Michèle Chabelski. Souvenirs, Souvenirs ( XIV à XVI)

Bon

  Mercredi

    Résumé des épisodes précédents

   Michèle et Paul sont maintenant époux devant la loi.

Dieu devra encore attendre quelques jours…

  Belle Maman a organisé chez elle un dîner de henné suivant leur union à la mairie.

  De henné ?

  On a expliqué à la jeune mariée qu’il s’agissait d’une coutume séfarade qui consistait à enduire la paume des jeunes mariés de henné recouvert d’un ruban rouge.

   Enduire ?

  On reste marqué après ?

   Oui

   Je ne suis pas du bétail à marquer.

J’irai pas.

   Les malheureux parents tirèrent à hue et à dia dans un effort désespéré pour convaincre la rebelle.

En vain.

   A bout d’arguments, terrassés de rage et de honte, ils se rendirent à la fête, seuls, expliquant qu’un mauvais sort avait attaqué la mariée qui vomissait tripes et boyaux et devait garder la chambre pour éviter de malsaines retombées sur la moquette de Madame Cohen mère.

   Ça valait ce que ça valait.

   Autant dire pas grand-chose.

    La suite

     Les deux jours qui suivirent furent moroses.

    Les nouveaux mariés étaient interdits d’étreintes avant la validation divine qui devait avoir lieu le dimanche, ma mère virevoltait telle une mouche soule dans un verre de vin renversé, affairée aux dernières mises au point de détail avant le grand jour…

   Elle circulait, une feuille de papier à la main, de grands ronds figurant les tables soigneusement dessinées, ajoutant un nom ici, en gommant un autre là, au rythme des appels qui confirmaient ou annulaient leur présence in extremis.

  Sans compter les recommandations de dernière minute, je veux pas être avec Truc, il m’a volé de l’argent quand nous étions associés, ce ganef, me mets pas à côté de Machine, cette cavaleuse reluque toujours mon mari comme si c’était un cœur à prendre sous prétexte qu’elle a couché avec lui avant notre mariage…

   Les ébats, réels ou prétendus, des uns ou des autres, leurs problèmes de trésorerie, ces guerres picrocholines mettaient en effervescence ma mère dont le visage se fermait comme une huitre sous une giclée de citron dès qu’elle m’apercevait.

   Elle s’inquiétait sur la quantité de petits canapés, en faisait rajouter au foie gras, puis appelait pour les décommander, se souvenant que ce n’était pas cacher.

   La maisonnée ressemblait à Yalta en février 1945.

   Papa aussi faisait la gueule.

Ils étaient rentrés du dîner chez belle maman, assez gais, la main de maman emmaillotée dans un ruban rouge, heureux d’avoir partagé ces heures avec la belle-famille tandis que la mariée agonisait au fond de son lit.

   Taratata avait dit l’œil frisé de la belle-mère, qui avait glissé, mielleuse, j’espère que votre fille n’est pas de santé trop fragile.

   Genre manquerait plus que mon fils ait épousé une ashkénaze estropiée.

   Non avait expliqué maman, ce doit être l’émotion.

   Ben si la signature du parchemin officiel la faisait tant gerber, qu’en serait-il de la suite, pensaient la mère et le fils, un rien contrarié…

 Qui prirent de mes nouvelles avec réserve et parcimonie.

   Papa me regardait avec un peu d’acrimonie, il faut bien le dire…

   Mes copines n’adhéraient pas inconditionnellement à ma mutinerie.

 Je n’ai pas tué la reine d’Angleterre non plus.

  Tu as fait pire.

Tu as froissé ta belle famille et ton (futur) mari…

    Qui, respectant scrupuleusement la coutume, acceptait trop docilement à mon goût cette séparation de deux jours…

   Je l’appelai.

     Nous sommes mariés je te rappelle.

 T’as pas envie …minaudais je doucereusement… qu’on se voie ?

  Qu’on se voie…

Du verbe voir.

Mais au sens biblique.

C’était d’actualité…

   Non.

   Il espérait que j’allais mieux.

Et s’apprêtait à me voir 20 ans ou plus si affinités, il pouvait donc attendre 48 heures. Baroukh Hachem.

   Nous discutâmes encore un peu, il semblait avoir digéré l’affront et sa colère, se disait heureux, décrivait notre voyage de noces en Italie, mentionnait son impatience de me découvrir en mariée, nous nous quittâmes réconciliés.

