Myriam Levain, la créatrice de “Stay Tunes”

Myriam Levain. © Lily Rault

Stay tunes, avec Myriam Levain

C’est quoi, en fait, un “Juif tune”? Qu’a-t-il de si spécial?


La journaliste Myriam Levain lance en 2019 un compte instagram: “_Stay Tunes_”. La page s’est donnée pour but de mettre en avant les visages, les histoires et la vie des Juifs d’origine tunisienne, à la manière de “Humans of New York”
. “On a tous en nous quelque chose de La Goulette. Et vous, c’est quoi ?”, interroge la page Instagram _Stay Tunes_, en référence au fameux quartier juif de Tunis.
Au-delà des poncifs, Myriam Levain part à la recherche de l’essence juive tunisienne.

On a tous en nous quelque chose de La Goulette. Et vous, c’est quoi? 
Cofondatrice de @studiomilim, biographies sonores et écrites.

La Presse parle de Myriam, la WIZO l’invite

Quelque quatre ans après son lancement, _StayTunes_ rassemble quelque 160 portraits d’hommes et de femmes issus de cette communauté. Dans un texte qui accompagne chaque photo, l’invité, revenant sur ses souvenirs avec cette terre que beaucoup ont quittée pour migrer en France, explique son rapport avec la Tunisie et sa culture juive.

Dans une interview pour “HuffPostMaghreb”, Myriam Levain explique quer son projet est “une quête personnelle sur son identité, ses origines”: “Ma grand-mère était juive tunisienne, elle m’a beaucoup parlé de la Tunisie. J’ai réalisé que je connaissais très mal son histoire. Quand j’ai commencé à réfléchir à Stay Tunes je me suis aperçue qu’il y avait un réel décalage dans ma génération, en France, là où une grosse partie de la communauté juive tunisienne réside désormais, entre le fait d’être fier de ses racines, de revendiquer son identité juive et de n’être jamais allé en Tunisie et de ne pas ou peu connaître l’histoire de cette communauté”. 

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TJ a rencontré Myriam autour d’un café

Bonjour Myriam Levain. Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ? 

Je suis journaliste et depuis quelques mois, j’écris des biographies familiales avec Elisa Azogui-Burlac qui en fait des podcasts, au sein de notre société “Milim”. Nous avons également lancé un podcast “La vérité si je mens plus”, où nous recevons des personnalités qui viennent nous parler de leur identité séfarade, comme Joann Sfar, Michèle Fitoussi ou Michael Benabou.

L’idée de notre entreprise “Milim” est un peu née grâce aux témoignages que j’ai recueillis sur “Stay Tunes” depuis 4 ans.  

Comment est né ce projet “_Stay Tunes_” : Pouvez-vous nous en dire la genèse. “_Stay Tunes_” est-il né avec Instagram ?

“_Stay Tunes_” est né en 2019, au moment où j’ai décidé de partir plusieurs semaines à Tunis, seule, sur les traces de ma famille maternelle originaire de Tunis et L’Ariana. Je voulais retrouver les endroits où ma grand-mère avait vécu, mettre des images sur cette partie de mon histoire juive que je connaissais beaucoup moins que mon histoire ashkénaze. Je pressentais que j’allais découvrir plein de choses et de gens et j’ai décidé de créer un compte Instagram où partager les portraits que j’écrivais et les story d’endroits que je visitais.

Comment est perçu “_Stay Tunes_” en Tunisie, pays cher à nos cœurs mais régi aujourd’hui par un État sinon hostile, du moins affichant ouvertement son inimitié à l’endroit d’Israël ?

“_Stay Tunes_” doit son succès en partie à l’audience tunisienne -musulmane- que je n’avais pas du tout anticipée avant de partir. La jeunesse tunisienne est encore plus connectée que nous aux réseaux sociaux depuis la Révolution et quand j’ai commencé à poster depuis Tunis, les followers sont tout de suite arrivés. La jeunesse éduquée et connectée est très curieuse de son passé multiculturel et notamment de son histoire juive qu’elle ne connaît pas du tout, et fait un très bon accueil à “_Stay Tunes_”. Sans doute parce qu’il y est très rarement question d’Israël, qui reste en effet un sujet tabou en Tunisie.

Vous avez à ce jour interviewé une centaine de personnes : faut-il être une personnalité pour avoir l’honneur de figurer parmi vos portraits ?

J’ai interviewé 160 personnes, de tous les âges, tous les styles et tous les endroits. Je ne pensais pas rencontrer des gens connus quand j’ai commencé ma galerie de portraits, car ce qui m’intéresse le plus, ce sont les souvenirs et les petites traditions que toutes les familles se transmettent. Je voulais aussi que chaque témoignage compose une grande mosaïque de ce que c’est, être tune, car il y a mille façons de l’être. Mais bien sûr, les personnes qui ont travaillé sur ce sujet, que ce soit à travers un livre, une chanson, un film, un plat, un spectacle, un tableau ont généralement plein de choses à dire sur leurs origines tunes…

Myriam, Comment choisissez-vous ceux qui seront à la Une de vos portraits ? Faut-il absolument être natif de Tunisie ou suffit-il d’avoir en commun l’odeur du jasmin et les vacances enfant à La Goulette ?

