Daniel Salvatore Schiffer, Guy Sorman, Pierre-André Taguieff, Robert Redeker : Lettre ouverte à Vladimir Poutine

Des intellectuels français adressent une lettre ouverte à Vladimir Poutine, président de la Fédération de Russie, pour lui demander d’arrêter cette guerre, au nom de l’humanité, de la raison et de l’intérêt de notre civilisation.

Vladimir Poutine. Photo © Ramil Sitdikov/AFP

Marioupol, Kharkiv, Irpin, Boutcha, Borodyanka, Kramatorsk : autant de noms de villes ukrainiennes synonymes aujourd’hui, par l’atrocité des massacres qui les ensanglantent aussi bien que par l’ampleur des destructions qui les ravagent, d’horreur, de morts, de désolation et indescriptibles souffrances, assimilables, par l’indignation qu’ils suscitent très justement au sein de la conscience humaine, à de terribles “crimes de guerre”, sinon à d’encore plus effroyables “crimes contre l’humanité”.

Certes, nous connaissons les arguments que vous invoquez, dont une hypothétique « dénazification » de l’Ukraine en même temps qu’un supposé « génocide » à l’encontre des populations civiles du Donbass, pour expliquer ce que vous appelez, d’un euphémisme langagier qui ne peut que nous étonner sur le plan militaire mais aussi nous heurter au niveau intellectuel, une « opération spéciale » . À l’inverse, nous sommes également parfaitement conscients des très contreproductives maladresses et autres non moins préjudiciables fautes que la communauté internationale, les États-Unis d’Amérique en tête, a pu parfois commettre, sur le plan diplomatique et souvent pour d’hypocrites mais rentables intérêts géostratégiques, à l’encontre de votre pays, qu’elle a parfois, par le passé, unilatéralement humilié, sinon inconsidérément insulté, et quelquefois même outrageusement diabolisé.

Bref : une inacceptable stigmatisation où l’on voit même désormais poindre, çà et là, d’insidieux, et d’autant plus troublants, accents de racisme antirusse, d’inacceptables relents de xénophobie à l’encontre, non seulement de vos diplomates et autres oligarques mais, plus généralement, de manière bien plus indistincte et abusive encore, de vos sportifs, artistes et intellectuels également, y compris les plus inoffensifs idéologiquement. Cela s’avère, certes, nous l’admettons volontiers, éminemment regrettable !

Mais, enfin, quelles que soient ces erreurs d’appréciation ou nuances d’analyse, quels que soient même, et peut-être surtout, les motifs que vous employez pour justifier ce que nous ne craignons pas d’appeler, plus encore qu’une brutale agression, une guerre insensée, due précisément à cette inconcevable invasion de l’Ukraine, nation libre et souveraine, par la Russie, ces mêmes motifs nous paraissent, au vu de l’immense tragédie humaine que votre armée provoque impitoyablement, aussi injustifiables moralement qu’illégitimes politiquement. Nous l’avons fermement condamnée, du reste, dès le début, tout en nous rangeant aussitôt, et parallèlement, aux côtés de l’admirable résistance ukrainienne !

Ainsi, Monsieur le Président,

Ainsi, Monsieur le Président, souhaitez-vous vraiment passer à l’histoire comme, de sinistre mémoire et même si cette comparaison peut parfois sembler, à certains, excessive, voire outrancière, un nouveau Hitler, quoique, paradoxalement, votre pays eût naguère grandement contribué à vaincre, pour le bien de l’Europe elle-même, l’Allemagne nazie ? Voulez-vous vraiment que la postérité, vos enfants comme votre peuple, sinon le monde entier, se souvienne de vous comme, croupissant misérablement au fin fond d’une obscure prison pour criminels de guerre, le pire des tyrans, à l’instar, autrefois, d’un Staline, d’un Pol Pot ou d’un Milosevic ? Désirez-vous vraiment faire partie de cette funeste procession de dictateurs finis, comme bon nombre de fous furieux en mal de pouvoir absolutiste, dans les nauséabondes cuvettes de l’histoire et que, pire encore, votre nom, déjà suffisamment terni par l’abjection de cette guerre, soit à jamais marqué du sombre et méprisable sceau de l’infamie ?

