Richard Rossin. Brève histoire d’Israël, remettre les pendules à l’heure

Richard Rossin

L’histoire d’Israël fut toujours celle d’un tout petit Etat victime des impérialismes. Dans la haute antiquité, les Assyriens puis les Babyloniens l’ont envahi mais les enfants d’Israël ont toujours retrouvé leur autonomie ; reconnaissons que la libération de cette dernière colonisation fut de la grâce de Cyrus le perse, le premier monarque à abolir l’esclavage. Il faut lire le fameux cylindre de Cyrus !

Puis les Grecs d’Alexandre occupèrent le pays et cela se passa d’abord plutôt bien jusqu’à ce qu’un roi, Séleucide, se voulut maitre d’une parole et d’un culte unique. Les Judéens ne supportent pas les atteintes à leur identité et à leurs valeurs éthiques qui fondent une civilisation, alors ils se révoltent pour recouvrer leur autonomie sous l’œil indulgent de Rome qui se réjouit de l’affaiblissement des Gréco-syriens. Des Juifs en très grand nombre vivaient dans tout l’Orient jusqu’aux rives du golfe persique mais aussi en Anatolie, en Grèce et jusqu’à Rome et en Ibérie ainsi qu’en Afrique du Nord.

Le drame moderne commence avec Pompée en -63. Une guerre de succession sous tendue par des oppositions eschatologiques entre les Sadducéens, tenant de la Loi écrite seule, et le courant nouveau des Pharisiens[1] qui ravage le pays. Les Pharisiens appellent le Romain arbitrer le conflit : pour ce dernier le fruit était mûr. Jérusalem et le pays sont ravagés, l’indépendance envolée.

Le joug romain s’installe durablement mais les révoltes contre l’Empire naissant se succèdent dans ce petit coin du bout de la Méditerranée qui est devenu pour Rome sa mare nostrum. Commence une incroyable succession de rébellions avec des visions apocalyptiques et de repressions avec des milliers de crucifiés, les Romains se sont seuls autorisés à ce supplice réservé aux esclaves en rupture de ban. L’Histoire ne retiendra qu’un seul crucifié… Une révolte plus violente aboutira à la destruction par Titus de Jérusalem et du Temple dont ne reste que le mur de soutènement ouest de l’esplanade. Des centaines de milliers de morts encore une fois et des asservissements innombrables.

Mais les Judéens résistent encore et toujours et les combats sont violents sous Trajan puis sous Hadrien: nouvelle destruction de la ville qui est rasée et rebaptisée aéla capitolina. Quant au pays, l’empereur en rage, voulant le faire disparaitre de l’Histoire après avoir détruit sa géographie, proclame le donner aux Philistins, ces envahisseurs crétois disparus depuis mille ans. Près d’un million de morts et le prix de l’esclave juif s’effondre à moins du prix d’un âne ! Un génocide. Cette guerre scelle le sort de la colonie romaine, les Juifs survivants ne sont que pour quelques temps autorisés à s’approcher de leur ancienne capitale, une fois par an pour se lamenter. Il avait fallu à Rome près de deux siècles pour vaincre le petit Israël[2].

L’empire romain vécu ce que vivent les empires avec ses guerres de succession puis change progressivement ses valeurs et devient chrétien avec Constantin qui renomme Byzance en Constantinople. Le christianisme agité par ses querelles internes violentes est une nouvelle oppression terrible pour les Juifs stigmatisés. Les chrétiens qui se faisaient encore appeler Verus Israël n’avaient plus grand-chose à voir avec Israël et le judaïsme. L’antique Jérusalem se couvre d’églises jusque sur l’ancien Temple. L’Empire se délite de son étendue et se scinde (395) ; la Judée est sous la coupe de Byzance. Une éphémère splendeur, si Byzance est chrétienne, Jérusalem reste périphérique dans le pouvoir et des Juifs y vivent. Ils ne la quittent guère longtemps et seulement sous la contrainte. Quand ils en sont éloignés, ils ne cessent de répéter tout au long des siècles leur espoir l’an prochain à Jérusalemainsi que le psaume 137 rédigé par Jérémie sur les bords de l’Euphrate à Tel Aviv pendant l’exil de Babylone (-587) qui en précise l’importance si je t’oublie Jérusalem que ma droite m’oublie et que ma langue se colle à mon palais c’est-à-dire que je ne puisse écrire et ne puisse parler. C’est le premier écrit sioniste à nous être parvenu.

