Bravo, mon frère. Par Charles Rojzman

Paris, samedi soir : une victoire du PSG, la coupe levée comme une idole d’or sous les projecteurs, les foules haletantes, exultant dans la nuit saturée de fumigènes, de klaxons, de cris rauques. On danse sur les capots, on grimpe aux réverbères, on martèle le sol d’un pied impatient, ivre, vibrant.

Mais déjà, l’ombre. L’ombre qui rampe sur les trottoirs, qui explose en pavés arrachés, en vitrines éventrées, en scooters calcinés, en silhouettes cagoulées courant sous les gyrophares.

Ce n’est plus une fête, c’est une liturgie noire. Et partout, frappant les regards comme des gifles : les drapeaux palestiniens. Brandis haut, agités avec rage, balayant l’air où flottait autrefois le bleu-blanc-rouge. À leur place : le vert, le rouge, le noir, comme une signature, une provocation, une déclaration de guerre symbolique.

Ce drapeau devient ici l’étendard d’un islamisme triomphant, qui ne cache plus son projet : effacer Israël, conquérir l’Occident, planter sa bannière sur les ruines de la République.

Et là-haut, dans les hauteurs d’un pouvoir devenu sourd, le président sourit : « Bravo mon frère », glisse-t-il, comme on jette une rose fanée sur une tombe ouverte.

Mais les violences collectives ne surgissent jamais d’un ciel clair. Elles sont comme ces orages d’été qu’on sent monter longtemps à l’avance : dans l’épaisseur de l’air, dans le silence des bêtes, dans la lourdeur du ciel. Elles murissent lentement, dans l’amertume, dans les frustrations rentrées, dans les replis communautaires où fermente la haine. Elles germent au cœur des sociétés fracturées, rongées par le soupçon, par le mépris, par l’usure de l’idéal commun. Et alors, il suffit d’un souffle, d’une étincelle, pour que tout s’embrase.

Sarajevo, Beyrouth : jadis vitrines idéalisées d’un vivre-ensemble bigarré, désormais noms gravés sur les pierres tombales de l’histoire. Le mythe romantique d’une coexistence heureuse entre Juifs et musulmans au Moyen-Orient oublie les humiliations codifiées, les discriminations patiemment infligées, le statut précaire des minorités : tolérées, mais à genoux, protégées, mais vulnérables, comme des oiseaux sous cloche.

Ce n’était pas l’égalité, c’était l’attente du choc. Comme ailleurs. Comme toujours. Hutus et Tutsis partagèrent les mêmes terres, les mêmes semailles, les mêmes veillées, jusqu’à ce que la politique vienne, comme une faux, séparer les têtes des corps, raviver les différences, transformer les visages aimés en ennemis.

La paix sans justice n’est qu’un vernis — et sous ce vernis, la fracture, le précipice, le gouffre qui attend. Quand l’économie chancelle, quand les élites se délitent, quand la langue commune se défait, on se cherche des racines, un socle, une appartenance. Mais si ce besoin n’est pas élevé par l’éducation, la culture, la beauté, il se replie, il s’aigrit, il se racornit.

Alors on se rabat sur des identités closes, sur des drapeaux rêches, sur des mythes rances. On fabrique des coupables, on simplifie l’inextricable. L’autre devient le bouc émissaire : le juif, le sioniste, le riche, le laïque, l’occidental. Peu importe : ce qui compte, c’est l’ivresse de la haine, ce vin noir qu’on boit à la coupe, jusqu’à en perdre raison.