À cela, déjà déplorable en soi, s’ajoute un autre élément, non négligeable, et qui, comme tel, devrait, pour le « patriote » que vous clamez être, vous interpeller aussi : le fait que ce soit l’image même de la Russie, son richissime héritage culturel comme son inestimable patrimoine artistique, qui, par cette guerre que vous menez de façon aussi violente, arbitraire et indiscriminée à l’encontre de milliers d’innocents, se voit ainsi aujourd’hui, certes injustement mais néanmoins gravement, dégradée, endommagée aux quatre coins de la planète, stigmatisée dans son ensemble. Et, faut-il vous l’avouer, nous en sommes, nous qui aimons tant votre pays, sa grande littérature (de Pouchkine, Lermontov ou Gogol à Dostoïevski, Tchekhov ou Tolstoï, en passant par Essenine, Tourgueniev, Pasternak, Maïakovski, Soljenitsyne ou Vassili Grossman) aussi bien que ses fabuleux musiciens (de Tchaïkovski à Rachmaninov en passant par Prokofiev, Moussorgski, Chostakovitch, Scriabine, Stravinski ou Rimski-Korsakov), infiniment tristes, profondément désolés !

De même, nous souvenons-nous que l’une des plus belles villes du monde, Saint-Pétersbourg, qui est par ailleurs aussi votre berceau natal, fut bâtie par les meilleurs architectes et ouvriers vénitiens, y abritant l’un des plus somptueux musées du monde, l’Ermitage, connexe au magistral palais d’Hiver, et où, au XVIIIe siècle déjà, quelques-uns de nos philosophes les plus prestigieux, dont Voltaire et Diderot, précurseurs de la Révolution française, nantis de leur inaliénable sens de la démocratie chevillé au cœur comme au corps, allaient présenter leurs hommages à votre légendaire impératrice, Catherine II !

C’est donc au nom même de la civilisation,

C’est donc au nom même de la civilisation, de son esprit en ce qu’il a de plus noble, haut et précieux, y compris au sein de la grande et belle âme russe, que nous vous demandons instamment, Monsieur le président, de mettre un terme, toutes affaires cessantes, à cet indicible carnage en Ukraine. L’abomination y est, en effet, à son comble, inimaginable, dans son indescriptible cruauté, pour le commun des mortels. Les récits des rescapés sont glaçants. Les témoignages des victimes, épouvantables et bouleversants tout à la fois. N’éprouvez-vous donc aucune compassion, Monsieur le Président, envers ces nouveaux martyrs ? Rien, absolument rien, ne peut justifier un tel déchaînement, incompréhensible, inique et aveugle, de violence !

Revenez donc, Monsieur Poutine, à la Raison ! Respectez le droit international au lieu de vous mettre ainsi, par cette folie meurtrière tout autant que par cette suicidaire fuite en avant, au ban des nations ! De grâce, pitié pour les innocents ! Cette barbarie est une insulte à l’humanité, une honte comme une tache indélébile aux yeux de bon nombre, ne vous en déplaise, de vos concitoyens ! Davantage : arrêtez, s’il n’est pas trop tard, cette immonde guerre et engagez-vous plutôt, en toute honnêteté et transparence, en de véritables, sérieux pourparlers de paix ! Mieux : ne trahissez pas, au fallacieux nom d’on ne sait quel patriotisme de mauvais aloi, d’un nationalisme aussi mal entendu qu’interprété, la féconde et brillante culture de votre patrie ! Ne la déshonorez pas ! Ne faites pas en sorte que le Crime et châtiment du mémorable Dostoïevski et autres Âmes mortes du génial Gogol deviennent finalement, mais surtout très concrètement, la hideuse et infernale métaphore romanesque, pour votre malheur, de votre propre tombeau !

L’insondable mais équitable tribunal de l’histoire,

L’insondable mais équitable tribunal de l’histoire, sinon celui des hommes, pourra peut-être ainsi, s’il en est encore temps, vous sauver de son implacable justice… Une ultime précision : si nous prenons la peine de nous adresser par écrit à vous aujourd’hui, risquant peut-être ainsi de devoir nous confronter à certaines critiques de la part de nos estimables pairs, au vu d’un sujet aussi douloureux comme d’une problématique aussi épineuse, indéfendable à tous égards, ce n’est finalement, sachez-le, qu’en désespoir de cause. Aucune conscience digne de ce nom ne peut, en effet, rester insensible et silencieuse, à moins de faire preuve d’une indifférence dont on ne sait si c’est l’incroyable cynisme ou le terrifiant égoïsme qu’il faut déplorer le plus en pareille circonstance, face à un tel drame humain !

