Gérard Kleczewski. Ces souvenirs de manifestations qui résonnent en moi…

Je vous avoue que je n’ai jamais vraiment aimé les manifestations. Mal à l’aise dans la foule, malaise devant certains comportements ou slogans, peur des accès de violence dans le cortège ou en marge du cortège, … tous ces éléments m’ont souvent fait réfléchir à deux fois, et parfois renoncer à me joindre à certaines manifestations de rue, quand bien même j’en partageais les idées ou les revendications.  

Mais en y repensant bien, j’ai malgré tout été souvent présent à des manifestations à Paris, quand l’irréparable avait été commis, pour lutter contre l’antisémitisme ou pour rendre hommage aux victimes de la barbarie – comme récemment pour l’Ukraine.

Ainsi, j’étais là à la manifestation en 1990, après la profanation du cimetière juif de Carpentras. Le 14 mai, environ 200.000 personnes battaient sous un chaud soleil de printemps le pavé parisien, de République à la Bastille. Pour la première fois, un Chef d’Etat Français (François Mitterrand) participait à une manifestation. Et j’assistais, médusé mais admiratif, au courage d’une Simone Veil allant au-devant du danger en houspillant de jeunes juifs militants, chauffés à blanc et faisant mine de vouloir la molester alors qu’elle avait voulu les empêcher de casser les vitrines du restaurant Chez Jenny, au motif que, quelques jours plus tôt, une poignée de nazillons et de membres du FN y avaient diné et entonné des chants nostalgiques du 3ème Reich.

J’étais là aussi en 2006, de République à Nation, après la découverte de l’horrible prise d’otage, des effroyables tortures que le gang des barbares et son chef Fofana avaient fait subir, jusqu’à provoquer sa mort, à Ilan Halimi. Je me souviens avoir été meurtri par la maigreur du convoi et la présence quasi-exclusive de juifs. Je nous ai sentis si seuls…

J’étais encore là en 2012, de Bastille à Nation après les horreurs commises par Mohamed Merah à Toulouse. Nous étions à peine plus nombreux que six ans auparavant et tout aussi isolés. Nous étions tristes et abattus. Notre colère et notre désarroi étaient mêlés d’angoisse pour notre avenir dans ce pays.   

J’étais toujours là en 2015, pour Montrouge, Charlie Hebdo et l’HyperCacher en constatant que les manifestants étaient cette fois infiniment plus nombreux et beaucoup plus divers en termes d’origines, mais qu’en termes de slogans et de prises de parole il s’était agi quasi-exclusivement du crime à Charlie… Je rentrai un peu groggy, un peu meurtri à Montreuil où j’habitais alors, à quelques mètres seulement de la maison du dessinateur Tignous, tombé sous les balles des frères Kouachi comme Wolinski, Cabu, Charb, Cayat, Honoré et tous les autres…   

Deux ans plus tard, dans un silence médiatique profond, induit par le 2ème tour des Présidentielles, survenait l’assassinat atroce de Sarah Halimi sous les coups du vrai Sheitan de son quartier, Kobi Traoré. Un crime passé sous les radars de tous ou presque. Les organisations juives n’appelaient pas à manifester. Seule une modeste marche blanche eut lieu dans le quartier de Belleville, où vivait le docteur Sarah Halimi. Je n’étais pas là cette fois – je participerai bien plus tard aux manifestations de République et du Trocadéro, quand la faillite de la justice et de l’exécutif aura été patente, et pour réclamer que son assassin, voyou islamiste, prétendument « fou » ou au discernement tout aussi prétendument aboli par la consommation de stupéfiants, soit jugé.

J’apprendrai plus tard que le petit cortège de juifs indignés et éplorés qui marchaient en silence en direction de la rue de Vaucouleurs avaient fait l’objet d’insultes, de crachats et même de jets d’objets par les fenêtres de certains voisins de Mme Halimi…

Et vint la manifestation pour Mireille Knoll

Voilà qu’un peu moins d’un an plus tard, en mars 2018, survint un nouvel assassinat des plus sordides.  Celui de Mireille Knoll que personne n’a oubliée. Cette fois les médias sont au rendez-vous et l’indignation générale semble forte. Au point donc qu’une manifestation est organisée en début de soirée du 28 mars, depuis la Place de la Nation jusque devant l’immeuble où habitait l’octogénaire juive, Avenue Philippe Auguste, via une partie du boulevard Voltaire.

Cette fois encore je fais partie des milliers de personnes – 30.000 selon les organisateurs -, dont une grande majorité de juifs, qui défilent dans cette « marche blanche ». On y croise des artistes ou des gens de télé, Patrick Bruel par exemple, des intellectuels comme Alain Finkielkraut, des hommes de toutes les religions, même si encore une fois la communauté juive est majoritairement représentée.

Et puis il y a les politiques. Sans surprise des gens de gauche et de droite (du LR au PS) qui nous soutiennent sans relâche comme le regretté Claude Goasguen, des membres de LREM et des ministres et, contre toute attente, répondant à l’invitation de Daniel Knoll qui disait espérer à la veille de la manifestation que tous les bords politiques seraient représentés, les extrémistes de droite et de gauche sont de sortie. En dépit de l’opposition ouverte du CRIF, l’initiateur du rassemblement, Marine Le Pen et le RN d’une part, Jean-Luc Mélenchon et LFI d’autre part, s’invitent à la manifestation.

On a beaucoup entendu à l’époque, et lu dans la presse, que sous les invectives des manifestants et dans la cohue, les deux leaders et leurs troupes avaient dû renoncer à défiler et avaient quitté rapidement le cortège, exfiltrée pour l’une, repoussé pour l’autre.