Et qu’on ne s’y trompe pas : les révoltes populaires, souvent, enfantent des monstres. Elles accouchent de nouveaux maîtres, plus cruels que les anciens. Derrière le cri pour la liberté se cache souvent la soif d’un gourou, d’un chef, d’un dogme. Les printemps arabes ont fleuri dans l’espérance et ont fané dans l’obscurantisme. L’Europe sait trop bien que la colère des peuples peut enfanter le fascisme, ce visage défiguré de la nation. Ces révolutions ne réveillent pas : elles engourdissent. Elles rejettent l’autorité pour mieux se jeter dans les bras d’un pouvoir plus dur, plus total. Elles crient à l’émancipation et réclament une idéologie qui pense à leur place. Ce n’est pas un pas en avant, c’est un pas en arrière, une régression vers l’indistinct, vers la masse, vers l’obéissance aveugle. On ne conquiert pas la liberté en l’offrant à un prophète de haine. La haine, fille de l’humiliation, devient poison quand elle se fige en système. Dans ce monde désorienté, la pensée complotiste est une berceuse douce-amère, qui apaise les angoisses par des récits simplistes. Elle désigne des coupables, elle dispense de la responsabilité, elle tisse autour des esprits un brouillard où tout devient possible, où la violence se pare des atours de la légitimité. Et voilà qu’au cœur même de Paris, un islamiste, debout sur un terre-plein, tend les bras à la foule, appelle à l’intifada comme on invoquerait les vieilles furies : « Réveillez-vous ! Levez-vous ! Faites l’intifada ! » — et les rues résonnent de ce mot ancien, devenu cri moderne. Les slogans claquent, les poings se lèvent, les téléphones filment, les réseaux amplifient : les batailles d’ailleurs deviennent les slogans d’ici. Un écho direct à là-bas, où Israël lutte contre cet islamisme du Hamas, qui ne veut d’arrêt au soi-disant génocide qu’à ses conditions inacceptables, dictées par la haine, nourries de l’obsession d’effacer l’autre, d’anéantir ce qu’il est.

Ici comme là-bas, le fanatisme se dresse, exige, hurle, réclame la soumission. Et nous feignons de ne pas entendre, de ne pas voir. Et non, le mal change de masque. Il a porté la faucille, la croix gammée. Les djihadistes invoquent le Coran comme les nazis invoquaient la Germanie éternelle, comme les maoïstes exaltaient le Petit Livre rouge. Tous revendiquent une Vérité supérieure, indiscutable, pour justifier les pires brutalités. Boko Haram — ce cri qui dit : « l’éducation occidentale est un péché » — prolonge le souffle des révolutionnaires de la Terreur, de tous ceux qui disent : penser est un crime, la liberté est une hérésie. Ce n’est pas une lutte pour la justice : c’est une revanche contre la nuance, contre la complexité, contre la liberté même. C’est une guerre contre la modernité, contre les Lumières, contre la dignité humaine.

Frapper un pompier, blesser des policiers, incendier une voiture, traquer des enseignants au nom d’un dieu offensé : voilà le visage moderne de la barbarie. Ce ne sont pas des actes de bravoure, ce sont des actes de lâcheté. Ce n’est pas une révolte, c’est un suicide civilisationnel. Et que certains politiciens, au nom d’un antiracisme dévoyé, excusent, glorifient, justifient ces violences, c’est une trahison. Une trahison des valeurs universelles, de la liberté, de la justice, de l’égalité réelle.

Pendant ce temps, la culture populaire s’extasie devant des mondes où la violence règne sans partage. Game of Thrones, les jeux vidéo, miroirs de notre époque, les films d’horreur fascinent parce qu’ils racontent un univers où la force prime, où la loi du plus cruel l’emporte, où la pitié est morte, où la vérité s’efface sous le poids du fer et du sang.

Le fanatique ne frappe jamais les puissants réels. Il s’acharne sur les faibles, les isolés, les symboles. Il hait ce qu’il envie et ne peut atteindre : la liberté, la maîtrise de soi, la connaissance. Il attaque ce qui lui renvoie son propre échec. Et il le fait en meute, comme les bêtes lâches. Sa foi n’est qu’un masque, son idéologie un prétexte. Ce qu’il aime, c’est nuire. Ce qu’il vénère, c’est détruire.

