Maxime Tandonnet. Discours de Maastricht, trente ans après : la prophétie de Philippe Seguin

Le discours de Philippe Séguin sur le traité de Maastricht (5 mai 1992), célèbre aujourd’hui ses 30 ans. Or, il est sidérant de constater à quel point l’actualité donne raison à un homme qui fut de toute évidence le dernier grand visionnaire de la politique française. Sa démarche fut souvent ringardisée, considérée comme l’avatar d’un souverainisme aigri et dépassé. Les commentateurs sont ainsi pour la plupart passés à côté de ce grand discours prophétique:

« Voilà trente-cinq ans que toute une oligarchie d’experts, de juges, de fonctionnaires, de gouvernants prend, au nom des peuples, sans en avoir reçu mandat des décisions dont une formidable conspiration du silence dissimule les enjeux et minimise les conséquences […] Craignons alors que, pour finir, les sentiments nationaux, à force d’être étouffés, ne s’exacerbent jusqu’à se muer en nationalismes et ne conduisent l’Europe, une fois encore, au bord de graves difficultés, car rien n’est plus dangereux qu’une nation trop longtemps frustrée de la souveraineté par laquelle s’exprime sa liberté, c’est-à-dire son droit imprescrip­tible à choisir son destin…Mais qu’on y prenne garde : c’est lorsque le sentiment national est bafoué que la voie s’ouvre aux dérives nationalistes et à tous les extrémismes! »

Que voulait-il dire ? Le traité de Maastricht était entièrement fondé sur une logique de transfert massif des compétences politiques nationales à l’Union européenne : la monnaie, la sécurité l’immigration, les politiques sociales et économiques, environnementale, etc. Il consistait ainsi dans une dépossession progressive des autorités politiques nationales au profit des instances supranationales que sont la Commission, le Parlement européen, et surtout la Cour de Justice de l’Union européenne, juridiction suprême à laquelle revient la prérogative de délimiter le partage entre le champ de compétence national et européen et qui arbitre généralement en faveur du second.

La préoccupation de Philippe Séguin portait avant tout sur le danger démocratique de ce processus. La démocratie se définit comme le pouvoir du peuple. Or, s’il existe une civilisation européenne riche de sa diversité, il est impossible de parler aujourd’hui d’un « peuple européen » ou d’une « nation européenne ». Dès lors, le transfert à l’Union européenne de compétences qui incombaient jusqu’alors aux parlements nationaux élus au suffrage universel ne peut qu’aboutir à l’émergence d’un monstre bureaucratique privant les peuples européens de leur souveraineté. Et ce sentiment de dépossession, favorisant les frustrations nationales, ne pouvait dès lors déboucher que sur une flambée des extrémismes, c’est-à-dire l’exacerbation des passions comme résultat de l’impuissance.

Or, cet extrémisme à visages multiples, annoncé par Philippe Séguin comme l’une des conséquences inévitables de l’affaiblissement des démocraties nationales, s’impose aujourd’hui comme le maître de la politique française. L’extrémisme peut se définir comme la démagogie exacerbée, le déni de la réalité et la fuite dans les chimères ou la manipulation des émotions. Ce n’est donc pas un hasard si les partis de gouvernement de ces dernières décennies, notamment LR et le parti socialiste, sont en train de faire naufrage. Eux qui se sont partagés le pouvoir depuis trente ans ont échoué à répondre aux attentes des Français et n’ont cessé de décevoir. Mais que pouvaient-ils faire – par exemple dans la lutte contre le chômage ou la maîtrise des frontières – en l’absence des leviers de décision, progressivement annihilés par les conséquences du traité de Maastricht?

Aujourd’hui l’extrémisme triomphe, sous toutes ses formes. Il est à gauche, marqué par le ralliement de l’ensemble des forces dites de « progrès » au courant de la France Insoumise. La gauche dite de gouvernement, qui prônait un compromis entre le « changement » et la réalité (économique, financière), incarnée par des personnalités comme Michel Rocard est en miettes. La politique de la « table rase » à laquelle en ce moment se convertissent les partis de gauche, est fondée sur un discours radical : un multiculturalisme forcené, un wokisme et écologisme à outrance.  Mais cette chute de la gauche dans l’extrémisme a son pendant sur l’autre rive avec le triomphe du lepénisme, devenu de loin la première force « de droite ». Or, qu’est-ce que le lepénisme sinon un naufrage accéléré dans les slogans mensongers et démagogiques à l’image du retour de la retraite à 60 ans ou de l’emblématique « interdiction du voile dans l’espace public » évidemment inconcevable en pratique.

Mais sous une autre forme l’extrémisme se retrouve dans la pratique du pouvoir. N’est-ce pas l’actuel chef de l’Etat réélu qui a qualifié son projet « d’extrême centre ». Et si l’extrême centre relevait de la même essence que l’extrême gauche ou l’extrême droite ? La France connaît un vertigineux déclin sur tous les plans, qui ne date évidemment pas du seul précédent quinquennat : effondrement du niveau scolaire, déficit commercial record, explosion des déficits et de la dette publique, hausse dramatique de la pauvreté, catastrophe sanitaire, saccage des libertés, montée continue de la violence et la délinquance, perte de la maîtrise des frontières et corruption… Le naufrage de la politique dans  l’exubérance narcissique, le coup de communication et les provocations de toutes sortes – faute de pouvoir traiter les problèmes de fond – est aussi une forme d’extrémisme qui nourrit les deux autres… Aujourd’hui, la France, privée des leviers démocratiques de l’action politique et réduite à l’impuissance, désespère de n’avoir pas écouté Philippe Séguin quand il en était encore temps.

© Maxime Tandonnet

https://www.lefigaro.fr/vox/politique/discours-de-maastricht-trente-ans-apres-la-prophetie-de-philippe-seguin-20220505

Fin observateur de la vie politique française et contributeur régulier du FigaroVox, Maxime Tandonnet a notamment publié André Tardieu. L’incompris (Perrin, 2019). A paraître le 3 mar: Georges Bidault, de la Résistance à l’Algérie française. Maxime Tandonnet. Perrin Editions.

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