Daniel Sarfati. Jésus, mon lointain cousin

Je dois être atteint du syndrome de Peter Pan. 

Un syndrome qui n’est pas référencé sur Orphanet. 

Émotionnellement immature, à chaque rentrée scolaire, je suis pris d’une sourde angoisse.

A l’âge où je devrais faire partie de la cohorte des papys et des mamies, qui attendent la sortie des classes, j’ai l’impression que c’est moi que la maîtresse va arracher à ses parents pour l’inconnu.

Tunis, rentrée scolaire 1964. 

La température doit avoisiner les 35 degrés. 

Ma mère a boutonné mon manteau jusqu’en haut et m’a coiffé d’un chapeau avec des oreillettes qu’elle a rabattu soigneusement contre mes tympans. 

Pour être sûre que je ne m’enrhume pas dès le premier jour d’école. 

Elle m’a fait grâce de l’écharpe. 

Mon cartable ne contient pas grand chose, je m’y raccroche comme à une bouée de sauvetage. 

Je suis inscrit à l’école catholique des Sœurs de St Joseph. Les Sœurs sont d’excellentes enseignantes, ma mère a beaucoup d’ambition pour moi. 

Je retrouverai 25 ans plus tard, d’autres sœurs de St Joseph, à Jérusalem, à l’hôpital St Louis. 

Les Sœurs sont d’excellentes infirmières. 

Ma mère m’a prévenu que l’on allait me parler d’un certain Jésus. 

J’ai compris que c’était un lointain cousin mais qu’il n’était plus invité dans nos fêtes de famille. Elle m’a dit qu’il était gentil et je n’ai pas bien compris les raisons de la brouille. 

Ma mère m’a dit que nous n’avions rien à nous reprocher avec Jésus, mais que comme toutes les histoires de famille, chacun restait sur ses positions. 

Pour le reste, il faut bien écouter la maîtresse.

Je sais déjà lire et écrire. J’ai passé tout l’été à ça.

Par contre, dans la cour, quand un des enfants qui jouaient au foot, m’a passé la balle, je suis resté tétanisé, immobile avec mon manteau et mon cartable. 

Les enfants se sont moqués de moi, et ne m’ont plus adressé la parole de la journée, jusqu’à la dernière récré. 

Ils ont voulu savoir d’où je venais. 

Ils ont été très impressionnés quand ils ont su que Jésus était mon cousin. 

Prudemment, j’ai passé sous silence la brouille. 

La journée ne s’est pas trop mal passée, j’ai dit à Maman quand elle est venue me chercher avec mon goûter. Un jus d’orange, une banane et un pain au chocolat. 

Elle avait peur que je n’ai rien mangé à midi. 

Pour mon deuxième jour d’école, je me suis révolté. 

J’ai refusé de mettre mon manteau et mon chapeau. 

J’ai fait une otite au bout d’une semaine. 

C’est parce que tu n’avais pas ton chapeau m’a dit Maman. 

En ORL pédiatrique, je vois beaucoup d’enfants qui font des otites à répétition, tout l’hiver. 

« Dites lui Docteur, qu’il faut qu’il garde sa cagoule à la récréation ! », me disent immanquablement les mamans. 

Je vois l’enfant, qui tourne vers moi un visage désespéré, comme un message muet. 

Et je réponds à sa mère :

« Ça n’est pas essentiel, Madame. Il va finir par faire son immunité et fera de moins en moins d’otites, cagoule ou pas. »

Je dois être atteint du syndrome de Peter Pan. 

Un syndrome qui n’est pas référencé sur Orphanet. 

Émotionnellement immature, à chaque rentrée scolaire, je suis pris d’une sourde angoisse.

A l’âge où je devrais faire partie de la cohorte des papys et des mamies, qui attendent la sortie des classes, j’ai l’impression que c’est moi que la maîtresse va arracher à ses parents pour l’inconnu.

Tunis, rentrée scolaire 1964. 

La température doit avoisiner les 35 degrés. 

Ma mère a boutonné mon manteau jusqu’en haut et m’a coiffé d’un chapeau avec des oreillettes qu’elle a rabattu soigneusement contre mes tympans. 

Pour être sûre que je ne m’enrhume pas dès le premier jour d’école. 

Elle m’a fait grâce de l’écharpe. 

Mon cartable ne contient pas grand chose, je m’y raccroche comme à une bouée de sauvetage. 

Je suis inscrit à l’école catholique des Sœurs de St Joseph. Les Sœurs sont d’excellentes enseignantes, ma mère a beaucoup d’ambition pour moi. 

Je retrouverai 25 ans plus tard d’autres sœurs de St Joseph, à Jérusalem, à l’hôpital St Louis. 

Les Sœurs sont d’excellentes infirmières. 

Ma mère m’a prévenu que l’on allait me parler d’un certain Jésus. 

J’ai compris que c’était un lointain cousin mais qu’il n’était plus invité dans nos fêtes de famille. Elle m’a dit qu’il était gentil et je n’ai pas bien compris les raisons de la brouille. 

Ma mère m’a dit que nous n’avions rien à nous reprocher avec Jésus, mais que comme toutes les histoires de famille, chacun restait sur ses positions. 

Pour le reste, il faut bien écouter la maîtresse.

Je sais déjà lire et écrire. J’ai passé tout l’été à ça.

Par contre, dans la cour, quand un des enfants qui jouaient au foot m’a passé la balle, je suis resté tétanisé, immobile avec mon manteau et mon cartable. 

Les enfants se sont moqués de moi, et ne m’ont plus adressé la parole de la journée, jusqu’à la dernière récré. 

Ils ont voulu savoir d’où je venais. 

Ils ont été très impressionnés quand ils ont su que Jésus était mon cousin. 

Prudemment, j’ai passé sous silence la brouille. 

“La journée ne s’est pas trop mal passée”, j’ai dit à Maman quand elle est venue me chercher avec mon goûter. Un jus d’orange, une banane et un pain au chocolat. 

Elle avait peur que je n’aie rien mangé à midi. 

Pour mon deuxième jour d’école, je me suis révolté. 

J’ai refusé de mettre mon manteau et mon chapeau. 

J’ai fait une otite au bout d’une semaine. 

“C’est parce que tu n’avais pas ton chapeau” m’a dit Maman. 

En ORL pédiatrique, je vois beaucoup d’enfants qui font des otites à répétition, tout l’hiver. 

“Dites lui Docteur, qu’il faut qu’il garde sa cagoule à la récréation !”, me disent immanquablement les mamans. 

Je vois l’enfant, qui tourne vers moi un visage désespéré, comme un message muet. 

Et je réponds à sa mère :

“Ça n’est pas essentiel, Madame. Il va finir par faire son immunité et fera de moins en moins d’otites, cagoule ou pas”.

© Daniel Sarfati

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