Et nous, pendant ce temps, reculons. Nous débattons de savoir s’il faut encore enseigner Voltaire. Nous tremblons à l’idée de condamner la violence, de peur d’être traités de racistes, d’islamophobes, de réactionnaires. Nous appelons « culture » des pratiques qui justifient l’asservissement, la mutilation, le viol. Nous laissons l’école devenir un champ de ruines idéologique. Nous acceptons, au nom de la tolérance, l’intolérable. Nous sommes à l’instant du basculement. Ce que nous vivons n’est pas un simple accès de violence, c’est une menace directe, une fracture vive, une déchirure ouverte sur ce que l’humanité a mis des siècles à construire : la raison, la liberté, la dignité.

Le fanatisme avance parce que nous reculons. Il se nourrit de nos silences, de nos renoncements, de notre peur d’affirmer que certaines valeurs valent plus que d’autres. La barbarie ne revient pas en haillons. En survêtement et en cagoule, elle revient aussi en costume, en tribune, en réseau, en chaire. Elle infiltre nos écoles, nos médias, nos institutions.

Et pendant qu’elle avance, ceux qui devraient la combattre l’analysent, la justifient, la normalisent. Qu’ils profitent bien de leurs éditoriaux lénifiants, de leurs dîners en ville, de leurs postures progressistes : ils seront, eux aussi, balayés. La bête ne fait pas de distinction. Elle dévore tout. Même ses complices.

© Charles Rojzman


Vient de paraître: « Les Masques tombent, le réel, arme secrète de la démocratie »

Quatrième de couverture :

« Sous les secousses visibles d’une époque en crise, quelque chose de plus profond vacille. Une âme. Celle d’un monde qui ne sait plus très bien ce qu’il cherche, ni ce qu’il fuit.

Dans l’âme de fond d’une société en crise, l’auteur descend au plus intime de la tempête. Il ne s’attarde pas aux symptômes — désordres politiques, fractures sociales, angoisses climatiques — mais tente d’en écouter le souffle souterrain, ce murmure confus d’une civilisation en perte de sens.

Quel est ce mal diffus qui ronge les sociétés modernes ? Quelle fatigue secrète traverse les individus, les peuples, les discours ? Et si la véritable crise n’était pas tant celle des systèmes, mais celle du cœur, de l’imaginaire, du lien ?

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5 Comments

  1. Parfait état des lieux. Pour le moment ceux qui subissent sont dans une exaspération qui reste encore contenue dans la cocotte-minute.. mais pour combien de temps ?.. Ceux qui sont aux manettes du pays ont-ils enfin pigé que la pression sous le couvercle est à son maximum ?..

  2. merci pour votre article
    c est la honte les propos de macron
    le qatar et son implication auprès du hamas’´
    les barbares étaient sur place
    tout est dit et cela ne servira à rien

  3. Tout est dit, pas un mot ne manque. La manipulation mentale base commune du communisme et de l’islamisme, rendait inéluctable l’avènement de ce cocktail explosif. La médiocrité des gouvernants et de l’électorat Occidental, d’utopie en dystopie l’a rendu possible. L’Afrique en pleine bascule.. Le grand calife Erdogan peut rester serein.

  4. J’ ai hônte mais vraiment honte de cette France , déliquescence nous sommes là risée du Monde .
    Et nous avons à notre tête du gouvernement de M…. avec comme commandant in « chief » un guignolo pseudo intello qui ne comprends rien à rien complètement hors sol dans tout ses propos que cette personne tient .
    J’en perds mes mots je ne sais plus quoi ajouter si ce n’est que j’ai peur de cette France.
    Car elle est devenue une décharge a ciel ouvert et qui accueille toutes cette M….. du monde .
    Ici la justice punie les honnêtes qui travaillent ,qui lèvent tôt et on gratifié ceux qui cassent ,qui tient pas de justice.
    Vivement les prochaines élections en espérant que cela change pour de bon

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