Daniel Sarfati. Quand, à Yad Vashem, j’ai reconnu Desnos, qui n’était pas juif, qui avait refusé de se soumettre et de courber l’échine devant la barbarie

La première fois que je me suis rendu à Yad Vashem, j’étais entouré de mes copains. 

Pour la plupart, première fois comme moi, que nous nous rendions en Israël, avec un mouvement de jeunesse juive.

Un petit groupe indiscipliné, ivre de liberté,  après avoir passé notre baccalauréat, découvrant les plages de Tel Aviv, le désert de Judée et les caresses avec des filles de notre âge. 

Puis ce contraste saisissant avec Jérusalem l’austère, la religieuse, son soleil dur sur les pavés glissants. 

Les hommes en noir, les orthodoxes toujours pressés, comme si ils craignaient d’arriver en retard pour le Messie ou pour un pilpoul talmudique essentiel. 

Sur une colline, un peu en retrait de la ville, le Mémorial.

D’emblée, l’ombre et la fraîcheur des salles m’avaient saisi, j’avais presque eu froid, et le brouhaha joyeux que nous faisions s’est brusquement éteint. 

Le conférencier d’une voix calme et à peine audible, nous racontait une histoire et des histoires que je croyais connaître, mais que je n’avais pas toujours comprises. 

Me revenait en mémoire, un passage de « La nuit » d’Elie Wiesel, que mon père m’avait fait lire. La dernière nuit d’un père. 

Mais je voulais garder la tête froide et ne pas succomber à l’émotion. 

Trop facile. J’avais besoin de tout retenir, de ne pas perdre un mot, de ne pas oublier une date ou un nom. Je gardais le visage figé et les yeux secs. 

Et puis, je me suis perdu. 

Le groupe a disparu. 

J’ai erré de salle en salle, à sa recherche, pour aboutir sous un dôme avec toutes ces photos d’enfants. La canopée d’une forêt sombre et tragique. 

Je me suis retrouvé dans une autre salle, par hasard, devant la photo d’un déporté au visage hâve et épuisé. 

J’ai reconnu avec stupéfaction le poète Robert Desnos, qui n’avait pas survécu à la libération du camp de Theresiensdat. 

Desnos le rêveur éveillé. 

Desnos l’amoureux fou de Yuki. 

Desnos dont je connaissais les poèmes par cœur. 

Desnos, qui n’était pas juif, qui avait refusé de se soumettre et de courber l’échine devant la barbarie. 

Un intellectuel trahi par d’autres intellectuels. 

Desnos fantôme parmi les fantômes. 

Soudain, j’ai été pris de sanglots incoercibles. Secoué par le chagrin. 

Je n’ai pas tenu la promesse que je m’étais faite, ne pas verser de larmes. 

Comme si, cette vision du poète assassiné, avait rompu une digue et libérait en moi toute la douleur que j’avais voulu contenir.

Je suis sorti sur l’esplanade, presque en suffoquant. 

Un petit groupe de soldats, de jeunes garçons presque de mon âge avaient déposé leurs bardas et leurs fusils d’assaut et ont commencé à chanter. 

J’ai compris qu’il ne fallait pas laisser de place au désespoir et que notre peuple était toujours vivant. 

Le soleil a séché mes larmes.
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2 Comments

  1. En quelques décennies, la France est passée d’Apollinaire, Proust, Cendrars et Robert Desnos à Beauvoir et Sartre (“les Thenardier de la philosophie”) : tout le naufrage de ce pays était déjà là, avec les féminazies, Macron et
    Mélenchon en fin de parcours.

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