Karin Albou. Procès des attentats de Janvier 2015. “Le Premier cercle”

Le procès des attentats de Janvier 2015 arrive bientôt à son terme : les onze accusés ont eu l’occasion de se défendre, de présenter leurs points de vue, de narrer leur histoire, de faire entendre leurs témoins, de nous donner une image d’eux-mêmes plus complète, de sortir des frontières que le mot « accusé » trace autour d’eux.

La fresque du street artiste C215 illustre une partie des victimes de ce procès impossible

Les trois principaux inculpés sont des amis proches de Amédy Coulibaly, l’auteur des attentats de l’hyper Cacher et de Montrouge : Ali Réza Polat encourt la perpétuité car il est soupçonné de “complicité d’acte terroriste et participation à une association de malfaiteurs terroriste criminelle”, tandis que Amar Ramdani et  Michaël Nizar Pastor Alwatik risquent tous deux vingt ans de réclusion pour “association de malfaiteurs à caractère terroriste”.

Tous les trois sont accusés d’avoir fourni un soutien logistique pour les attentats du 07, 08 et 09 Janvier : ils auraient acheté et convoyé des armes,  fourni des véhicules, de l’argent par le biais d’escroqueries.

Pendant les neufs semaines du procès, les trois hommes se sont défendus à peu près de la même manière : en racontant à la Cour des histoires assez invraisemblables. Polat affirme par exemple avoir tenté de rejoindre la Syrie pour aller à Damas et non vers les zones de l’Etat islamique. Il explique aussi que la liste d’armes retrouvée et écrite de sa main était une simple demande de renseignements de prix : “C’est comme un devis. Quand tu demandes un devis c’est pas comme si tu achètes !

De son côté Ramdani justifie ses déplacements à Lille (d’où proviennent les armes) par un alibi cocasse : accompagner son cousin pour voir des prostituées.  Michaël Nizar Pastor Alwatik s’empêtre lui dans des histoires de parka perdue et d’ordinateur portable revendu. Bref un tissu d’invraisemblances, de “carabistouilles” comme les a qualifiées Maître Guttadauro. Et comme le dit Maître Zbili : “On a le droit de considérer que la superposition d’invraisemblances ça fait un mensonge et que la superposition de vraisemblances, ça fait la vérité.

Mais en plus de leurs bobards et de leur lien amical  à Coulibaly, une déclaration revient dans leurs paroles,  un point commun qui nous incite à réfléchir : tous les trois affirment qu’ils ignoraient la radicalisation de Coulibaly, son projet terroriste et son affiliation à l’Etat islamique. Ils évoquent tous la même raison : leur origine familiale.

Michaël Nizar Pastor Alwatik  et Amar Ramdani ont rencontré Amédy Coulibaly à la prison de Villepinte entre 2010 et 2013. Le premier y était incarcéré pour trafic de stupéfiants, le deuxième pour vol à main armée d’une bijouterie. Ils travaillaient tous les trois à la Buanderie, qui d’après certains témoignages fonctionnait comme une secte. Pour être tout à fait exact,  un témoin ( Miodarg Aligrudic) a décrit la Buanderie comme une secte lors de sa garde à vue mais est revenu sur ses propos une fois à la barre. Un deuxième témoin, Ramzy Bouzbih, aujourd’hui en fuite, avait déclaré dans son PV que Coulibaly soutenait l’EI, parlait de terrorisme et de religion en prison, ce qui confirme les dires de Aligrudic.

Mais comme ce témoin pourtant capital est en fuite, il n’a pas pu certifier ses déclarations à la barre … Apparemment, et d’après le témoignage de l’ex compagne de Ramdani, Michaël Nizar Pastor Alwatik  et Amar Ramdani se seraient radicalisés durant leur séjour à la prison à Villepinte.

Michaël Nizar Pastor Alwattik  se définit lui-même de “culture mixte”. Il est en effet de mère musulmane, de père chrétien et sa demi-sœur est juive. Il s’est converti à l’Islam après un premier séjour en prison. Il affirme que jamais son ami Coulibaly  ne lui avait fait part de son antisémitisme ni de ses projets terroristes  car, explique t-il à la cour le 12 Octobre “tout le monde savait que la moitié de ma famille est juive, l’autre moitié est catholique, l’autre moitié est musulmane“.

Cet homme à 150% soutient que Coulibaly lui avait caché son antisémitisme car il savait que sa demi-sœur et ses nièces étaient juives et qu’il avait des liens familiaux tels qu’il n’aurait pu accepter toute allusion antisémite et encore moins un attentat dans un supermarché cacher.  