Il faut avoir envie de raconter sa relation à la Tunisie juive, quelle qu’elle soit… pas besoin d’y avoir vécu pour en avoir hérité, les jeunes générations le savent bien. Quant aux personnes non juives que j’ai interviewées, elles ont généralement bien connu quelqu’un qui leur a donné envie de s’intéresser à cette histoire si particulière et si riche. 

Tunes, c’est bien une spécificité du monde séfarade ? Est-ce un plus ? 

C’est une histoire juive tunisienne, qui n’est pas la même que celle des autres Juifs d’Afrique du Nord. Depuis toujours et bien avant la colonisation française, la Tunisie a vu cohabiter de nombreuses communautés qui font également partie de cette histoire tune. C’est par exemple intéressant de voir qu’il existe de plus en plus de récits autour de la communauté sicilienne de Tunisie, qui a également marqué le pays de son empreinte.

Comment sont reçus vos portraits dans la communauté ashkénaze ? 

Etant moi-même issue d’un mariage ashke-sef, je peux dire qu’ils sont très bien reçus. Finalement, toutes les histoires juives ont en commun d’être faites d’autant de joie que d’anxiété.

Comment sont-ils reçus chez nos amis tunisiens non Juifs ?

Je crois qu’ils sont contents de découvrir ou redécouvrir cette partie de leur histoire nationale. Les jeunes tunes en France ont la nostalgie d’un pays qu’ils n’ont pas connu, et de l’autre côté de la Méditerranée, les jeunes Tunisiens ont la nostalgie d’un vivre-ensemble qu’ils n’ont pas connu.

Qu’ont en commun vos “invités” ? 

Un grand amour de la boutargue, de la boukha et de Raoul Journo.

Ce “quelque chose” de tune peut-il s’éteindre, se fondre, s’assimiler, disparaître ?

Il peut renaître et évoluer ailleurs puisque la Tunisie juive n’existe presque plus, à part à Djerba. Aujourd’hui l’identité tune n’est plus la même que dans les années 50, mais cette culture a été transmise et ne disparaîtra pas.

Votre “_Stay Tunes_” se déclinera-t-il un jour en livre, ou encore en série, voire film ?

Tout dépend si des producteurs ou des éditeurs nous lisent…

Peut-on envisager d’élargir votre panel à des tunes devenus israéliens ?

Il existe déjà plusieurs portraits de tunes ayant fait leur alya, que j’ai eu la chance de rencontrer lors de voyages en Israël.

Et vous, Myriam ? Quelle tune êtes-vous in fine ?

Après avoir bien exploré cette culture et avoir beaucoup voyagé en Tunisie depuis 4 ans, je me rends compte que je suis une tune très parisienne, aussi fière de mon héritage séfarade que de mon héritage ashkénaze. La France abrite une grosse communauté juive où les deux héritages sont très présents, et je suis curieuse de voir ce que notre génération va en faire. 

© Myriam Levain

Quelques invités

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Nathalie Ohana

“Mes racines juives tunisiennes ont toujours été très présentes dans mon enfance car mes deux parents ont grandi en Tunisie. Leurs mères se connaissaient de là-bas, mais eux se sont rencontrés en France ; ils étaient très différents, j’ai été leur fille unique et leur trait d’union. Ils me parlaient beaucoup de Tunis, où mon grand père tenait le Café Belhassen, rue des Maltais. Son propre père était torréfacteur de café mais il est mort jeune et a laissé ma grand-mère veuve avec 6 enfants. Ma mère, elle, parlait de sa “Tunisie en gants blancs”, son père était cheminot et avait donc été naturalisé parmi les premiers, mais elle restait très orientale, à la fois drôle et effrayée de tout, avec cette intelligence intuitive typiquement tune, un peu medium. Je l’ai perdue il y a deux ans et je lui rends hommage dans mon premier livre “Réveiller ma mère”.
Moi, l’enfant parisienne férue de lettres, j’ai longtemps été complexée par mon identité tunisienne, car je me sentais très différente de tous les gens qui m’entouraient dans ce milieu. C’est la rencontre avec mon amie Anouk, dans une bibliothèque, qui m’a aidée à me débarrasser de ça. Pour la première fois, alors que j’étais en hypokhâgne, je rencontrais une tune qui me ressemblait et me comprenait. Grâce à elle, j’ai appris à réconcilier tout cela et à devenir fière de mon bagage. Pour moi, être tune, c’est être authentique, naturelle, directe… c’est un humour décomplexé et un art de savourer les choses simples. Quelque chose que je retrouve en Israël où j’ai fait mon alya il y a 8 ans. Moi qui voulais écrire ma propre histoire, j’ai à mon tour choisi de vivre dans un pays oriental et de connaître l’exil. Grâce à ce nouveau départ et à l’écriture de mon livre, j’ai enfin réussi à comprendre ma mère”. #Tunis #Tunisie #Tunisia #Paris #TelAviv  #sefarad#staytunes

