Massacres du Hamas : Agnès Jaoui refuse de se “laisser entraîner dans la haine”

La comédienne et réalisatrice a perdu deux membres de sa famille lors des attaques perpétrées le 7 octobre en Israël, et est sans nouvelles de trois autres proches kidnappés. Elle raconte sa “vulnérabilité” et son refus de succomber au désespoir, et dit aussi: “J’ai été choquée par le fait qu’avant même la réplique israélienne, certaines aient cherché à justifier les massacres”.

“En ce moment, quand je dis le mot juif, c’est radioactif comme terme, observe Agnès Jaoui. La parole, les mots sont devenus dangereux”. © LP/Rémy Gabalda


Noya Dan, 13 ans, et sa grand-mère Carmela Dan, 80 ans, assassinées. Erez Kalderon, 12 ans, Sahar Kalderon, 16 ans, et leur père Ofer Kalderon, 53 ans, kidnappés. Cinq noms sur une liste, cinq photos affichées parmi d’autres. Cinq membres de la lignée paternelle de la famille d’Agnès Jaoui, dont les parents ont vécu dans un kibboutz en Israël dans les années 1960, en provenance de Tunisie, et avant leur émigration en France. Des cousins, des deux côtés, sont restés dans l’État hébreu. La réalisatrice du “Goût des autres”, qui a reçu six Césars dans sa carrière, comme actrice, scénariste et cinéaste, se confie sur cette période tragique qu’elle traverse.

Entretien mené par Yves Jaeglé

Comment avez-vous appris le massacre du 7 octobre ?

AGNÈS JAOUI. Je l’ai appris par mon cousin, qui vit à Tel-Aviv. J’étais à la clôture du festival de Saint-Jean-de-Luz, il m’a appelée pour me dire qu’il se passait quelque chose de grave, et j’ai tout de suite regardé les infos. Au début, en France, on ne parlait que d’un ou deux morts, mais mon cousin me disait qu’il y en avait beaucoup plus, et au fur et à mesure de la journée, les nouvelles ont empiré. J’étais au soleil, à un festival, et en Israël, l’horreur était en cours. C’est le cousin dont je suis le plus proche, du côté de ma mère. Sa famille et lui ont passé la journée à descendre aux abris et à découvrir l’ampleur du massacre.

C’est plus tard, qu’une cousine du côté Jaoui, du côté de mon père, m’a appris que cinq membres de la famille ont été kidnappés au kibboutz Nir Oz, à la frontière de Gaza. C’est un kibboutz très à gauche, et ma famille y était pacifiste, travaillant avec les Palestiniens et œuvrant pour la paix, un kibboutz qui partage les mêmes valeurs que celui où mes parents et mon frère, après avoir dû quitter la Tunisie, ont vécu, au début des années 1960, avant d’arriver en France et ma naissance. Ces kibboutz ont toujours œuvré pour deux Etats. C’était le but du Hamas d’assassiner précisément ceux qui sont pour la paix, et de semer le chaos, dans les corps et les esprits. Quelques jours plus tard, on a appris que les corps de la grand-mère Carmela, et sa petite fille Noya avaient été retrouvés à l’entrée de Gaza, grâce à un drone qui a permis de les identifier. On est toujours sans nouvelles d’Ofer, Erez, et Sahar.

Sahar Kalderon (à gauche, au côté de Carmela Dan, assassinée), 16 ans, a été kidnappée avec son frère, Erez, et son père Ofer dans le kibboutz de Nir Oz, près de la bande de Gaza. DR

Vous les connaissiez bien ?

Non, je connais surtout leur famille, en France. Il s’agit des cousins germains de mon père, installés en Israël au début des années 1950. J’ai passé tous les étés de mon enfance avec mon frère, au kibboutz Hatzor près d’Ashdod, où on rendait visite à ma famille maternelle. On faisait du toboggan sur les abris. Ma mère est décédée depuis longtemps. Quant à mon père, il n’a plus toute sa tête et je n’ai pas voulu l’accabler.


Vous êtes en contact très proche avec cette famille actuellement…

Bien sûr, mon cousin et sa famille sont venus reprendre des forces à la maison. Cela fait trois semaines qu’ils vivent sous les roquettes et les alertes, plus de crèche, plus d’école, ni même de travail. Du côté de mes parentes Hadas et Galith, à Nir Hoz, il ne reste plus rien de leur vie au kibboutz, tout a été dévasté, elles (sur) vivent dans un hôtel, près d’Eilat.

Quel est votre état d’esprit ?

