Je devais prendre des gens en otage dans une synagogue

En juillet 2015, E. est condamnée à quatre mois de prison pour apologie d’un acte de terrorisme. Cette jeune Béthunoise avait été endoctrinée par l’État islamique via Internet et sans sortir de chez elle. Nous l’avons rencontrée. Ce témoignage figure en intégralité dans un hors-série, « Les enfants nordistes du jihad » qui sort ce mercredi (1).epinal_synagogue

Immenses, lumineux, ses yeux verts fixent parfois sans voir lors de secondes qui s’étirent. À 30 ans, E. vient enfin de quitter la maison de ses parents pour vivre en appart’ à Béthune. Ses heures à l’hôpital de jour, où elle est toujours suivie, lui pèsent : «  On joue au Memory…  » Elle comprend mieux ses rendez-vous obligatoires avec les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) ou ceux avec le CAFFES, l’association qui la suit : «  Il y a une logique.  »

Elle se sent seule, dit-elle et elle ne sait pas encore trop où elle va. Elle fait une pauvre blague pourtant : «  Avant j’étais plus entourée !  » Forcément avec 500 contacts sur Facebook et des dizaines de messages de 8 h à 3 h du matin : «  Je ne dormais presque plus. Un contact de Lyon m’envoyait du Captagon (2) par courrier. Je ne ressentais plus rien.  » Nicole, sa maman, confirme : «  On aurait dit un robot c’était horrible.  »

Le recrutement de E. a lieu en 2012

«  Je sortais d’une relation atroce, je venais de perdre mon emploi de femme de ménage, j’étais complètement déprimée.  » Très claire, précise, E. s’exprime bien et, au bout de trois heures d’entretien, elle raconte tout aussi nettement le viol dont elle a été victime à 11 ans : «  Le garçon a été relaxé au bénéfice du doute. Je m’en suis jamais remise.  »

Elle traîne sur le site skyrock.com lorsqu’un certain Salem la contacte.

Ils parlent de tout, de rien, d’elle puis d’islam, beaucoup. Sur Facebook, Messenger, Viber. Il lui écrit du matin au soir. En  juin 2014 – «  pour mon anniversaire  » – il la convertit via Skype. Une semaine plus tard, elle reçoit un courrier qui confirme son appartenance à l’État islamique. Puis un voile et un coran. Ses contacts se multiplient, les messages de haine à l’encontre des « kouffars » s’empilent. On lui propose des faux papiers, un mariage pour partir en Syrie… «  Salem m’avait ordonné de ne plus voir mes parents, mes frères, je ne sortais plus de mon appart’.  »

En 2014, Salem lui demande de se faire sauter avec une ceinture d’explosifs  : «  Cela devait être un endroit avec du monde que je devais connaître au dernier moment. Mais j’ai eu une forme de réflexe de survie, j’ai fait une tentative de suicide…  » De nouveau, ce pauvre sourire.

Alertés par des parents qui s’inquiètent, les pompiers découvrent une jeune femme qui délire en arabe. La police lance une enquête. E. est fichée S  : elle doit se rendre au commissariat tous les mois : «  Cela ne me faisait rien.  »

Les dizaines de vidéos sanglantes qu’elle reçoit ne l’atteignent pas non plus : elle les partage avec conviction. Et puis un groupe se monte : un homme de 37 ans d’Aulnay-sous-Bois cherche des hommes et des armes. « Je devais prendre des gens en otage avec une kalachnikov dans une synagogue à Marseille.  » Le 15 juillet à 6 h, la PJ de Lille débarque chez elle.

Pendant le procès, E. «  commence à réaliser  ». Elle prend quatre mois ferme et un an de sursis pour apologie d’un acte de terrorisme.

Elle refait surface, «  sort de ce cauchemar  ». Aujourd’hui, elle accepte qu’on l’appelle par son prénom de naissance et non plus Soumaya : «  C’est la première femme martyre morte pour l’islam, j’aimais bien.  »

1. Nos journalistes ont cherché à comprendre pourquoi des jeunes de Lens, Roubaix ou Villeneuve-d’Ascq s’étaient radicalisés. Ils ont recoupé les comptes rendus de procès, les rapports de police, les témoignages de parents. Ils ont aussi interrogé ceux qui s’intéressent de près aux jihadistes de France, ils se sont intéressés à ceux qui ont décidé de lutter contre la radicalisation. C’est le résultat de cette enquête – sans équivalent dans une région de France – que nous publions. «   Les Enfants nordistes du jihad », 3,90 €, en vente dans les points presse.

2. Le Captagon ou « drogue des jihadistes », est un dopant qui entraîne une perte de jugement.

Source lavoixdunord

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