   Essayage des chaussures, ouille, conciliabules avec les témoins- comme pour un duel du petit matin – t’es sûre que le rabbin va bénir ton alliance carrée ?

    Et le coiffeur ? On en parle, du coiffeur ?

      Je vais remonter tes cheveux en chignon, en laissant dépasser quelques petites boucles qui donneront un rien de désinvolture à l’ensemble, genre tu as dansé toute la nuit et quelques mèches folles en sont le témoin…

   Tu remontes rien du tout, pas de crinière échevelée, signe d’une soirée éméchée, tu brushes et tu te tais.

   Ohhhhh ?

     Je veux une coiffure sage.

        Pour une fois que je me proposais d’entrer dans le moule de la bienséance, petite coiffure simple sous canotier un rien effronté…

 Voilà…

   Bon, bon, concéda-t-il trouvant pour une fois sa cliente bien timorée…

  Le mariage ne l’arrange pas confiera-t-il plus tard à son compagnon dans un hoquet de déception…

  La suite prouva qu’il avait raison…

   Diner copains/ copines sans le promis, fous rires de dernière heure, la corde au cou ma vieille, c’est fidélité et compagnie je te préviens, plus un seul mec pour toi en ce bas- monde…

   Des milliards de gus sur la terre, et toi, bernique, tu n’en verras plus qu’un, tu ne te rendras même plus compte que le monde est peuplé de grands, de petits, de jeunes, de vieux, de médecins et d’éboueurs, de Français et d’étrangers, d’Ashkénazes et de Séfarades, de juifs, de non juifs, de chevelus et de chauves, de célibataires et de mariés, wallou,  pour moi la vie va commencer chantait Johnny, pour toi elle va finir  , raillaient ils avec tendresse..

   Oupsss

    Renée, ma belle-sœur chérie, ne disait rien d’autre en allumant sa cigarette au mégot précédent…

   Ma grand-mère disait siz a giter yingele, ce garçon est adorable, c’est vrai qu’il était avec elle comme un leker moelleux tiédi sur une table de goûter…

    Onctueux, affectueux, tendre, empli de respect, elle était presque amoureuse…

  Mémé Eva…

    Nous voilà donc rendus, vous et moi, au samedi soir, veille de Ce Que Vous Savez, et si vous en avez envie, nous ouvrirons ensemble demain les portes qui mènent de la maison bruyante à l’autel, accompagnés de…

   Mais seulement si vous en avez envie bien sûr…

    Que cette journée imprime sur notre mémoire le nouveau glossaire de référence, essentiel, pas essentiel, ouvert, fermé, ouvert, Noel, pas Noel, autorisation dérogatoire, amendes, contrôles, fragiles, cas contact, vaccin…

     Je vous embrasse

Bon

 Jeudi

   Résumé des épisodes précédents

     Michèle et Paul sont mariés devant la République.

    Le mariage religieux est imminent.

  La situation fut un peu tendue par l’absence de la future au dîner de henné offert par sa belle-mère.

   Elle déclara forfait, fit valoir son droit de retrait, se coucha et refusa d’accompagner ses parents à la soirée.

   Sa mère excusa son repli en prétextant une indisposition passagère.

   Passagère, s’écria la belle-mère ulcérée.

Pas de chance que le passage ait lieu le jour du henné !!

    Une impotente en plus! !

   La suite

     Après s’être mielleusement inquiétée sur l’état du fonctionnement de la fragile mariée, la belle-mère posa un épais couvercle sur l’offense, la mère se désolidarisa de son outrageante fille en lui adressant à peine la parole et le papa la bouda un peu par solidarité avec sa femme.

   Les mariés se réconcilièrent au téléphone puisqu’il leur était interdit de se rencontrer bibliquement avant l’union sacrée.

   Pas longtemps.

  On peaufinait les détails, on comptait et recomptait les invités et les petits fours dans une asymétrie qui profitait largement à l’équipe méditerranéenne.

   La belle-mère avait invité le ban et l’arrière ban, la fratrie et les parents de ses bru et gendres, leurs potes, leur cordonnier et leur dermato.

