Valérie Toranian. Affaire Sarah Halimi : cannabis et permis de tuer

Marche en hommage à Sarah Halimi, à Paris le 5 janvier 2020 (©Tenani Serge/Avenir Pictures/ABACA)

Rendant son verdict dans l’affaire Sarah Halimi, torturée puis défenestrée par son voisin Kobili Traoré aux cris de « Allahu akbar » en 2017, la Cour de cassation a suivi les jugements rendus en première et en seconde instance : elle a confirmé l’irresponsabilité pénale de Kobili Traoré qui aurait agi sur le coup d’une « bouffée délirante aigüe » liée à la consommation de cannabis. Elle a refusé de renvoyer l’affaire devant le tribunal, comme le réclamaient les parties civiles. L’assassin de Sarah Halimi ne sera pas jugé.

L’affaire est close d’un point de vue judiciaire mais elle n’en finit pas de susciter l’émotion car si la Cour de cassation “dit le droit”, peut-on considérer pour autant que justice soit rendue ? Et même si le droit devait aboutir à l’irresponsabilité de Kobili Traoré, pourquoi se priver d’un procès qui aurait éclairé l’affaire et permis l’examen contradictoire des expertises ?

Rappelons les faits : Kobili Traoré, 30 ans, sans emploi, condamné une vingtaine de fois pour usage et trafic de stupéfiants, vol, violences, outrage et rébellion, a séquestré une famille, puis a pénétré par le balcon chez Sarah Halimi, retraitée de confession juive de 65 ans, l’a battue à coups de poing et de pied pendant une heure avant de la précipiter dans le vide aux cris de « Allahu akbar ». Pendant son crime, il récitait les versets du coran et traitait sa victime de « sheitan » (mot utilisé pour désigner le « démon » juif). Raison pour laquelle le crime sera finalement reconnu comme antisémite même si la procédure n’y était pas favorable au début.

« La première leçon du jugement dans l’affaire Sarah Halimi, c’est cela : le droit français vous lave de vos fautes si vous êtes très défoncé. »

Kobili Traoré a un casier judiciaire chargé : à chacun de ses délits précédents, il n’a jamais été reconnu irresponsable. Ce n’est pas un “fou”, il ne souffre d’aucune pathologie psychiatrique connue, mais les experts ont estimé qu’une consommation chronique de cannabis depuis quinze ans pouvait annihiler le discernement et produire une bouffée délirante au moment du passage à l’acte.
Le fait que cette bouffée délirante soit due à une consommation volontaire de cannabis et non à une vraie pathologie psychiatrique n’entre pas en ligne de compte. Si on considère que vous avez l’esprit embrumé au moment des faits, vous n’êtes pas responsable. Que vous soyez un fumeur de pétards chronique ou un grave psychopathe ou schizophrène, le droit ne fait pas de différence.
Pire, le droit actuel considère que si vous avez consommé des drogues ou de l’alcool qui altèrent votre jugement mais sans l’abolir complètement, alors la drogue est un facteur aggravant de votre crime. C’est le cas pour le non-respect du code de la route et les viols.
En revanche, si vous avez consommé plus que de raison et qu’on considère que votre discernement n’est pas seulement altéré mais aboli, alors la consommation de drogues ou d’alcool… vous exonèrera de votre homicide si vous en commettez un !

La première leçon du jugement dans l’affaire Sarah Halimi, c’est cela : le droit français vous lave de vos fautes si vous êtes très défoncé. Mais vous accable si vous ne l’êtes qu’à moitié. On imagine avec frayeur ce que cette jurisprudence envoie comme message à ceux (et ils sont nombreux) qui se droguent régulièrement et qui ont affaire à la justice. Grosse dose de cannabis = interdiction de conduire mais permis de tuer ?

Dans son communiqué, la Cour de cassation écrit : “Le juge ne peut distinguer là où le législateur a choisi de ne pas distinguer”.
Autrement dit : ne nous reprochez pas d’appliquer strictement la loi, adressez-vous au législateur. Et tant pis si le message envoyé à travers ce jugement est : Plus on se drogue, Moins on est responsable pénalement…

“Le meurtrier de Sarah Halimi, lui, continuera à bénéficier de sa fausse impunité dans un établissement psychiatrique où il traite ses bouffées délirantes ponctuelles et où, après quelques mois ou années d’abstinence, on décidera vraisemblablement de le remettre en liberté.”

Répondant à l’émotion suscitée par ce verdict, Emmanuel Macron affirme dans une interview au Figaro  qu’il existe une faille dans le droit : “Décider de prendre des stupéfiants et devenir alors “comme fou” ne devrait pas à mes yeux supprimer votre responsabilité pénale. Sur ce sujet, je souhaite que le Garde des Sceaux présente au plus vite un changement de la loi. Là aussi, pas de fausse impunité.”

Le meurtrier de Sarah Halimi, lui, continuera à bénéficier de sa fausse impunité dans un établissement psychiatrique où il traite ses bouffées délirantes ponctuelles et où, après quelques mois ou années d’abstinence, on décidera vraisemblablement de le remettre en liberté.  Comme l’écrit Morgane Daury-Fauveau, Professeur de Droit Privé à la Faculté de Droit d’Amiens, “Deux des expertises concluent à l’absence de maladie mentale de Traoré, seule susceptible de justifier un enfermement de longue durée. Lorsqu’il sera sevré, il sera nécessairement libéré. Sauf à faire preuve d’un optimisme béat, qui pourrait croire qu’il se tiendra tranquille et loin de ses démons passés ? Le risque de récidive n’est pas illusoire. Orgueilleuse, la chambre criminelle a voulu s’élever au-dessus de l’opinion publique révoltée. Gardera-t-elle alors sa sérénité ?”
Ou bien passera-t-elle une nouvelle fois à travers les gouttes ? Comme lorsque le juge des libertés estime qu’on peut relâcher le violeur de la petite Anne-Lise. Et que nul ne peut remettre en question sa décision.

