Christophe Boutin: Il n’y a pas de démocratie sans débat, même virulent

Alexandre Loubet, député du Rassemblement national.

ENTRETIEN – Bruno Le Maire a exigé des excuses, après avoir été traité de «lâche» par le député RN Alexandre Loubet. À cette occasion, l’universitaire Christophe Boutin retrace l’histoire des débats à l’Assemblée nationale, bien plus tendus par le passé.

Eugénie Boilait. – Le mardi 11 octobre, le député Alexandre Loubet du Rassemblement national a traité le ministre de l’Économie de «lâche», après avoir fait référence à Dominique de Villepin, qui, il y a quelques années de cela, avait parlé de «lâcheté» à propos de François Hollande. Qu’est-ce que cette séquence vous inspire ? L’hémicycle a-t-il toujours été le lieu d’un échange apaisé ?

Christophe BOUTIN. – Non, absolument pas. L’évolution des débats au sein de l’Assemblée nationale, depuis ses débuts, est extrêmement importante. On a connu des échanges beaucoup plus tendus, des injures plus fréquentes et des débats qui se terminaient parfois par des duels entre les deux intervenants. De ce point de vue, on ne peut que se féliciter d’avoir une démocratie plus apaisée en la matière avec des débats où moins de noms d’oiseaux volent.

Rappelons également que la police des débats appartient à la présidence de la chambre. En effet, c’est la présidente qui arbitre les débats et les dirige: il y a des possibilités de sanctions contre des députés qui iraient trop loin dans un sens comme dans l’autre.

On se lance ici dans une sorte de «course-poursuite» qui finit par devenir ridicule. S’il est évident que, parfois, certains termes sont des injures grossières, il faut nuancer. On commence à vouloir sanctionner des termes ambigus ou même des attitudes qui nous paraissent déplacées. Benjamin Constant a très bien montré, dès le début du XIXème siècle, que le pouvoir s’épuisait dans une sorte de course-poursuite. On a un curseur en la matière. Il faut savoir raison garder, savoir qu’on ne pourra pas faire disparaître toute violence des débats…

Effectivement, le débat n’est-il pas au cœur de la démocratie ? À force de le lisser, ne risque-t-on d’amoindrir le jeu démocratique ?

Si tout à fait, il est parfois nécessaire que les débats soient tendus: cela fait partie du fait démocratique et du jeu parlementaire. D’ailleurs, lorsque les membres du gouvernement font des réponses provocatrices en ayant l’air de considérer que les questions des parlementaires sont dénuées de la raison la plus simple, cela fait partie du jeu. Chacun des deux, membre du gouvernement comme parlementaire, use dans le débat de la provocation. Ça n’est pas un jeu choquant dans le jeu démocratique.

Le débat doit être le plus ouvert possible, il doit traiter de toutes les questions possibles et permettre toutes les réponses. Lorsqu’il y a un blocage entre deux visions du monde différentes, il faut s’attendre à une certaine crispation. Cela n’est pas aberrant et fait partie de la réaction humaine que l’on peut avoir. Je crois que des deux côtés, de celui qui a répondu de manière légère, autant que de celui qui s’est laissé emporter, on n’en sort pas nécessairement glorieux.

Selon vous, à quoi est dû ce lissage dans l’histoire ?

Le lissage existe effectivement à la chambre parlementaire, mais partout ailleurs. Nous sommes dans un monde qui petit à petit cherche à évacuer le conflit. On le voit à l’extérieur de la chambre avec ce qu’on appelle le «politiquement correct», on le voit à l’intérieur de la chambre avec cette volonté systématique d’un débat apaisé. Si le débat apaisé c’est une chose, il faut savoir parfois poser les bonnes questions: lorsque nous faisons face on a quelqu’un qui ne répond pas à nos questions, cela provoque nécessairement une certaine tension.

Selon vous, Bruno Le Maire exige-t-il réellement des excuses ou tente-t-il simplement de discréditer le Rassemblement national ? Cette réaction s’inscrit-elle dans une stratégie politique ?

À mon sens, un peu des deux. Bruno Le Maire est à cran. Il a des tâches difficiles avec la mise en place du budget mais c’est aussi à cause de la polémique sur le col roulé. Cette dernière l’a conduit à devoir faire une longue explication sur sa page Facebook par exemple. Par ailleurs, il a tendance à croire qu’il a tout prévu et tout vu et n’aime pas être mis en cause. On a donc d’abord cet élément particulier de la personne.

Par ailleurs, depuis quelques mois le RN cherche à se donner une image de respectabilité, contrairement à l’opposition de gauche par exemple. Le groupe parlementaire de Marine Le Pen joue de cette image-là. Il est donc très intéressant politiquement d’arriver à relever cet élément et à cristalliser le débat sur ce mot qui a été employé, et qui, encore une fois, fait référence à une citation de Dominique de Villepin.

À force de polémiquer, ne perdons-nous pas le sens du débat, dans les médias comme ailleurs ?

Oui, nous le perdons partout. Le problème c’est que le temps des médias, comme la disponibilité des médias, constituent un temps particulier. Le temps des médias conduit par exemple à la multiplication de ce qu’on appelle les «petites phrases» dont les politiques usent et abusent pour attirer sur eux ou sur un pan de leur programme le regard des médias. Ici, cela se traduit par cette loupe déformée sur un mot, un temps précis. Cependant, nous n’y pouvons rien. C’est lié au fonctionnement même du système médiatique.

Entretien mené par Eugénie Boilait


Christophe Boutin, agrégé de droit public, est professeur à l’université de Caen-Normandie où il enseigne le droit constitutionnel et l’histoire des idées politiques. Il a codirigé avec Olivier Dard et Frédéric Rouvillois le Dictionnaire du conservatisme, le Dictionnaire des populismes, et le Dictionnaire du progressisme (éditions du Cerf).

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1 Comment

  1. Il n’y a plus de démocratie ni de débats en occident. Il y a les tabous, le politiquement correct, le révisionnisme historique et le bourrage de crânes 24 heures sur 24.

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