   Quand y en a pour vingt y en a pour deux cent cinquante, devise   transmise à ma mère par la chef de clan, ce qui était une pure dénaturation de la vérité dans cette famille où on préparait un repas de noces pour un dîner de Chabbat…

   Passons…

    Ma robe et mon chapeau reposaient languissamment sur un fauteuil, j’avais conservé mes ongles rouge sang sauvés in extremis des ciseaux de la rabbine du mikve, qu’on avait voulu laquer d’un rose tendre plus adapté à la discrétion d’une jeune épousée …

   Niet dis-je car ma mère était russe.

     Ils resteront rouges comme le feu de bonheur qui me brûle en ce jour béni…

    Rouges ils demeurèrent…

   Au point où on en était…

    Il fallait régler aussi les détails de l’arrivée…

   Le marié débarquait avec sa mère, la future accompagnée de son père.

  Dans une voiture pilotée par un membre de la famille.

   Pas du tout, affirma le promis, ce sera mon patron.

   Ce sera qui ?

   Mon patron.

   Ben pourquoi ?

     Parce qu’il l’a demandé …

    Et mon père ?

    Ben ton père arrivera dans une autre voiture…

    J’en eus le souffle coupé.

      No way, dis-je en anglais, comme l’aurait affirmé Jane Fonda par exemple.

   Eh ben t’arriveras avec ton père et mon patron…

 C’est lui qui me fait vivre…

   Patron paternaliste genre 19 e siècle, avec droit de cuissage intégré…

Mais je n’allais pas me sauver une 3 e fois…

  Je précise que ledit patron possédait une limousine de large envergure, mais qu’il m’avait fait à plusieurs reprises de honteuses avances, suivi de près par son fils qui m’avait confondue avec son cadeau de Noël.

    Beurkkk

   Papa, informé du désastre, accepta le partage de la banquette avec le vieux libidineux…

 Il trouvait l’incident dérisoire et savait faire la différence entre l’essentiel et l’accessoire…

  Fin diplomate…

   Des neveux et nièces furent nommés enfants d’honneur, mais comme je ne souhaitais pas prendre le voile, ils suivraient mon chapeau les mains dans les poches – et sans courir, hein ? Tu m’as bien entendue ? – le premier couple portant le coussin de satin sur lequel reposaient l’alliance ronde et l’alliance carrée…

 Étrange combinaison géométrique …

    La date des épousailles y avait été gravée, de sorte qu’on se souvienne à jamais la puissance symbolique de ce jour.

  Je ne risquais pas de l’oublier puisqu’il s’agissait du 4 juillet.

   Se marier un jour de Fête de l’Indépendance, ricanèrent mes amis…

  Faut avoir le goût du paradoxe…

    Je l’avais…

      J’avais enterré ma vie de jeune fille dans un dîner ou mes potes ironisaient sur mon introduction à la Bourse des gens mariés et sur le caractère quasi irrévocable de ma décision, quelqu’un lança, pas irrévocable, il faut dire irréparable…

 Damned !!

 Rires…

    Ils me firent promettre de ne pas changer et de continuer à assister à nos sauteries, accompagnée de mon époux puisque tel était mon choix, si je parvenais à le convaincre d’y participer, lui qui était plus habitué aux chabbats sonores et aux dîners d’affaires un rien compassés.

    J’y parvins, mais il s’y sentait aussi à l’aise qu’un lion glorieux dans un pré de Beauce…

    Il frappait le sol d’un pied impatient et guettait l’heure raisonnable de lever le camp…

   Il aimait le luxe et la vie de château, lisait les cours de la bourse et fréquentait des gens sérieux, banquiers et entrepreneurs influents, je tapais du pied et j’attendais avec impatience l’heure de lever le camp…

   Mais bon…

     Jour J

     D Day

       Coiffeur rigolard un peu déçu de la platitude de mon choix, maquillage classique, lèvres très pâles, la bague de fiançailles passée à l’annulaire droit pour laisser la place à l’alliance, des copines virevoltant de tous côtés, ma mère excitée et anxieuse, mon père cœur serré plein d’espérance, ma grand-mère mesurant le chemin parcouru depuis Minsk et Kiev…

   Un pied de nez à Lénine, à Staline et à Hitler…

   Déjeuner rapide, tout le monde a une kippa ? On en avait prévu quelques-unes pour les non-initiés qui croyaient peut-être qu’on se découvre à la synagogue comme à l’église, collants fins, chaussures très hautes, de grosses marguerites blanches clippées aux oreilles …

Mais c’est du plastique ? 

