
Cela a commencé dans la poussière de Jéricho, dans l’odeur âcre des pneus brûlés et des figues trop mûres. Comme toujours, le mal arrive en sandales, le front ceint d’une cause sacrée. Les Palestiniens — ces héros d’un théâtre antique où le sang des enfants fait office de chœur — sont devenus l’étendard bariolé des damnés de la terre, contre l’homme blanc, contre le pouvoir, contre les murs peints à la chaux des ambassades occidentales.
À Istanbul, Mein Kampf se vend comme des loukoums. Au Caire, les Protocoles se lisent entre deux versets. Hitler n’est pas mort : il a changé d’uniforme. Il porte désormais la barbe de l’indigné, les baskets du militant, il brandit la fronde du résistant. La vieille musique du complot juif a été remixée à la sauce postcoloniale. À Tel Aviv, dit-on, les juifs trament la domination du monde comme on manigance une recette ancienne dans une cuisine familiale.
Mais voilà : Hitler vit aussi dans les slogans progressistes. Dans cette dialectique inversée où le Blanc est toujours coupable, où l’oppresseur est défini par sa naissance. Ce n’est plus la race aryenne qui règne, mais l’anti-race : celle du juste persécuté qui rêve, lui aussi, d’un Reich. D’un empire sans juifs, sans colons, sans occidentaux. Une utopie purgée par le feu.
À Minneapolis, un homme meurt, genou sur la gorge. À Ramallah, un autre jette des pierres sous les drones. L’image est belle. Elle plaît. Les foules européennes s’enflamment. George Floyd devient Spartacus, Ahed Tamimi l’enfant-soldat d’une guerre sainte. La nuance est morte dans les couloirs d’Instagram.
Mais il faut le dire : les génocidaires d’hier ont toujours su raconter des histoires. De belles fables. Les Jacobins et leurs suspects, les nazis et leur double hydre juive, les Hutus et leurs Tutsis à longue mémoire. Le secret est simple : désigner l’ennemi. Lui donner un nom, un visage, un fantasme. Ensuite, le peuple fait le reste, avec sa bave et ses couteaux.
L’ennemi d’aujourd’hui ? C’est Israël. C’est l’Occident. C’est l’homme blanc, patriarcal, fort d’un pouvoir qu’il n’assume même plus. Et surtout, surtout, c’est l’autorité qui doute, qui s’excuse, qui cherche à plaire. Le père faible. Le roi nu.
Dans les écoles européennes, on a remplacé le bâton par la parole douce. Les enfants ont grandi sans peur, mais non sans rage. Car l’autorité molle, cela ne se respecte pas : cela se crucifie. L’Amérique du Vietnam. Israël de 1967. L’Europe des bien-pensants. Tous sont devenus les croix de substitution d’une génération qui hait ses pères comme on hait un dieu absent.
Alors la diabolisation est là, comme une brume. Elle rampe dans les amphithéâtres, dans les rédactions, dans les dîners d’amis. Israël est un monstre. L’Amérique est une machine à tuer. La France est un reliquat colonial. Le Juif, s’il est puissant, est suspect. S’il est victime, il est sanctifié. Mais seulement dans le passé.
Pourquoi ce masque de compassion pour les morts, et ce masque de haine pour les vivants ?
Parce que cette génération ne veut pas être complice. Elle ne veut pas hériter. Elle ne veut pas transmettre. Elle veut brûler la maison et danser dans les cendres, en hurlant : « Plus jamais ça ! », sans savoir ce que fut vraiment ce ça.
Et dans le monde arabe ? Aucune repentance. Pas d’examen de conscience. Le passé est une blessure offerte à la caméra. Le présent, une attente mystique. Un rêve de retour. Une clé rouillée conservée dans un tiroir depuis 1948, comme un talisman d’un monde jamais advenu.
Le reste du monde a changé de maison. Les Grecs ont quitté l’Anatolie. Les Allemands ont fui la Prusse. Les Indiens et les Pakistanais ont échangé leurs dieux à coups de machette. Mais les Palestiniens gardent leurs ruines comme on garde une promesse de vengeance.
Et pourtant, les villes palestiniennes brillent plus que les campagnes du Nil. Les check-points sont des blessures, oui, mais aussi des sas vers un monde que l’on envie en silence. On hait ce que l’on désire. On insulte ce que l’on n’égale pas.
