
Rudolph Valentino, Elvis Presley, James Dean, Gérard Philippe, Alain Delon, Georges Clooney ou Brad Pitt peuvent aller se rhabiller. La star, c’est Daniel Hagari ! Je suis tout émoustillée rien qu’à l’évocation de ce nom. Daniel Hagari. Il est face à la caméra, il nous regarde dans les yeux, sa voix grave est sexy, il se tient droit. J’ai l’impression qu’il ne s’adresse qu’à moi. Sa peau aime la lumière des projecteurs. Il ne sourit pas mais je sens qu’il pourrait être heureux. Il bouge à peine les bras , parfois il lève la main vers une carte ou une image, tourne la tête. Il s’exprime parfaitement en hébreu et en anglais. Il émane de lui de la force, de la sérénité, de la vérité. Daniel Hagari, la nouvelle star de notre petit écran. Le Général. Le porte-parole de l’armée Israélienne. Le tranquillisant national. « You can call me Daniel ». La vedette qui habite notre salon depuis le 7 octobre.
Après l’entrée militaire au Liban, Yoni et moi étions devant notre télé, scotchés aux informations. Toutes les chaines diffusaient en boucle des images de soldats traversant la frontière, de maisons bombardées des deux côtés, d’habitants ayant fui leur village depuis un an. Soudain on a senti la tension montée dans les studios. Les journalistes semblaient savoir quelque-chose qu’ils ne pouvaient encore confirmer. Il y avait de l’électricité dans l’air. Un journaliste de guerre a enfin laché le morceau ; « d’après des sources américaines l’Iran va attaquer Israël ». Des sources américaines… pfut. Il nous faudrait un peu plus de détails. Ça veut dire quoi « attaquer » ? On ne leur a rien fait, nous, on n’a même pas de frontière avec eux ! Lorsqu’on ignore ce qu’il faut craindre, la peur devient de l’anxiété, qui se transforme en angoisse, qui devient de la terreur puis c’est la PANIQUE ! L’Iran va attaquer ! bombarder ! L’Iran veut rayer Israël de la carte ! L’Iran va tout détruire sur son passage ! L’Iran est une puissance militaire, 88,55 millions d’habitants ! Bientôt la bombe atomique ! Nous on n’est même pas 10 millions. YONI ?!? Passe-moi le téléphone, je veux dire adieu à mes amis en France, non, je vais plutôt mettre un seau dans l’abri, attend, non, je vais chercher le chat (je ne vous l’avais pas dit jusqu’à aujourd’hui parce qu’il n’était pas en danger, mais j’ai aussi un chat). YONI !?! L’Iran, c’est l’Iran qui nous menace… A ce moment, Daniel Hagari est entré dans mon salon. Il n’y avait plus que lui sur l’écran. Il a planté son regard dans le mien et il a dit, de sa voix réconfortante et ferme « nous allons être attaqué par l’Iran, vous allez respecter les consignes : vous ne sortez pas, vous restez dans l’abri jusqu’à nouvel ordre. Pas 10 minutes comme d’habitude. Je reviendrai». Il est parti. Je me sentais hypnotisée. Je répétais, les yeux écarquillés « il ne faut pas paniquer. Tout est sous contrôle. Daniel Hagari va revenir ». Les journalistes n’en menaient pas large. Il y a eu une alerte et ils ont dû diffuser de leur bunker. Puis l’écran s’est mis à clignoter de tous les côtés. Tout le pays était bombardé, du Nord au Sud. Des points rouges sur toute la carte. On a vu des ballets de tirs dans le ciel, les étincelles, des projectiles, des boums, Daniel Hagari est revenu. « Il n’y a aucune victime, nous interceptons tous leurs missiles, restez protégés, vous êtes extraordinaires » (il m’a rappelé la sage-femme qui m’encourageait lors de mon atroce accouchement). Le silence dans les rues, dans l’immeuble. L’aéroport fermé. Israël s’est arrêté de respirer. Daniel Hagari est réapparu sur les écrans : « C’est terminé ». Pas les menaces de roquettes provenant du Liban, pas la guerre à Gaza, pas l’attentat à la mitrailleuse à Jaffa – 7 personnes massacrées, pas le calvaire des 101 otages. L’attaque de l’Iran.
On pouvait reprendre notre vie « presque » normale.
On était tous ahuris après cet épisode apocalyptique.
Vivants.
© Rachel Darmon

Née à Paris, Rachel Darmon vit en Israël depuis plus de 30 ans. Professeur de français, éducatrice, guide touristique, elle a toujours écrit. Lauréate du « Prix des arts et des lettres » pour sa nouvelle « Le mur du bruit », elle a publié deux romans chez Folies d’encre : « Le gâteau de Varsovie » et « Tâter le diable ».

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