Oui et alors ?

Pas grave…

   On est parti…

 Papa me serre très fort contre lui…

 Vraiment très fort…

    Là j’ai un peu envie de pleurer…

     Un cortège de voitures patiente devant la maison, je partirai la dernière…

    Après un délai jugé raisonnable, la berline s’ébranle, je suis serrée entre papa et monsieur Duchemin, un avenir radieux se profile et j’entends déjà chanter les lendemains avec les petits oiseaux à l’heure du petit déjeuner pris au lit entre les rires et les miettes…

   Bon, c’est pas vraiment gagné, mais j’impose silence aux points d’interrogation qui dansent la gigue dans ma tête…

    Et des enfants…

    Un rêve mille fois caressé, je me balade aux Tuileries en tenant la main d’une petite fille qui babille et rit en me jetant ce regard empreint de gravité et d’amour qui signe le bonheur d’un enfant…

   Pour l’heure, on roule…

   Ma robe n’occupe pas ces kilomètres carrés des tenues pleines de satin, de crêpe de chine, d’organza et de tulle traditionnelle…

   C’est une robe princesse toute simple, qui épouse discrètement le corps, aux manches en ailes de papillon d’où dépassent mes bras fins…

 Des boutons de rose brodés illuminent la soie pâle d’un éclat printanier…

   Une robe de mariée qui me vaudra les rires de mes filles quand elles découvriront les photos des années plus tard…

   Et Papa ?

Il a aimé ?

   Bof…

 Ce n’était pas l’idée qu’il se faisait de l’épouse d’un Cohen…

   Mais il m’a cérémonieusement embrassé la main, déçu de ne pas respecter la coutume qui consiste à lever délicatement le voile qui cache le visage de la mariée rougissante…

   Ben toi il t’a vue tout de suite alors…

    Et il l’avait déjà entendue aussi, ajoute sa sœur, délicieuse enfant, chair de ma chair, fruit de mes fécondes entrailles…

   Mais j’anticipe…

     Pour l’heure la voiture enrubannée de tulle et couverte de fleurs, se dirige lentement vers la rue Notre Dame de Nazareth où devrait attendre le promis s’il n’a pas pris la poudre d’escampette.

   Ce qu’on ne saurait lui reprocher dira une voix amie plus tard.

   Cruelle…

   Les bonnes copines…

    Mais je crois que c’était ma belle – sœur en fait…

    Pendant que la voiture roule, mon épaule contre celle de Papa en essayant d’éviter la jambe de Duchemin qui se colle à mon mollet, je me demande si j’ai bien fait d’acheter ce maillot de bain jaune prévu pour mon voyage de noces.

J’aurais peut-être dû prendre le vert, moins découpé…

  Peut-être qu’une femme mariée doit…

   Je ne sais pas en fait…

Je ne connais pas trop les règles de bienséance d’une femme mariée, jolie gamine rieuse et spontanée, liée à un mec jaloux et un peu rétrograde…

   C’est péché…

  Baroukh Hachem …

    Il fera néanmoins une partie du chemin vers moi, debout, tandis que je ferai l’autre vers lui en claudiquant et en ahanant…

   Mais j’anticipe…

   La voiture roule toujours et arrive enfin en vue de la rue Notre Dame de Nazareth…

    Une tache large et sombre devant la synagogue…

   La famille et de nombreux amis m’attendent…

 J’ai le cœur au bord des lèvres…

     Papa me serre fort la main.

      Quelqu’un ouvre la portière…

       C’est l’heure du p’tit dej… je dois me lever…

    Vous connaissez le mot magique :

    Encore !!!

      Que cette journée vous soit douce et claire, soyons patients, des images de seringues salvatrices dansent devant nos yeux…

    Je vous embrasse

Bon

  Vendredi

       Chabbat

       Chabes

   Résumé des épisodes précédents

      C’est le jour J

        Michèle et Paul vont échanger leurs vœux devant Dieu.

   Dans la voiture qui la conduit vers la synagogue, collée contre son père, la future tente d’échapper à la jambe de monsieur Duchemin, le patron de Paul, qui s’est cru investi d’une mission patronale inaliénable considérant que le droit de cuissage est intégré à la charte du bon patron de 1971.

    Paul l’a imposé

    Papa a cédé par souci de concorde familiale.