La terre d’Israël est extérieure aux grandes voies de communication commerciales et loin des centres de pouvoir pourtant Byzantins et Perses s’affrontent pour en prendre possession et tentent chacun de s’allier les Juifs locaux pour chacun les trahir. A la même période, sur les sables d’Arabie, une nouvelle puissance se lève à la conquête du monde au nom d’une idéologie nouvelle. En moins d’un siècle, elle colonise depuis l’Inde à l’Est et jusqu’au sud de l’Europe. La Perse disparait et l’Empire byzantin expose sa déliquescence.

Jérusalem est prise par le Calife Omar mais ne sera jamais une capitale. Un centre administratif local, Ramle, seule cité construite par les nouveaux envahisseurs dans la région, est bâtie. Des lois sont édictées à l’encontre des non-musulmans les chargeant d’interdits nombreux, de taxes lourdes et leur imposant des signes vestimentaires pour les identifier, c’est la dhima. Etoffe jaune pour les Juifs, bleue pour les chrétiens et noire pour les zoroastriens. Elle est appelée pacte de protection car la situation est encore plus grave pour les païens. Une nouvelle ère de persécutions commence.

Il se trouve que rapidement la nouvelle religion vit un schisme pour des questions de succession. Le calife Malik depuis Damas, confronté à une anti-calife à La Mecque (centre spirituel de l’Islam), sur la base d’un rêve rapporté par leur prophète, décide de faire bâtir à Jérusalem le fameux dôme d’Omar et proclame que le pèlerinage pour les Musulmans en ce lieu vaut celui de La Mecque. Il se trouve que Malik prend La Mecque, en y bombardant le sanctuaire, l’année où il inaugure le fameux dôme ! En réalité, tous savaient encore à l’époque que le point de départ du rêve du prophète évoquait Djeirrana entre Taïf et La Mecque d’où il avait été expulsé ! Et Jérusalem retomba dans sa torpeur. Nombre de voyageurs arabes dans les siècles suivant se plaignent que Jérusalem est vide de Musulmans…

Le pouvoir absolutiste, les taxes sur les terres agricoles participent à la désertification du pays. L’interdiction par les Seldjoukides des pèlerinages chrétiens vers la ville sont un facteur déclenchant des Croisades auxquelles toutes les Nations chrétiennes d’Europe ont participé. Le chroniqueur Guillaume de Tyr décrit les épouvantables massacres et comment dans la ville prise le 15 juillet 1099, les Juifs survivants sont rassemblés dans une synagogue qui est ensuite incendiée… le royaume franc de Jérusalem ne dure que soixante-sept ans. Saladin appelle les Juifs persécutés européens à revenir, trois cents rabbins de France et d’Angleterre avec leurs ouailles répondent à l’appel mais les conflits intra-musulmans pour le pouvoir ravagent le pays et fait vite s’évaporer la tolérance. Même les Mongols y feront une incursion contrée par les Mamelouks.

Les expulsions successives des Juifs de France (surtout 1184 et 1306) puis celle des Juifs espagnols (1492) font revenir des Juifs en Terre Sainte.

Le 29 décembre 1516, le sultan ottoman Selim 1er, père de Soliman le Magnifique, entre dans Jérusalem accueilli dans la liesse populaire. C’est une courte période de libéralisation pour les Juifs. Les Ottomans sont ceux qui conquirent les Balkans et allèrent jusqu’à faire deux fois le siège de Vienne, la capitale autrichienne mais aussi ceux qui ont accueilli des expulsés d’Espagne. Même si les Juifs de Jérusalem, Tibériade, Safed ou Gaza développent notamment ces régions, le pays vivote misérablement. Au cours des XVI, XVII et XVIIIème siècles, des communautés juives guidées par leurs rabbins viennent s’installer à Jérusalem et dans le pays, tentent l’agriculture sans beaucoup de succès. La situation locale ne le permet pas vraiment et ces gens n’ont pas d’expérience dans le domaine.