Et aujourd’hui Gaza saigne. Non plus seulement dans les ruelles effondrées de Jabaliya ou de Khan Younès, mais dans les cœurs occidentaux, devenus théâtre d’un nouveau Golgotha. Chaque immeuble effondré est un psaume hurlé à la face d’un monde trop rassasié pour pleurer. Dans les facultés d’Harvard, dans les rues de Paris, à Berlin, à Londres, Gaza est devenue le Graal inversé : une cause sacrée portée par des enfants qui confondent la justice avec le feu, la liberté avec l’effacement. Une ville ravagée, mais dans l’imaginaire, une Jérusalem profanée par l’envahisseur juif. À New York, on érige des tentes pour protester ; à Rafah, on creuse des fosses pour enterrer les rêves. Mais qu’importe : le mythe est plus fort que les morts.
La guerre à Gaza n’est plus un événement, elle est un miroir : l’Occident s’y regarde et ne voit que ses péchés. Alors il s’autoflagelle, supplie d’être puni, et bénit ceux qui crient le plus fort. Peu importe que le Hamas cache ses fusées dans les écoles. Peu importe que les boucliers humains soient une stratégie. Ce que l’âme culpabilisée veut, c’est un bourreau. Et Israël est parfait pour ce rôle.
Reste la grande question : la raison vaincra-t-elle la passion ? Je souris en l’écrivant. Car je sais que les passions sont les seules reines légitimes de l’Histoire. La haine est un opéra, et les peuples adorent les tragédies. L’Occident, lui, se suicide à petits feux. Non par grandeur, mais par culpabilité. Il veut expier, mais ne sait plus pourquoi.
Et pendant ce temps, les vrais cyniques avancent, kalachnikov à l’épaule, Coran ou torche à la main, persuadés que l’Histoire leur appartient. Peut-être ont-ils raison.
© Charles Rojzman
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A paraître dans 2 jours, le 23 mai : « Les Masques tombent, le réel, arme secrète de la démocratie »

Quatrième de couverture :
« Sous les secousses visibles d’une époque en crise, quelque chose de plus profond vacille. Une âme. Celle d’un monde qui ne sait plus très bien ce qu’il cherche, ni ce qu’il fuit.
Dans l’âme de fond d’une société en crise, l’auteur descend au plus intime de la tempête. Il ne s’attarde pas aux symptômes — désordres politiques, fractures sociales, angoisses climatiques — mais tente d’en écouter le souffle souterrain, ce murmure confus d’une civilisation en perte de sens.
Quel est ce mal diffus qui ronge les sociétés modernes ? Quelle fatigue secrète traverse les individus, les peuples, les discours ? Et si la véritable crise n’était pas tant celle des systèmes, mais celle du cœur, de l’imaginaire, du lien ?
Entre essai poétique et méditation lucide, ce livre invite à un face-à-face avec notre époque — non pour y chercher des coupables, mais pour y retrouver ce qui fait encore vibrer, dans les ruines, l’écho d’un avenir possible ». Charles Rojzman
Peut être l’article – si magnifiquement écrit – qui m’a le plus remué parmi tous ceux qui dénoncent cette incompréhensible culpabilité de l’Occident face au Mal. Un grand merci à son auteur.
Très bonne analyse (qui rejoint les miennes). Le Nazisme a radicalement changé de visage en l’espace de 60 ans. D’apparence, grâce à l’omniprésence de la novlangue orwellienne et de l’inversion des rôles. Mais un élément demeure inchangé : c’est la haine des Juifs. Si vous voulez faire la liste des pays ayant sombré dans le Nazisme (tous continents confondus), c’est très simple : regardez quels sont les pays où la haine antisémite est totalement banalisée dans la rue, dans les universités, dans le showbiz, dans la presse, à la télé, à la radio et dans le discours gouvernemental.
Depuis 2017, la France correspond totalement à ce cas de figure.
Et si l’Occident se reprenait , tapait du poing sur la table et balançait sa culpabilité à ceux qui veulent l’asservir,Israel se bat c’est l’exemple du courage ;un Occident lâche est un Occident perdu.
Article bouleversant dans ce face-à-face avec notre époque qui donne envie de s’enfuir à toute jambes vers un ailleurs qui n’existe, hélas ! pas sur terre.
C’est ainsi que des hommes vivent, dans la haine, la culpabilité, la frustration, la laĉheté. C’est nous, ces sois-disant civilisés de la chaîne alimentaire.
Disait Hillel l’ancien : « si je ne suis pas pour moi, qui sera pour moi ? Et si je ne suis que pour moi, que suis-je ? Et si ce n’est pas à présent, alors quand ? » Avot 1:14
Quand ?