Amar Ramdani, l’autre ami de Coulibaly de la prison de Villepinte, est un algérien de 39 ans d’origine Kabyle. Il explique le 07 Octobre qu’il ne parlait pas d’islamisme avec “son pote Dolly” (surnom de Coulibaly) car ce dernier savait que sa famille avait été marquée par les exactions du GIA en Algérie : “On s’était raconté nos vies, moi je viens d’Algérie : dans les années 90 j’avais dix ans, c’était la décennie noire. Il savait qu’il fallait pas m’en parler“, déclare t-il lors de son audition. Il raconte que sa famille a souffert durant ces terribles années opposant les islamistes et l’état militaire algérien, des années d’une violence inouïe où assassinats ciblés d’intellectuels, égorgements dans les villages et sur les routes se succédaient. Quand Maître Cechman, avocate de la partie civile, lui demande comment il conciliait ce passé familial avec son amitié pour Coulibaly, Amar Ramdani répond : “Il me disait que sa condamnation pour terrorisme était une erreur et qu’il était là pour les stups. (…) Je ne connaissais pas Coulibaly. Je connaissais Dolly. Pour moi il y a Dolly qui était ni terroriste ni antisémite avant le 09 Janvier”. “Il était religieux, pieux mais pas islamiste”, ajoute t-il.

Ali Réza Polat, le troisième comparse de Coulibaly, vient de Grigny, banlieue de l’Essonne où ils ont grandi tous les deux dans le quartier de la Grande Borne. Polat est d’origine kurde alévi (alawiyya). L’alévisme est une religion syncrétique avec des origines zoroastriennes, judaïques, chrétiennes et musulmanes. Certains Alévis ne se considèrent pas comme musulmans, d’autres comme musulmans, de la branche du chiisme duodécimain. Alévi signifierait alors “adeptes d’Ali”. Rappelons que le chiisme est une branche de l’islam née après la Fitna al-kubra,  la “Grande discorde” (656-661) portant sur l’identité et la légitimité du successeur du Prophète.

Pour les chiites le successeur est Ali. Depuis de fortes dissensions, à la fois théologiques et politiques, de multiples conflits séparent les chiites et les sunnites. L’islam alévi est né lorsque le huitième Imam (Imam Riza) fuit au Khorasan pour échapper aux persécutions sunnites. Il y forme des disciples parmi les populations turcophones. Ces conversions marqueraient la naissance du culte alévi.

Comme ils ne se plient pas aux cinq piliers de l’islam (cinq prières, pèlerinage, ramadan, etc), certains Alévis ne se considèrent pas comme musulmans. C’est pourquoi Polat dit qu’il “s’est converti à l’islam”  lorsqu’il a adopté un islam sunnite (qui prévaut en France et au Maghreb). Il affirme lui-même que sa mère “déteste tout ce qui est islam“. Effectivement nous avons entendu ses écoutes téléphoniques où elle se plaint de la conversion de son fils à l’islam sunnite qu’elle ne supporte pas, explique qu’il les traite désormais de “mécréants” : “Qu’il aille rejoindre ses frères arabes !”  “Elle dit même pas les musulmans, elle dit les Arabes“, pointe Polat pour appuyer le fait qu’il ne vient pas d’un milieu musulman. Son frère explique : “Notre famille vient d’un village où beaucoup de jeunes ont été tués par des Turcs et c’est pour ça que ma famille a fui“. Et effectivement, du fait de leur rattachement au chiisme ou de l’hétérodoxie de leur religion, les alévis, considérés comme des hérétiques ou des mécréants par les sunnites, ont été massacrés autant sous l’Empire ottoman que dans la Turquie de Ataturk pourtant laïque. Et en  1993, les islamistes brûlent vifs 33 intellectuels et musiciens alévis.