Un état de vulnérabilité que je n’avais jamais connu, et de tristesse infinie, car je vois tout le monde se rejeter la faute, avec autant de sauvagerie que d’ignorance. Moi-même, en vous répondant et en racontant les tragédies que vit ma famille, j’entends les critiques : les Palestiniens eux aussi meurent et leurs maisons sont détruites, je le sais, et j’en suis profondément meurtrie, et pour l’instant nous sommes tous et toutes perdants, mais je ne veux pas laisser la haine l’emporter, et c’est justement le sens de cette marche ce dimanche. Faire entendre ceux, qui, juifs, arabes, chrétiens, croient encore et toujours à une paix possible et refusent d’être dressés les uns contre les autres.
C’est aussi le sens du film “le Dernier des juifs”, de Noé Debré (comédie douce-amère sur une mère et son fils, derniers habitants juifs d’une banlieue dure où la famille a passé cinquante ans, en salles le 24 janvier), dans lequel je joue, et dont les distributeurs et le producteur ont décidé de maintenir la date de sortie, malgré la peur de certains exploitants de mettre le film à l’affiche. Mais si on a peur d’un film qui parle justement de ce que nous vivons, avec intelligence et subtilité, et même avec drôlerie, alors les fanatiques auront gagné. Nous avons tant besoin de pleurer, de prendre du recul, et de rire ensemble. Nous avons tant besoin de stopper le temps, de refuser les injonctions et les assignations comminatoires, et de nous reconnecter à notre humanité, avec nos doutes, notre impuissance, notre libre arbitre. C’est justement maintenant qu’on a besoin de ce genre de films, de rétablir le dialogue. Et c’est pour ça que je m’exprime aujourd’hui.

Avez-vous été choquée par le silence des artistes après le 7 octobre ?

Pas spécialement des artistes, de beaucoup de gens, j’ai surtout été choquée par le fait qu’avant même la réplique israélienne, certains aient cherché à justifier les massacres, à dire que c’était leur faute. C’est faire preuve d’une telle ignorance et d’une telle inhumanité. Il y a beaucoup à dire sur le gouvernement Netanyahou et on a mille fois le droit de le critiquer, je suis la première à le faire, on peut, on doit critiquer, discuter, remettre en cause. Mais justifier l’injustifiable, parce qu’on est enfermé dans une idéologie, me glace. En ce moment, même quand je dis le mot « juif », c’est radioactif comme terme. La parole, les mots sont devenus dangereux.


Avez-vous déjà été confrontée à l’antisémitisme ?

Non, très peu, des réflexions idiotes dans mon enfance et une professeur d’histoire-géo au lycée, si antisioniste qu’à la sortie de la classe, une élève m’a demandé pourquoi je ne retournais pas dans mon pays. Mais je serais malhonnête de dire que j’ai souffert d’antisémitisme. C’était de la bêtise. J’ai senti que je ne faisais pas partie de la majorité, voilà.

Être une minorité, c’est la manière dont vous ressentiez votre judéité ?

Exactement. D’habitude, je n’en parle pas, parce que je n’ai pas besoin d’en parler, que je sais à quelle rapidité on peut être enfermée, réduite à une étiquette, et que je n’aime aucune forme de communautarisme. Il y a mille façons de vivre son judaïsme. Je ne suis ni croyante ni pratiquante, mais je suis juive, j’ai hérité de cette culture, de son histoire. Et je sais que si j’avais vécu en 1940, on m’aurait demandé de mettre une étoile jaune et quittez votre appartement, vous n’êtes plus chez vous ici.
Mais j’ai aussi hérité d’une culture tunisienne, et française. Je revendique toutes ces appartenances, et d’autres aussi, car je suis aussi attachée à Cuba et au Brésil. Je ne crois pas que ces identités se combattent, mais au contraire, qu’elles s’enrichissent les unes les autres. Comme en musique. Comme dans l’art.

Il y a beaucoup de haine en France…

Peut-être, mais il y a beaucoup d’entente aussi et d’entraide. J’ai chanté en Tunisie, juste avant la pandémie et j’y ai été accueillie à bras ouverts. Juste avant le 7 octobre des femmes israéliennes et palestiniennes marchaient ensemble. Je ne minimise pas la recrudescence des actes antisémites, et c’est de ce sujet que le film de Noé Debré a le courage de s’emparer, mais je crois aussi, comme le film le montre, que cette recrudescence est en partie due à une grande méconnaissance, de part et d’autre, et que c’est pour ça qu’il faut, plus que jamais, ne pas laisser ce sujet aux seuls extrêmes. C’est pour ça que nous voulons aller présenter le film, dans les banlieues, dans les lycées, et débattre. Renoncer à dialoguer, c’est renoncer à l’humanité.

