Être Israël, Pas se justifier – Par Nicolas Carras

La présence juive sur la terre d’Israël ne se fonde pas sur une morale universelle abstraite, ni sur un droit philosophique que le monde pourrait juger depuis l’extérieur, mais sur la morale juive elle-même, sur la pensée juive, sur la Torah comme logique interne d’existence. Rachi le dit dès le début : si les nations accusent Israël d’avoir pris une terre qui ne serait pas la sienne, la seule réponse n’est pas historique ni morale au sens occidental, mais que toute la terre appartient à Dieu et qu’Il la donne à qui Il veut, donc à Israël, ce qui signifie que la légitimité d’Israël n’est pas à négocier dans le langage des autres mais à assumer dans le sien ; la Torah n’est pas une sagesse parmi d’autres mais l’ordre même de la vie d’Israël.

Le Maharal rappelle que Dieu ne s’est pas révélé à une humanité abstraite mais à un peuple concret, lié à une terre concrète, de sorte que vouloir justifier Israël par une morale universelle revient déjà à trahir sa source, car la pensée juive n’est pas un universalisme mais une fidélité au particulier, à l’alliance, à une forme de vie, et c’est pour cela qu’il est vain de chercher sans cesse à expliquer Israël au monde occidental dans ses propres catégories morales : soit il comprend qu’il existe une logique qui n’est pas la sienne et il l’accepte, soit il ne comprend pas et alors il cherchera à tordre le réel juif pour le faire entrer dans ses cadres.

Rav Kook l’a dit, Israël ne reviendra à lui-même que lorsqu’il cessera de vouloir être comme les nations, car sa justification n’est pas d’être reconnu mais d’être fidèle, et c’est pour cela que la seule chose à “envoyer” n’est pas un discours bancal adapté aux morales des autres, toujours prêtes à dire leur bien à elles, mais la Torah elle- même, non comme argument mais comme présence, comme fait, comme manière d’habiter le réel.

La vérité d’Israël ne se prouve pas, elle se vit ; Israël doit cesser de ne pas être Israël, cesser de se définir par des catégories étrangères, cesser de multiplier des compromis identitaires avec ceux qui ne veulent pas comprendre sa logique propre. Lorsqu’Israël se définit par autre chose que sa vocation, il se dissout.

L’existence d’Israël est un fait avant d’être une idée et elle ne demande pas permission ; le peuple juif n’a donc pas à s’expliquer en dehors de la morale juive, en dehors de la Torah. Certains non-juifs le comprendront, parce qu’ils sauront reconnaître une vérité qui n’est pas la leur, mais ceux qui refuseront et voudront empêcher Israël d’être Israël, ceux qui persisteront à vouloir plier le réel juif à leurs normes, devront être combattus et arrêtés, non par haine mais parce qu’il y a là une incompatibilité de visions du monde, déjà formulée dans la tradition, et si Israël a tant cédé, tant concédé, tant cherché à entrer dans le langage moral des autres, c’est souvent au prix de l’oubli de lui-même, alors qu’il n’a pas à demander sa place : il l’habite, par la Torah, par l’alliance, par cette morale juive qui ne prétend pas être celle de tous, mais qui est la sienne, et qui suffit.

Dans un monde post-moderne qui prétend avoir dépassé les identités, les héritages et les vérités fortes, la complexité est que cette ère se dit tolérante tout en vivant dans la suspicion permanente, déconstruisant toute singularité pour la dissoudre dans une grande soupe indifférenciée, où chacun serait sommé de n’être plus qu’un individu abstrait, sans histoire, sans nom, sans logique propre, mais où, paradoxalement, le Juif ne cesse d’apparaître comme une anomalie, car le nom même de Juif porte en lui, qu’il le veuille ou non, qu’il l’assume ou le rejette, la logique juive, la trace d’une alliance, d’une mémoire, d’une loi, et c’est précisément cela que le post-modernisme ne supporte pas, car il ne cherche pas seulement l’égalité mais l’effacement, non la coexistence des différences mais leur neutralisation ; ainsi, sous couvert d’universalisme, il tend à vouloir anéantir ce qui résiste à la fusion, et l’histoire montre que tout projet universalisant, totalisant, qu’il soit religieux, politique ou idéologique, a toujours fini par mettre les Juifs à part, comme si, dans chaque système qui prétend parler au nom de tous, le Juif ne pouvait jamais vraiment trouver sa place, ni dedans ni dehors, toujours suspect, toujours en trop, parce qu’il rappelle par sa seule existence qu’il y a un reste irréductible, une fidélité qui ne se laisse pas absorber ; la difficulté aujourd’hui est donc de continuer à être dans un monde post-moderne qui se proclame ouvert et pluraliste, mais qui en réalité ne tolère que ce qui accepte de se dissoudre, et qui regarde avec méfiance toute identité qui ne se laisse pas déconstruire, de sorte que la tolérance affichée devient une intolérance déguisée, et que la logique juive, parce qu’elle refuse la soupe et maintient une forme, une loi, une continuité, se retrouve de nouveau visée, non plus au nom d’une vérité absolue, mais au nom d’un relativisme qui, au fond, n’accepte que lui-même.

© Nicolas Carras

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