Malgré ce milieu familial, Polat s’est  converti  à l’Islam sunnite en  Mai 2014, soit deux mois avant la proclamation du califat en Syrie le 29 Juin 2014. Polat affirme qu’il ne savait pas que Coulibaly était affilié à l’Etat islamique, jure que lui-même ne fait pas partie de l’EI. Ce qui semble assez crédible : Comment un homme d’origine kurde et de surcroit alévi pourrait prêter allégeance à l’Etat islamique qui est anti-chiite ? Etant donnée la situation géopolitique du Moyen-Orient cela paraîtrait totalement invraisemblable. Rappelons d’une part que les Kurdes en zone irako-syrienne combattent l’Etat islamique et que le monde musulman n’est pas homogène : les chiites et les sunnites, même s’ils sont musulmans, se font la guerre et se détestent depuis des siècles. Et ils se battent actuellement pour avoir le pouvoir au Moyen-Orient  post printemps arabe

Ce qui frappe c’est que tous les amis du premier cercle d’Amédy Coulibaly sont des “outsiders” du culte sunnite arabo-musulman et viennent de minorités opprimées : Un Kurde alévi (Polat), un Kabyle (Ramdani), et un homme hybride chrétien-musulman avec une famille juive (Pastor Alwattik). Il est peu crédible qu’un Kabyle soutienne l’Etat islamique, étant donné que la plupart des Kabyles ne voient déjà pas d’un œil favorable le pouvoir arabo-musulman en Algérie, qu’ils qualifient de “colonisateur”, donc que dire d’un état islamique …  Il est tout aussi peu crédible qu’un Kurde alévi, même converti  à l’Islam , épouse les thèses de l’Etat Islamique, il est aussi peu crédible qu’un homme ayant une famille juive soit affilié à l’EI et ait participé de près ou de loin à la préparation des attentats contre l’Hyper-Cacher.

Trois hypothèses permettraient peut-être de démêler cet imbroglio

Trois hypothèses permettraient peut-être de démêler cet imbroglio. La première, exposée par la défense : Coulibaly aurait choisi d’impliquer ces trois hommes à leur insu car ils étaient “impurs” au regard de l’orthodoxie arabo-musulmane sunnite : l’un est kabyle, l’autre est shiite alévi, le troisième a des liens avec une famille juive et chrétienne. Il les aurait manipulés car ils représentent tout ce que les islamistes sunnites de l’Etat islamique réprouvent : la berbérité, la judéité, le chiisme (ou l’islam hétérodoxe si l’on considère que les Alévis ne sont pas musulmans.) Coulibaly  a fait semblant d’être leur ami  et c’est pourquoi Ramdani parle d’une trahison de son ami.

La deuxième hypothèse, exposée par l’accusation : parce qu’il n’étaient pas totalement purs au regard d’une orthodoxie arabo-sunnite, ces trois hommes se sont jetés à corps perdu dans ce qui était le plus contraire à leur héritage familial. Peut-être ont-ils “flirté avec le diable”, peut-être ont-ils résolu leurs contradictions internes grâce à leur conversion ? Peut-être était-ce aussi la condition de leur intégration dans le cercle amical et solidaire de la prison de Villepinte –et le mot secte prendrait alors tout son sens sans lui attribuer forcément une dimension péjorative. Et peut-être ont-ils été choisis  par Coulibaly ou d’autres membres de l’EI, dans cette affaire de terrorisme, car leur héritage familial rendait invraisemblable toute affiliation à l’EI ou à El Qaïda ? Ainsi leur dissimulation (la fameuse taqyya)  serait plus aisée et convaincante.

Une troisième hypothèse vient à l’esprit : on pourrait aussi imaginer que l’EI ou El Qaïda, comme beaucoup de sociétés clandestines, ont une organisation pyramidale. Les membres ne se connaissent pas forcément entre eux ou, s’ils se connaissant, ignorent les desseins et missions des uns et des autres. Ainsi les accusés pourraient mentir tout en disant la vérité : ils pourraient être musulmans radicaux, affiliés à l’EI ou à El Qaïda, ne pas être au courant des actes terroristes qu’allaient commettre leur ami Coulibaly et les Frères Kouachi mais aider cependant dans le transport d’armes ou de véhicules sans en savoir précisément l’usage : les ordres venant peut-être “d’en haut” avec pour injonction de ne pas poser trop de questions, ils ont obéi comme de serviles serviteurs d’une cause sacrée.

Que faire de ces héritages familiaux en opposition avec un engagement djihadiste

En somme on ne sait que faire de ces héritages familiaux en opposition avec un engagement djihadiste. Il est assez difficile de prouver la radicalité religieuse d’un homme. Quels sont les critères ? Certaines questions des avocats sur la longueur de la barbe d’un accusé ou la fréquence de ses prières sont embarrassantes dans l’enceinte du tribunal d’un pays laïc.

