famille de l’éditeur de Beckett, dont le fils était alors mon meilleur ami, a été un moment crucial de ma vie. Cela m’a forgé, fasciné. J’étais persuadé qu’on ne peut pas faire plus beau que Beckett et je le crois encore maintenant. L’essai qu’il a écrit à 24 ans sur Proust : comment peut-on être aussi intelligent ? Il y a une pureté dans son écriture… J’ai découvert cette littérature par mon ami et ce n’est pas le cursus normal, qui consisterait plutôt à lire Balzac, Zola, Proust si on en a la patience. Cela n’a pas été mon cas. Ma mère s’est d’ailleurs beaucoup moquée de moi et je n’ai pu lire Proust qu’après sa mort. J’ai l’impression que c’était lié, tout cela : la recherche de radicalité dans la politique, puis dans la musique, la littérature, la mode.

En quoi la position de Beckett vous intéressait-elle ?

Etait-ce parce qu’il était un étranger en France qui écrit dans une autre langue que la sienne ? Oui, ça me fascinait, je trouvais cela admirable : il y a peu de gens qui puissent contrôler l’anglais et le français, s’exprimer dans deux langues.

Beckett venait d’ailleurs. Etait-ce important pour vous, né en Tunisie ?

C’est un point sensible. A 9 ans, j’arrive de Tunisie et je ne sais pas que je suis juif. Ma famille était voltairienne, laïque. Nous ne parlions pas de ces sujets-là. Je savais juste qu’il y avait des choses en cuisine, des repas et des périodes de l’année durant lesquelles nos familles étaient contentes de faire goûter leurs spécialités à d’autres familles. Qui elles-mêmes à d’autres périodes nous invitaient à goûter leurs propres plats. Le mot communauté et ce genre de choses : je n’avais aucune idée de ce que cela signifiait.

Pendant longtemps, grandir dans ces pays influencés par la culture française, c’était comme vivre dans une province de la France. Maintenant, venir d’ailleurs, c’est très triste. Depuis une dizaine d’années, l’antisémitisme multiforme m’asphyxie, j’ai l’impression qu’on est revenu en arrière, avec ces théories du complot qui font croire aux gens que les juifs contrôlent les banques, les médias, le business… Il faut lâcher les gens avec leurs croyances ou leurs non-croyances. J’ai beaucoup de copains dont j’ignore la religion et je me fous de la connaître.

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Source grazia

 

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2 Comments

  1. Un peu lourd et sans interet ….marx lenine , trotsky son inspiration ..pour faire du fric , et il en a , tant mieux pour lui .vive la revolution ! Il a fait parti des idiots utiles Juif , et il en reste des traces indelibiles !

  2. … Froid et discret, j’suis au KGB, ***, ***, simple comme A.B.C
    C’est des comiques comme A.D.C (Eh), Mike Amiri, pas de A.P.C (Nan)
    Converti l’occas’ à chaque essai, tous les couplets, c’est des AVC, pétasse

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