Présenter “Le Dernier des Juifs” en banlieue, ce ne sera pas simple dans les semaines qui viennent?

Sans doute. C’est une période difficile pour se parler, c’est pour ça qu’il faut y aller. C’est un film qui traite de tous les clichés et les préjugés que les Arabes peuvent avoir sur les juifs et vice versa et il le fait avec humanité. Je refuse de me laisser entraîner dans la haine.

Vous irez à la marche pour la paix ce dimanche ?

Je ne pourrai pas, je serai dans le train pour aller présenter un autre film. Mais je soutiens cette initiative, cette idée qu’on peut marcher ensemble, chercher des solutions, et prouver que nous ne sommes pas que des communautés dressées les unes contre les autres.

Vous y croyez, à une paix possible ?

Mes parents m’ont appris qu’on ne peut pas rester sans rien faire, rester dans sa petite bulle, dorée ou pas. Je veux y croire, oui, même si aujourd’hui elle paraît loin. Je veux croire qu’arriveront des hommes, ou des femmes, en Israël comme en Palestine, capables de construire une paix stable et pérenne. Il existe des gens de bon sens, et modérés, qui œuvrent pour la paix. On ne les entend pas beaucoup. Ils ne crient pas comme les extrémistes. Ça fait moins vendre la modération, pas de phrases chocs à transférer à ses voisins comme un virus. C’est plus complexe. Tant pis. Ce sont eux qui m’intéressent, et qui feront le monde de demain.

Que faire pour les otages ?

Ne pas les abandonner. Continuer à les faire exister, comme des êtres humains, pas juste des chiffres, qu’on opposerait à d’autres chiffres.

© Agnès Jaoui et Yves Jaeglé

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10 Comments

  1. .AGNÈS JAOUI dit :
    ” j’ai surtout été choquée par le fait qu’avant même la réplique israélienne, certains aient cherché à justifier les massacres, à dire que c’était leur faute. “.
    Ce qui a pu surprendre c’ est que le pogrom à peine finit le nombre des actes antisémites à bondi en France.

  2. On peut tout entendre mais pas tout avaler. A l’époque où je regardais encore la télévision (fort heureusement, ce vice m’est depuis longtemps passé), j’ai écouté une interview d’Agnès Jaoui au “””journal””” télévisé de Rance 2. C’était a l’époque de la loi sur le voile intégral, or sa position était du pur macro-mélenchonisme avant la lettre. La burqa ? “Il n’y a pas de quoi en faire un fromage !” s’est exclamée l’actrice que choquait cette loi…Et depuis toutes ses prises de position se sont inscrites dans la démagogie honteuse du vivre-ensemblisme qu’affectionne le monde bobo auquel elle appartient. Quoi qu’elle en dise. “Dieu se rit de ceux qui déplorent les conséquences dont ils chérissent les causes”. “je refuse de me laisser entraîner dans la haine” (“vous n’aurez pas ma haine !”) est une manière de perpétuer le discours de déni qui en réalité a toujours été et sera toujours le sien. On parie combien qu’en 2022 elle appellera a voter pour LREM ou la NUPES ?

    • Kinski, c’est un fait aujourd’hui avéré que les artistes et le monde du showbiz en général sont les courtisans serviles de la Macronie, y compris malheureusement Agnès Jaoui, dont j’appréciais les films et le talent.

  3. C’est un fait, le monde de la culture a toujours penché à gauche, dans cette même gauche qui a enfermé dans le motif fallacieux et l’imposture du racisme et de l’islamophobie, toutes les voix lucides qui alertaient sur la montée du narco-banditisme et de l’islamisme alimentés notamment par une immigration massive incontrôlée. Tous ces gens devraient aujourd’hui être mis face à leur responsabilité pour leurs positions prises depuis des décennies.

  4. La dhimmitude de la gôche masochiste qui baise goulûment les babouches islamiques me fait régurgiter le peu d’espoir qu’il me reste quant à la survie de notre civilisation judéo-chrétienne.
    “Aux armes, citoyens” n’a plus aucun sens quand le pouvoir politique a désarmé le peuple patriote français.

    • Je pense que s’il n’y à pas un politique courageux qui appelle les choses par leur nom et surtout qui prenne les décisions radicales qui s’imposent vis-à-vis du cancer islamiste et de la délinquance qui gravite autour (narco-banditisme), alors cette mouvance gagnera ou bien cela finira en guerre civile ! Si l’Etat continue de nier et ne pas vouloir voir ce qu’il se passe sur notre territoire et n’est pas capable d’assurer notre sécurité, alors nous, citoyens, devront nous armer pour nous défendre !

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