    La suite

      En arrivant rue ND de Nazareth, j’aperçois une énorme ombre foncée devant la synagogue : les amis et la famille m’attendent.

    Quelqu’un ouvre la portière.

      Mr Duchemin sort de la voiture, me tend la main pour m’aider à descendre et je sens la main de Papa sur ma taille, je suis là, ma fille…

   Des cris de joie, des embrassades, des sourires complices des copains, des regards étonnés, c’est qui ? Ben c’est la mariée ! Mais t’as vu sa robe ? Et son chapeau ?

    La mariée a un peu le tournis.

     Les invités pénètrent à l’intérieur de la synagogue, les hommes à droite, les femmes à gauche, les juifs sortent leur kippa, les non juifs disent mais moi j’ai rien, je savais pas, pas grave, on a installé un petit panier où ils peuvent cueillir l’objet indispensable, un bébé pleure, des enfants courent en riant…

    On a installé Paul, sa mère, la mienne et tous les membres du cortège dans une pièce d’où on les lâchera aux premières notes de la musique, on me conduit vers une autre pièce avec Papa, la vedette fera son entrée après les figurants, suivie des enfants d’honneur qui trouvent que la mariée ressemble pas trop à une mariée…

    J’entends de mon cagibi le brouhaha des invités qui s’installent, les cris, les rires des retrouvailles et des regroupements familiaux, le tohu-bohu se dissout peu à peu, un grand silence me cueille brusquement, je n’arrête pas de trembler…

   Les premières notes se font entendre, j’entends le cortège s’ébranler, Paul et sa mère, ma mère et mon beau-père, et le reste de la famille, dûment chapeautée…

  Oupsss…

 La guerre des galures n’aura pas lieu.  Mais c’est tout juste…

   Papa me regarde de son œil de velours.

   C’est ce que tu voulais ?

    Oui.

      Après le oui à Paul à la mairie, le oui à Papa à la synagogue scelle mon destin.

     Sur la route qui m’a menée à cette petite pièce étouffante se sont multipliés les pièges, les chausse trappes, les moments de stupeur et de consternation, les effarements, la fronde, l’insubordination, la résistance, l’indiscipline, le doute, l’appréhension, le désarroi, une sorte de transe psychique qui m’a conduite à des découvertes déconcertantes, déstabilisantes, dans un tourbillon incontrôlable où l’amour signait une magistrale défaite des dissemblances identitaires et religieuses.

    C’est ce que tu voulais ?

       Oui

   La porte s’ouvre…

     Papa prend mon bras et le caresse doucement comme pour apaiser un petit chat affolé…

    Ketzeleh, murmure-t-il…

      On enjoint aux enfants de se taire, on les range derrière moi,

 La famille s’est installée sous la houppa.

    Un silence abyssal.

     Je suis à la fois vivante et morte…

       Un appariteur ouvre la porte et nous fait signe d’avancer.

     C’est un plongeon.

       Y aura-t-il assez d’eau pour éviter le crash ?

    Les orgues m’engloutissent dans un vertige presque éthylique, j’avance au radar, des bras se tendent dans une caresse furtive, des sourires chaleureux me cueillent au passage, quelqu’un fait le V de la victoire, quelques grimaces potaches me rattachent à la réalité.

La main de Papa sur mon bras me dit mille choses douces, il me souffle tout va bien maydeleh, je serai toujours là pour toi…

   Je ressemble plus à une fragile porcelaine de Saxe qu’à une flamboyante promise émergeant de ses kilomètres de satin et de tulle, ma délicate robe aux reflets rosés semble signer modestie, humilité et discrétion, certains diront faut pas se fier à l’eau bla bla, c’est une …bon… tu m’as compris…médisance diffamatoire, je ne suis que bienveillance et soumission, si on ne m’écrase pas les orteils, bien sûr…

   Mais une certaine fragilité des orteils peut m’amener parfois à des arbitrages. …

  Je vous expliquerai plus tard…

   Paul me regarde avancer du haut de la houppa où il m’attend.

     Les cheveux ultra courts…

 Alors que la mode est aux cheveux longs…

   On va pas pinailler…

     Sans impatience.

     Nan, je déconne.

   Nous arrivons devant les marches.

  Papa regarde le marié avec affection et un rien d’inquiétude.

    Voilà mon bien le plus précieux.

   Prends en soin.

   Je te fais confiance.