Robert Redeker, Daniel Salvatore Schiffer, Guy Sorman, Pierre-André Taguieff


Daniel Salvatore Schiffer est philosophe, écrivain et éditorialiste ; Robert Redeker est philosophe ; Guy Sorman est écrivain et économiste ; Pierre-André Taguieff est philosophe et historien des idées.

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12 Comments

  1. Guy sorman est un sinistre pro BLM pro décolonial et wokiste qui dirige le répugnant magazine France Amérique. L’exemple parfait de la haine de soi et de l’inculture des milieux universitaires les plus radicalisés. Totalement infréquentable. Contrairement a Targuieff très estimable

  2. Cette lettre est tout à fait juste dans son contenu mais il ne sert à rien d’écrire à un criminel de guerre qui confond culture et culturisme, ses petits muscles étant d’ailleurs assez flasques …

  3. Israël défend les Juifs. La Russie défend les russophones qui réclament son aide. Les auteurs méconnaissent la nature de l’Etat ukrainien. Le nazisme d’Azov n’est pas du folklore ultra-nationaliste.

  4. Le nazisme déshummanise ses ennemis. C’est ce qu’ont fait les banderistes à l’égard des ukrainiens russophones de l’Est. C’est documenté, notamment par Anne-Laure Bonnel. Il faut écouter ou lire Johan Chapoutot, historien du nazisme, pour comprendre ce qui se passe. Les Occidentaux n’ont pas compris ce qui se passait au Rwanda en 94 car ils pensaient qu’un génocide était impossible. Si les Ukrainiens paient au prix fort ce conflit, les Occidentaux portent une responsabilité immense. Les Etats-Unis ont soutenu l’effort de guerre ukrainien au moins avant 2021. La France s’est tue et s’aligne servilement. Malheur aux gens qui n’ont pas d’Etat pour les défendre. Les Ukrainiens russophones en ont un et ce n’est pas le leur.

    • Le président Zelinski est aussi un ukrainien russophone et il a été élu par 76 % des ukrainiens. Aujourd’hui, il le serait à plus de 90 % grâce à Putin, cet agresseur raciste.

  5. Il m’intéresserait de savoir si les “intellectuels” se sont jamais fendus d’une lettre ouverte à Biden, pour l’Irak, par exemple.
    “PUBLIÉ LE22 NOVEMBRE 2020 PAR JEAN-PIERRE FILIU
    Retour sur quinze années d’erreurs de Biden en Irak
    Fervent partisan de l’invasion américaine de l’Irak, en 2003, Joe Biden a même plaidé pour la division de ce pays en trois entités autonomes, tout en stigmatisant la France en termes injurieux.”

  6. C’est un schéma récurrent. Ce déni complet et permanent. L’indignation à géométrie variable. Actuellement les Nazis Turcs pratiquent une politique d’épuration ethnique contre les Kurdes et les Yezidi. Les médias de nos démocratures évitent bien sûr d’en parler. Tout comme des crimes commis par les Palestiniens contre les Israéliens. Les massacres de Blancs en Afrique du sud (une réalité). Les innombrables violations des droits de l’homme aux USA dont certaines n’ont rien à envier à celles du Pakistan ou de la Coree du nord. Les viols de centaines d’adolescentes anglaises réduites en esclavage par des islamistes avec la complicité des autorités locales. Nos sociétés baignent dans le mensonge et le déni. J’en suis arrivée à me considérer comme une dissidente politique tellement nos démocratures occidentales (c’est ce qu’elles sont devenues) me dégoûtent. C’est une question d’ordre éthique : à un moment il faut choisir entre le mensonge et la vérité. Si on est du côté de la vérité et de la dignité humaine on ne peut être que dissident(e).

  7. Guy Sorman : l’un des promoteurs du wokisme et du honteux concept d'”islamophobie”. Antisémite, anti-blancs et francophobe…Et il n’a évidemment rien d’un intellectuel : il suffit de lire sa prose quelques minutes pour se rendre compte de son inculture et de son incapacité à developper un argument qui ne puisse être démoli par un enfant de 12 ans normalement intelligent.
    A choisir je crois que je préfère encore Vladimir.

    • Guy Sorman que vous vous plaisez à disqualifier sous de faux prétexte n’est pas le seul auteur de ce texte. Il n’a tué personne contrairement à Putin qui est un criminel de guerre et un criminel contre l’humanité, responsable de la mort de dizaines de milliers de personnes, du massacre et du viol de civils ukrainiens, de la destruction de villes entières en Ukraine, de 11 millions de réfugiés ukrainiens et de la déportation de plus d’un million d’ukrainiens, hommes, femmes et enfants.

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