Il y a les déclarations des témoins qui peuvent aussi se contredire : Par exemple pour le cas de Michaël Nizar Pastor Alwatik, l’un de ses amis (Pierre B) dit de lui qu’il était un “pratiquant marrant” ou un “musulman détente“, ce qui pourrait invalider le témoignage de son ex-femme affirmant au contraire la radicalité de l’accusé.  Pierre B dit “J’ai côtoyé en prison des tchétchènes des Afghans. Ça n’a rien à voir avec Nizar”. Un autre ami dit de lui : “Connaissant Nizar, il rigole tout le temps, il ne peut pas soutenir Daesh et tout ça … c’est un clown“.

Seule une écoute téléphonique entre l’ex-femme de Michaël Nizar Pastor Alwatik  et son père a permis de certifier qu’elle ne ment pas. Elle se plaint au téléphone de son mariage, dit qu’elle a l’impression que son époux fait partie d’une secte, ce qui laisse supposer que  l’accusation de radicalisation a un sens.

Il est tout aussi assez difficile de trouver des traces de l’affiliation des accusés à l’Etat Islamique ou à El Qaïda. Un avocat des parties civiles, Maître  Zbili, interrogeant Polat qui clamait son innocence, tenta de lui expliquer pourquoi on le soupçonnait : “Ne pensez-vous pas que quelqu’un qui est membre de l’EI et qui veut préparer un attentat en France – qui est en guerre avec l’EI-  va se tourner pour préparer cet attentat vers son premier cercle d’amis ?“Vous comprenez qu’il soit logique qu’on soupçonne ce premier cercle d’amis d’appartenir aussi à l’EI ?

Polat hurle alors : “Mais je fais pas partie de l’Etat Islamique !  Est-ce que vous avez trouvé des traces de mon adhésion?

L’avocat réplique : “Ce n’est pas comme un parti politique. C’est une organisation clandestine. On apprend que les gens appartiennent à l’EI quand ils font un attentat, quand on les arrête ou quand ils partent en Syrie.

Puis parlant de Peter Chérif : “Je ne le connais pas ! Est-ce que j’ai déjà eu des logorrhées comme lui ? C’est lui qui devrait être dans le box !

De l’antisémitisme Partagé comme quatrième hypothèse

Pour rebondir sur cette réflexion, une quatrième hypothèse vient à l’esprit, à laquelle je peine à penser tant elle m’est insupportable : Aucun des trois accusés  ne faisait peut-être partie de l’EI ou de El Qaïda mais ils s’accordaient avec Coulibaly sur un point : l’antisémitisme.         

En conclusion, pour juger ces accusés, dans la balance il y aura des invraisemblances contre d’autres invraisemblances. Les Assesseurs auront à déterminer lors du verdict ce qui est le moins invraisemblable : les histoires rocambolesques et incongrues que nous ont servies les accusés depuis le début du procès pour prouver leur innocence ou une adhésion idéologique en contradiction avec leur origine familiale. Les assesseurs pèseront le pour et le contre.

Leur responsabilité est énorme. En effet il y a toujours le risque de condamner des innocents mais il y a aussi celui de laisser filer des coupables. L’auteur de l’attentat de Vienne du 02 Novembre 2020  avait déjà été condamné en 2019 pour avoir tenté de rejoindre l’EI en Syrie. Il venait de sortir de sa période de probation quand il a commis  cet attentat. Et Amédy Coulibaly, dans le procès ATWH fin 2013 avait certes été condamné à cinq ans de prison mais le caractère terroriste  de l’association de malfaiteurs ne fut pas reconnu et, pire, Chérif Kouachi a bénéficié d’un non-lieu. Coulibaly sort de prison le 04 Mars 2014, sous bracelet électronique. Deux mois plus tard la surveillance est levée.

Et huit mois après, en Janvier 2015, il commet les attentats.

© Karin Albou

Karin Albou

Karin Albou, auteur et réalisatrice, a écrit et réalisé dès 2002, à un moment où personne n’avait pressenti l’ampleur des actes antisémites qui allaient frapper la France, ” La petite Jérusalem“, qui sortira en salles en 2005 et raconte… Sarcelles. Elle a également écrit et réalisé “Le chant des mariées” qui se situe pendant l’Occupation nazie de la Tunisie. 

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1 Comment

  1. Michaël Nizar Pastor Alwattik … “tout le monde savait que la moitié de ma famille est juive, l’autre moitié est catholique, l’autre moitié est musulmane“. Cela dépend de la grosseur des moitiés, comme dirait César (Raimu) de Marcel Pagnol.

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