En 1695, le hollandais Hadrian Reland, lors d’un voyage d’étude, note que l’essentiel des villages en Palestine conservent encore leur nom d’origine hébraïque.

L’Empire Ottoman ne prend pas le virage de la modernité et s’étiole lentement. Si l’expédition Bonaparte dans la région est un échec politique et militaire[3], elle attise l’intérêt des Européens et des institutions chrétiennes. De nombreux voyageurs décrivent le pays à l’abandon et relèvent la misère épouvantable des Juifs locaux que la dhimmitude marginalisent comme Chateaubriand en 1806. Un demi-siècle plus tard, c’est l’ère des consuls occidentaux et des premières recherches archéologiques menées majoritairement par des Anglais et Américains, mais aussi des Français.

Les temps sont troublés, les Ottomans doivent reculer en Europe, dans le Caucase, et en Afrique du Nord sous la pression des puissances chrétiennes. La Russie de Catherine II reprend la Crimée (1783) et progresse dans la Caucase (Géorgie, Daghestan, Arménie, Azerbaïdjan et Tchétchénie). La France s’installe en Algérie. Les idées de la Révolution française les stimulant, les peuples chrétiens des Balkans renaissent en Nations : d’abord la Grèce et la Serbie puis la Roumanie, le Monténégro, la Bosnie Herzégovine, partie de la Bulgarie. Nombre de Musulmans quittent ces territoires pour rejoindre l’empire musulman, beaucoup vont vers la Syrie et la Palestine où les rejoignent des fellahs égyptiens importés par Mehmet Ali, Vice-Roi d’Egypte, qui a pris la région au Sultan. Pourtant le recensement ottoman de 1844 montre qu’il y a plus de Juifs à Jérusalem que de chrétiens et musulmans réunis.

Ce printemps des Peuples agite aussi le monde juif, on connait les actions du philosophe socialiste allemand Moses Hess, des rabbins Shlesinger, Kalisher et Alkalay. Parallèlement à l’immigration des musulmans des pays décolonisés de l’empire Ottoman, une nouvelle immigration juive s’installe, la première école d’agriculture ouvre à proximité de Jaffa en 1870 à l’initiative de Charles Netter. Cette immigration prend plus d’ampleur après les pogroms de 1881 puis la publication par le Dr Pinsker de l’auto-émancipation en 1882. Cette immigration qui ne touche qu’environ dix mille personnes se voit freinée par l’administration ottomane. Enfin, l’action de Herzl pour un sionisme politique structuré et internationalement reconnu commence avec le congrès de Bâle de 1897. Des Juifs s’installent dans la région, créent des villages, des communautés agricoles, des industries, des commerces, des institutions caritatives et de soins, des écoles, et même un institut de technologie à Haïfa (Technion en 1912). Il n’existait rien de cela dans le pays.

La première guerre mondiale arrive, les Anglais prenant notamment la mesure de l’importance de ces structures pré-étatiques publient la fameuse déclaration Balfour[4] dont l’objet de création d’un foyer national juif est repris par la Société Des Nations (SDN, ancêtre de l’ONU) et en donne mandat à la Grande Bretagne pour la réalisation. La Grande Bretagne dont les archives montre son incapacité à freiner une importante immigration musulmane des pays voisins va trahir sa mission et réduire jusqu’à la bloquer l’immigration juive alors que les menaces du nazisme en Europe se font de plus en plus pressantes, puis internent dans des camps à Chypre et jusque dans l’océan Indien ceux qui veulent rejoindre Israël.

Cette trahison, avant, pendant, et après la deuxième guerre mondiale avec une réduction à peau de chagrin du territoire alloué par la SDN, provoque des révoltes juives dans un pays de plus en plus structuré par la communauté juive. De guerre lasse les Britanniques remettent le mandat à l’ONU qui propose de laisser aux Juifs un territoire minuscule pour leur Etat. Les Juifs acceptent, les Arabes (organisations locales et Etats voisins aussi crées par la SDN) refusent et entrent en guerre le jour même de la déclaration l’indépendance d’Israël.