 Cela ne s’est pas passé exactement comme cela. J’étais en effet sur place à l’endroit-même où les deux mouvements extrêmes (Marine Le Pen avec quelques-uns de ses amis dont Gilbert Collard, Jean-Luc Mélenchon chapeau mitterrandien vissé sur la tête et écharpe d’élu en bandoulière, avec à ses côtés Alexis Corbière, Eric Coquerel, Adrien Quatennens, Mathilde Panot ou Danielle Simonnet) sont arrivés dans le cortège. Ils débouchaient, depuis la rue des Immeubles industriels, sur le boulevard Voltaire, à quelques dizaines de mètres seulement du café où le frère de Salah Abdeslam s’était fait exploser le dernier le 13 novembre 2015…   

A la vérité, Marine Le Pen a été protégée, en plus de son service d’ordre, par quelques militants de la Ligue de Défense Juive qui ont formé un cordon de sécurité autour d’elle et dont certains l’ont même applaudie à son arrivée. Il y a bien eu quelques « Le Pen dehors ! » scandés par une poignée de manifestants. Pas de quoi cependant la voir quitter précipitamment le cortège. C’est donc d’elle-même qu’elle est partie après seulement quelques minutes, le temps d’être prise en photo par les journalistes sur place et d’être immortalisée par quelques caméras pour les journaux télé de 20h.

Ce fut très différent pour Mélenchon et LFI. On constata une véritable hostilité à leur présence sur place. Elle émanait là encore sans surprise de militants de la Ligue de Défense Juive, mais aussi d’autres manifestants hostiles, plus nombreux que pour Marine Le Pen, qui criaient « On ne veut pas de vous » ou « Pas d’antisémites dans notre manifestation ».

On a bien vu à ce moment-là la colère et une forme de mépris hautain se dessiner sur le visage de Jean-Luc Mélenchon et un peu de peur chez certains de ses militants présents. A quelques mètres de moi, Mélenchon prononça devant une caméra de France Télévision ces mots : « Le sujet de la manifestation, ce n’est pas moi. C’est cette femme assassinée par des violents et des barbares et la nécessité de montrer que toute la communauté nationale serre les rangs. Le reste, c’est vraiment un épiphénomène » et il ajouta avant de quitter sans délai les lieux alors que la marche s’ébranlait à peine : « Que chaque juif sache qu’il est sous la protection de la communauté nationale, voilà ce qui est important. »

Ce qu’il me resta moi de ce départ précipité ? Ce sont les propos d’un militant LFI dont j’ignorais le nom, s’adressant à l’un de ses collègues : « Ah ces juifs, ils sont incorrigibles, même quand on vient les défendre, ils nous crachent à la gueule ! »

La manifestation reprit son mouvement boulevard Voltaire, avant de tourner à droite puis de repartir Avenue Philippe Auguste, en direction de l’immeuble de Mireille Knoll où le cortège s’immobilisa. Certains politiques de droite, de gauche et de LREM se pressaient pour qu’on les voie bien à l’avant du cortège.
Une ministre (Elisabeth Borne) me marcha sur les pieds, me bouscula pour avancer au milieu de la foule et fit des moulinets des bras en criant qu’on la laisse passer…

Enfin un ami juif et haut fonctionnaire que je croisais à ce moment-là et à qui j’exprimais mon désarroi devant ce nouveau crime antisémite me répondit avec un sourire pas du tout adapté aux circonstances, et ouvrant ses deux bras vers le ciel : « Qu’est-ce que tu veux Gérard, c’est comme ça, on n’y peut rien ! »

Je repartais aussitôt de la manifestation devant ce fatalisme insupportable, le cœur au bord des lèvres.

En conclusion

Pourquoi, plusieurs années après, tous ces souvenirs me sont revenus ?

Sans doute parce que la question antisémite n’est toujours pas réglée en France, loin s’en faut (la progression des actes contre les juifs est chaque année plus forte, alors que nous sommes toujours moins nombreux dans l’hexagone et je ne digère toujours pas le désastre judiciaire dans le drame de Sarah Halimi).

Sans doute aussi parce qu’alors je n’imaginais pas qu’en 2022, le deuxième et le troisième au premier tour des Présidentielles, avec énormément de suffrages à la clé, seraient Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen, et que cette dernière réunirait au second tour 42% des suffrages exprimés.
Sans doute encore parce que je n’imaginais pas que le PS, les verts et les communistes se rallieraient avec armes et bagages au mouvement de Jean-Luc Mélenchon, dans des législatives en guise de troisième tour, oubliant notamment les complaisances de LFI avec l’islamisme politique et la désignation pour représenter son mouvement à Vénissieux d’un « journaliste » avant tout militant, soutien du même islamisme politique et condamné par la justice pour avoir insulté une de ses coreligionnaires du seul fait qu’elle était flic.   

Sans doute parce que je n’imaginais pas enfin qu’Emmanuel Macron aurait songé, ou songerait encore à l’heure où j’écris ces lignes, à nommer Elisabeth Borne au poste de Premier Ministre, tandis que le haut fonctionnaire fataliste pourrait très bien devenir ministre.

Je n’aime toujours pas les manifestations, et je souhaite ardemment que dans les années à venir je ne sois pas condamné de nouveau à battre le pavé, parce qu’un ou plusieurs de mes coreligionnaires, ou bien des Français de toute autre religion (ou sans religion) auront été les nouvelles victimes de la barbarie. Je vous avoue que je n’en suis pas sûr…  

© Gérard Kleczewski

Gérard Kleczewski est Citoyen et Journaliste

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