    Une promesse tacite danse dans cet échange de regards.

    Il adorera Papa bien sûr qui verra en lui le fils qu’il n’a jamais eu…

    Même si le cerveau n’est jamais loin du cœur chez papa et que…

 Bref

  Si sensible et intelligent…

   Je lâche Papa, je grimpe, je souris à travers mes larmes, Paul me fait un clin d’œil, le rabbin nous attend, les invités retiennent leur souffle…

    Belle Maman sourit, cachant son accablement, c’est pas ce qu’on espérait mais au moins elle est juive, celle-là, ma mère exulte, on a casé le boulet je ne serai pas la mère honnie d’une laissée pour compte, les belles sœurs essaient de masquer leur incompréhension sous leur grand chapeau, Renée, ma collègue, amie et nouvelle belle-sœur peut enfin souffler : mission accomplie…

   Chants

   Prières

   Discours

    Paul fracasse le verre avec vigueur …

    Je précise pour les non-initiés qu’on enveloppe un verre d’une serviette que le marié doit écraser, symbole de la destruction du Temple…

   Puis la mariée doit tourner sept fois autour du promis, ce qui fera dire à mes filles c’était facile pour toi avec ta robe de rien du tout tandis que nous…

  Ben c’est sûr que 14 km de voile, ça n’aide pas aux pirouettes et aux arabesques…

   Echange des anneaux…

   Petit moment d’inquiétude…

Le rabbin tique un chouïa devant l’alliance carrée, mais ne dit rien, Paul glisse la bague baroque à mon doigt, je ne la porterai jamais, symbole d’aliénation, mon alliance à moi elle est dans mon cœur et dans ma tête, tel quel !!! mon mari ne discutera pas, j’ai de l’amour plein les yeux, et lui a un calendrier bien chargé…

    Conseils aux jeunes mariés, les témoins sont appelés à la barre, on a signé la ketouba, contrat de mariage religieux, mais je rappelle que la religion juive autorise le divorce et le remariage religieux.

    Des hurlements dans les allées, je découvre les youyous, manifestations d’allégresse des femmes séfarades qui mettent une main devant leur bouche et agitent leur langue dans un roucoulement sonore qui s’apprend le jour où a été coupé le cordon ombilical, sinon on n’y arrive pas…

   Les ashkénazes se regardent, médusés, je suis mariée, adieu Michele Chabelski, je vous présente ma femme, voici mon épouse, Clodomir Dupont, Madame Cohen,

 Je demande à Madame Cohen de bien vouloir, c’est qui Madame Cohen ?

Ben c’est toi ! Vas-y !!

Ah oui !!  Apparemment c’est moi. 

Bizarre…

   Et n’oublie pas que t’es une Cohen, ressassera belle maman qui me tutoie désormais vu que je fais partie de la famille malgré mon handicap de départ.

   Et le nom de mon papa, il devient quoi ?

  Il devient un nom de jeune fille.

    Seigneur !

    Nul n’est censé ignorer la loi, et je saurai profiter de certains décrets bien plus tard.

  Mais ceci est une autre histoire…

    Et le nom d’épouse sera celui communément utilisé en association avec l’autre membre.

   Paul et Michèle Cohen sont heureux de vous annoncer…

   Paul a pris mon bras, belle maman et beau papa suivent, papa et maman aussi, des bisous, des câlins, des railleries t’es cuite ma fille, Mazel Tov, tous mes vœux, on reçoit les félicitations, debout dans nos pompes neuves, ce n’est que le début du martyre pour nos pieds…

    Et là je m’interroge.

     Dans les contes de fées l’histoire s’arrête là…

Ils vécurent heureux bla bla…

   Ceci n’est pas un conte de fées

     Tout juste quelques souvenirs enfilés sur le fil du collier d’une jeunesse commune à pas mal d’entre nous.

   Je pourrais m’arrêter là…

  Mais je pourrais aussi tenter de prouver avec mes maigres moyens que la vie n’est pas toujours un conte de fées et que.

    C’est vous qui voyez…

    Et qui dites stop ou encore…

      Que cette journée signe le début d’un Chabbat et d’un week-end qui risquent de ressembler étonnamment aux autres jours…

    Chabbat Chalom

    A git chabes

      Je vous embrasse

Suivez-nous et partagez

RSS
Twitter
Visit Us
Follow Me

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*