L’émotion ne doit pas primer lorsque la justice rend le droit. Mais ne tournons pas autour du pot : la justice dit le droit comme elle l’entend. Pour un cas plaidé, dix verdicts possibles, tous conformes avec le droit. La Cour de cassation se lave les mains et se retranche derrière l’article 122-1. “Cela fera sourire les pénalistes qui pourraient faire état de multiples exemples dans lesquels la chambre criminelle s’est montrée plus souple dans l’application du principe d’interprétation stricte de la loi pénale”, nuance Morgane Daury-Fauveau.

« Comment peut-on à la fois commettre un crime antisémite, c’est-à-dire avoir conscience de la nature de son acte, tout en étant jugé irresponsable ? »

Pourquoi la justice ne relève-t-elle pas les paradoxes du dossier ?

Comment peut-on à la fois commettre un crime antisémite, c’est-à-dire avoir conscience de la nature de son acte, tout en étant jugé irresponsable ? Sauf à considérer que l’antisémitisme est une « folie » qui ne peut se juger car elle relève de la psychiatrie. Donc, Mohamed Merah  assassin des enfants juifs de Toulouse irresponsable ? Amedy Coulibaly et les frères Kouachi irresponsables ? S’ils étaient sortis vivants de leurs crimes, ils seraient en train de se faire “soigner” en asile psychiatrique ?
Quelque chose ne tourne pas rond.

Pourquoi laisser entendre que les experts ont unanimement jugé l’irresponsabilité pénale alors que le Dr Zagury, expert renommé, a retenu l’altération et non l’abolition du discernement ?

Si un policier tuait un Noir au moment d’une interpellation et qu’il plaidait l’absence de discernement parce qu’il aurait consommé une drogue en grande quantité, imaginerait-on une seconde qu’il soit déclaré irresponsable ? Et qu’on l’envoie sans procès se faire soigner en hôpital psychiatrique jusqu’à ce qu’il soit sevré ? Le tollé serait énorme et à juste titre.

“La résignation générale à ce que cet antisémitisme fasse désormais partie de nos vies. La commodité de considérer qu’il s’agit non pas d’une question républicaine et civilisationnelle mais d’une question de psychiatrie.”

Des zones de ce dossier resteront obscures à tout jamais.
Pourquoi la brigade anti-criminalité est-elle restée une heure sur place sans intervenir ? L’instruction a-t-elle été correctement menée à charge et à décharge ou bien dès le départ, la juge a-t-elle considéré qu’il s’agissait d’une racaille avec un cerveau en bouillie à envoyer dare-dare se faire soigner sans rentrer dans les détails ?
Il y a le droit, certes. Mais il y a aussi l’impensé et le non-dit dans cette affaire.
La violence de cet antisémitisme islamiste qui n’est pas du délire mais une construction idéologique des fondamentalistes qui s’appuie sur une interprétation littérale du coran.
Ce qui gêne tous ceux qui nous expliquent que l’islam n’est qu’une religion de paix.
La résignation générale à ce que cet antisémitisme fasse désormais partie de nos vies.
La commodité de considérer qu’il s’agit non pas d’une question républicaine et civilisationnelle mais d’une question de psychiatrie.
La lâcheté d’un grande partie de la Gauche qui perpétue son déni et préfère manifester contre l’islamophobie.

Et notre honte d’assister à cette indignité générale.

 © Valérie Toranian

Source: La Revue des Deux Mondes

Suivez-nous et partagez

RSS
Twitter
Visit Us
Follow Me

3 Comments

  1. Une nouvelle affaire Dreyfus reflet non pas seulement d’une seule justice veule mais d’un terreau antisémite conjugaison de l’association du racisme et antisémitisme, du poids de l’islam en France, des abrutis de gauche et écologistes, des franchouillards qui ont découvert ce meurtre seulement ces derniers jours s’abreuvant de “n’oublier pas les paroles” puis de la néo ORTF…Sarah est deux fois victime, aujourd’hui son meurtre est devenue collectif ,celui d’une nation occupée par les musulmans et leurs collabos, Il faut transférer les instances à Vichy pour que tout soit clair.Honte à la Nation!

  2. A propos,les “rafles” de police n ont pas commence en 1941 en France,mais sous l Ancien Regime avec les marquis de Chamillart et d Argenson.Louis XIV avait cree “la milice” armee de reserve de la royaute-rien a voir avec Darnand-pour suppleer aux manques de troupes.Le niveau de desertion etait tel qu il fut decide de rafler les jeunes “sans foi ni loi”, c est a dire sans domicile ni emploi, qui trainaient dans les rues,pour les faire enfermer puis livrer aux sergents recruteurs “quand bien meme ceux cy n auraient commis aucuns crimes ou delicts” (ordonnances royales,collection Campet de Saujeon,serie archives militaires,Chateau de Vincennes,SHD).

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*