Contre les prévisions de toutes les chancelleries, Israël, sans qu’aucun pays ne vienne à son aide, survit mais perd Jérusalem. La Transjordanie s’annexe des parties de la Judée et de la Samarie (appellations internationales de l’époque) renommées Cisjordanie pour créer la Jordanie, annexion que la communauté internationale ne reconnait pas (mais sans conséquence pratique). Aucun des pays arabes vaincus ne veut signer de paix mais seulement un armistice… ce qui en dit long sur leurs intentions. Des Arabes ont quitté le territoire et sont pris en charge par l’UNWRA, organisme de l’ONU spécialement crée pour eux et leur attribuant un statut unique de réfugié héréditaire (une bombe à retardement) pour peu qu’ils puissent affirmer qu’ils vivaient là depuis deux ans seulement.  (Le monde comptait alors plus de dix millions de réfugiés). Au moins autant de Juifs sont spoliés et expulsés des pays musulmans et sont accueillis en Israël sans aide internationale.

En 1964, sous la houlette de Nasser, l’Egyptien, et de l’URSS, apparait la notion de peuple palestinien, appellation que les Arabes avaient jusqu’alors refusée. Les guerres d’agression contre Israël se sont multipliées comme les actes de terrorisme palestinien puis islamiste sur la planète. L’idée du djihad mondial avec pour objectif la conquête de la planète et l’application de la Dhimma rendant les non-musulmans des dhimmis- des êtres inférieurs- s’intensifie à l’alibi d’Israël.

Richard Rossin

Richard Rossin est chirurgien orthopédiste, ancien Secrétaire Général de Médecins Sans Frontières et cofondateur de Médecins du Monde, ancien vice-président de l’Académie Européenne de Géopolitique et délégué général du Collectif Urgence Darfour. Il a présidé le Mouvement Pour la Paix et Contre le Terrorisme. 

Il est l’auteur de “Aleph Beth, l’univers est une histoire d’amour” (2000), “Le silence s’honore, que sont ces hêtres devenus” (2002), “Noces à Canaan” (2007), “Filles d’Israël” (2020), “L’indifférence et autres horreurs” (2021), “Des édits d’expulsion des Juifs de France” (2021).


Notes

[1] Futur courant rabbinique du judaïsme.

[2] De -63 à + 137.

[3] Voir néanmoins la déclaration « sioniste » du 17 avril 1799 publiée le 22mai 1799 (3 prairial an VII au moniteur universel(le journal officiel de l’époque) rubrique Politique-Turquie.

[4] A noter aussi l’aide militaire du corps des Muletiers de Sion de Jabotinsky et Trumpeldor, l’aide aux renseignements du NILI de A. Aaronsohn, l’idée de contrarier la France avec sa présence séculaire d’établissements religieux en Terre Sainte et sa déclaration prosioniste Cambon précédant de cinq mois la déclaration Balfour.


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3 Comments

  1. Richard Rossin ignore la vue juive de l’histoire d’Israël entre la conquête de « Canaan », la chute du second temple de Jérusalem et ses suites.
    Cette Histoire est, globalement, celle de la genèse de structures étatiques juives en Israël (dite Judée ou Palestine, si on veut) et les disparitions de ces structures.

    Dans deux de cas la disparition fut précédée et incarnée par la démolition d’un temple juif à Jérusalem.

    Si ces disparitions furent systématiquement de la main de puissances étrangères, la tradition juive en accuse, non ces puissances mais la mésentente interne parmi les Juifs (dite שנאת חינם, « sin’at hinam », à savoir la haine gratuite).
    Inutile donc d’accuser les étrangers.

    D’ailleurs les « révoltes » juives, souvent durement réprimées, étaient souvent du fait de zélotes et des extrémistes. Dans les cas contraires l’entité étatique juive prospérait fort bien.
    Le cas le plus flagrant étant celui du roi Hérode, ayant régné sur le pays pendant presque 40 ans (juste avant l’ère chrétienne), qui a bâti un royaume prospère et même un nouveau temple à Jérusalem, fort de ses excellentes relations avec l’empire romain.

    Or, Rossin ne mentionne même pas Hérode…

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