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Sarah

“J’ai mis du temps à assumer mon identité séfarade, tunisienne par ma mère, algérienne par mon père. Et puis je crois que j’ai fini par accepter que je ne pouvais pas la cacher! J’ai longtemps été spectatrice de la relation séfarade/ashkénaze, souffrant de cette croyance en une forme de supériorité intellectuelle des ashkénazes. Je déteste la caricature qui est faite du juif tunisien, quelqu’un qui serait petit, parlerait fort et surnommé le “huileux”. La culture tune a toujours fait partie de moi: quand j’étais enfant, je pensais que la loubia était un plat français, d’ailleurs j’en ai demandé lors de mes premiers jours à la cantine de l’école. 
Je me sens à la fois très française et très proche de mes racines, mais j’aimerais qu’on ne me réduise pas à la danse orientale ni à mon physique “fait pour porter des enfants”. La culture séfarade est bien plus que ça, elle est belle et riche, et je suis fière de l’avoir en héritage. Je suis fière aussi d’avoir fait de longues études, d’avoir un poste à responsabilité et de prendre une forme de revanche sur la vie des femmes de ma famille qui n’ont pas eu cette opportunité. Je ne suis jamais allée en Tunisie, mais c’est peut-être le moment de commencer à interroger ma famille et de regarder davantage dans cette direction”. #Paris #Tunis #Tunisia #Tunisie #loubia#sefarad #staytunes

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Rudy

“Il y a chez les tunes une forme d’obligation de joie qui masque une certaine noirceur et une angoisse, cachées sous plein de bonne humeur. Quand on voit ma tête, on attend de moi que je dise “yallah”, alors que c’est bien plus compliqué que ça, il ne faut pas nier la profondeur des juifs tunisiens. La diaspora tune regorge de personnalités magnifiques et pourtant elle traîne toujours cette image de couscous-boulettes, j’aimerais que l’on puisse sortir de cette caricature. 
J’ai compris le déracinement qu’avaient vécu mes parents quand je suis parti vivre en Israël. Là-bas, j’ai réalisé que lorsque tu quittais ton pays, ta culture, ta langue maternelle, tu ne pouvais être que la moitié de toi-même. J’ai compris aussi pourquoi mon père m’emmenait tous les dimanches à Belleville quand j’étais petit, même quand il n’avait rien à acheter. On mettait quatre heures pour faire cent mètres car il n’arrêtait pas de croiser des têtes connues. Mais dans ce quartier, il retrouvait l’odeur des olives fraîches et le casse-croûte qu’on lui composait avec les doigts, comme à Tunis. Il me répète tout le temps “ça, t’as pas connu” et pour moi cette phrase symbolise la nostalgie des tunes”.
#Tunis #Paris #Belleville #Tunisia #Israel #StayTunes

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Roland

“Je suis né à Tunis, dans l’appartement de mes grands-parents, et j’ai grandi dans une famille juive pratiquante. Nous avons rapidement déménagé à l’Ariana, où j’ai passé toute mon enfance et mon adolescence. J’ai débuté par l’école enfantine, puis l’école des garçons de ce petit village, pour ensuite passer à l’école de l’Alliance Israelite à Tunis. Je prenais tous les matins le tramway pour m’y rendre. 
Nous respections le Chabbat et les fêtes, et notre voisine musulmane venait nous éteindre la lumière le vendredi soir. Nous avions de bons rapports avec ces voisins, je n’ai aucun souvenir d’antisémitisme dans ma jeunesse. 
J’ai commencé à me passionner pour l’histoire juive tunisienne dans les années 80 en France, quand j’ai compris que les anciens partaient, que les photos se perdaient et qu’il fallait sauvegarder cette mémoire. Puis, je suis venu vivre en Israël et j’ai poursuivi ce travail ici, à Bat Yam, où j’ai écrit un livre sur le rabbin Haim Assuied et où j’ai continué à collecter des documents sur la vie juive à Tunis et L’Ariana. 
Lorsque je suis retourné à Tunis pour me recueillir sur la sépulture de ma chère maman et pour effectuer mes recherches, j’ai tout reconnu, les rues, les synagogues, les appartements, le lycée Carnot, l’hôtel de l’avenue Jules Ferry… et j’ai adoré. 
Je suis tunisien parce que je suis né en Tunisie, francophone parce que je suis allé à l’école française, et maintenant israélien parce que c’est là que je me sens chez moi”.
#Tunis #LAriana #Borgel #Tunisia #Paris #BatYam #Israel#StayTunes

© Myriam Levain

Myriam Levain est sur Twitter où elle se définit ainsi:

Journaliste presque geek, shakirologue et martienne. Co-fondatrice de @MagazineCheek et autrice de “Et toi tu t’y mets quand?”. Désormais biographe chez Milim”.

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