Claude Pérez : « Paul Claudel a abandonné l’antisémitisme de sa jeunesse »

Le critique littéraire et écrivain Claude Pérez est l’auteur d’une riche biographie, Paul Claudel : « Je suis le contradictoire », parue aux éditions du Cerf. En s’appuyant sur des archives inédites, il montre combien l’écrivain catholique s’est émancipé de l’antisémitisme de sa jeunesse pour devenir un philosémite et un sioniste.

Tribune Juive – Paul Claudel était-il antisémite comme on l’entend régulièrement dire ?

Claude Pérez – Il l’a été violemment dans sa jeunesse, c’est-à-dire dans les années 1880 et plus tard à l’époque de l’affaire Dreyfus. Sa famille, son père, sa sœur Camille, la sculptrice (dont les premiers acheteurs sont pourtant des Juifs) l’étaient également. Ils étaient des lecteurs d’Edouard Drumont, l’auteur de La France juive. On ne sait pas si Paul le lisait aussi, mais son antisémitisme dans cette période de sa vie, après sa fameuse conversion au catholicisme de 1886, ne fait aucun doute. Il se fâche alors avec des amis dreyfusards. Il a toutefois des amis juifs, comme Marcel Schwob, pour lequel il a une grande affection, et plus tard André Suarès, puis Darius Milhaud.

Paul Claudel, écrivain et diplomate français, en 1928. Ph. Coll. Archives Larousse

Comment Claudel a-t-il évolué par la suite ?

Paul Claudel était diplomate de profession, et on l’a envoyé très loin. De 1895 à 1909, il est en Chine. Puis il rentre en Europe : il est nommé consul à Prague d’abord, puis à Francfort. Dans ces deux villes, la population juive est nombreuse. Et ces Juifs (à l’inverse de Schwob et de Suarès) sont des croyants. Lui-même l’est aussi, bien sûr, c’est un catholique ardent, et cette persistance de la foi juive, dans une Europe qui tourne le dos à la croyance, dans ce qu’il appelle « l’apostasie du monde moderne », le touche au vif. Il raconte qu’une de ses plus fortes émotions à Prague, c’est la vue en 1910 chez un marchand de bric-à-brac d’un grand chandelier à sept branches. A Francfort ensuite, il fréquente une bourgeoisie juive cultivée qui s’intéresse à ses œuvres. A tout cela s’ajoute le fait essentiel que Claudel est un lecteur inlassable de la Bible. Or la Bible avant d’être le Livre des chrétiens est le Livre des Juifs. Comme il l’écrira en 1941 : « Israël est le fils aîné de la promesse ». Jésus, et tous ses disciples, sont des juifs. Claudel a donc abandonné l’antisémitisme de sa jeunesse.

Jusqu’à quel point Claudel y renonce-t-il ?

Dans les années vingt, il est devenu philosémite et même sioniste. Dans les années trente, il est violemment hostile au nazisme, à la bande « de fous furieux et de sicaires qui règnent à Berlin ». En mai 1936, dans une lettre adressée à l’organisateur du Congrès juif mondial et vite publiée, il dénonce « la législation abominable et stupide » dirigée contre les Juifs en Allemagne et « le paganisme renaissant sous sa forme la plus basse et la plus hideuse ».

« Que Dieu protège et bénisse Israël » (Paul Claudel au grand Rabbin Isaïe Schwartz, décembre 1941)

Le pétainisme de Claudel -on connaît son Poème au Maréchal– n’était donc pas lié à son antisémitisme, depuis longtemps abandonné. Pourquoi, alors, avoir soutenu Pétain ?

Claudel a été pétainiste pendant un an (de juillet 1940 à juin 1941), parce qu’il a cru, comme on le disait à l’époque, que De Gaulle était l’épée et Pétain le Bouclier. Mais j’ai trouvé des documents attestant que le domicile de Claudel était surveillé dès juillet 1940, que ses domestiques l’espionnaient pour le compte de la police de Vichy. Il détestait et méprisait Laval, il a été d’emblée très hostile à la collaboration. Du reste, le poème à Pétain est écrit à la Noël 1940, 15 jours après l’arrestation de Laval à Vichy le 13 décembre.

En décembre 1941, après la rafle dite des notables, il a adressé au Grand Rabbin Isaïe Schwartz une lettre où il exprime « le dégoût, l’horreur, l’indignation qu’éprouvent à l’égard des iniquités, des spoliations, des mauvais traitements de toutes sortes, dont sont actuellement victimes nos compatriotes Israélites, tous les bons Français et spécialement les catholiques […] Que Dieu protège et bénisse Israël». Cette lettre a été beaucoup diffusée sous l’Occupation, jusqu’à Drancy. Un historien britannique écrit à juste titre qu’aucun autre auteur, à cette date, n’a condamné aussi vigoureusement les persécutions antisémites. Le domicile de Claudel a du reste été perquisitionné en 1942.

Vous écrivez dans votre livre que de Gaulle a pris contact avec lui pendant la guerre. Pourquoi cette démarche ?

C’est une chose que j’ai découverte en effet, aux Archives nationales, et qui était entièrement inconnue de ses précédents biographes. En 1942, de Gaulle l’a invité à le rejoindre à Londres, où se trouvait déjà l’un des gendres de Claudel. Il aurait dû s’embarquer dans un sous-marin au large de Marseille et il a refusé: il avait 74 ans. Mais il a reçu chez lui, la même année, Emmanuel d’Harcourt, envoyé par les services secrets de la France Libre. Je publie dans mon livre le rapport d’Harcourt. Claudel est alors un « gaulliste violent », qui préconise d’envoyer un commando parachutiste sur Vichy afin d’enlever Pétain « et toute sa clique » et de les pendre !

Qu’en est-il, après la guerre, du philosémitisme et du sionisme de Claudel ?

Il a été un de ceux qui ont déploré en 1945, « l’affreux silence » de Pie XII sur le génocide. Il est aussi l’un des premiers écrivains français à avoir pris, dès le lendemain de la guerre, à un moment où l’on ne parlait guère de l’extermination, la mesure ce qu’il appelle lui-même holocauste.

Son Évangile d’Isaïe, dédié « au Peuple d’Israël », est rédigé entre l’été 1948 et l’été 1949, dans les mois qui suivent immédiatement la création du nouvel État, qu’il a ardemment soutenue. C’est ce livre qui faisait dire à Emmanuel Levinas, en 1969, après la mort du poète : « Souverainement Claudel ose ce que, à l’heure de toutes les confusions, personne ne peut oser aujourd’hui. Il met à part le martyre d’Auschwitz ».

Propos recueillis par Laurent Ottavi

Suivez-nous et partagez

RSS
Twitter
Visit Us
Follow Me

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*