Julien Charpenay. Entretien exclusif avec Hassen Chalghoumi : « Nous devons réfléchir aux valeurs humaines, aux valeurs universelles »

Imam Hassen Chalghoumi

Cela fait une semaine que le mois du ramadan a commencé en plein confinement, Hassen Chalghoumi, président de l’Association culturelle des musulmans de Drancy et imam de la mosquée Al-Nour (Drancy), évoque la situation des quartiers dits « sensibles. »

Comment se passe le confinement de votre côté ?

Ce n’est pas facile. Souvent je fais des conférences, je me déplace beaucoup et, en plus, le ramadan est compliqué. Les imams comme les rabbins ou les prêtres pour une période sacrée, ils les passent dans les lieux de prières aux côtés de leurs fidèles. D’habitude, de 14 heures à minuit je suis à la mosquée, pendant la période de ramadan pour les prières, les contacts avec les fidèles, pour y réciter le Coran. Et malheureusement avec cette épreuve, qui vient de Dieu, je pense, ça fait que les personnes restent à la maison avec leur famille. Au début, c’était un peu compliqué mais, maintenant, on prend l’habitude.

Comment vivez-vous ce ramadan par rapport à celui de l’année dernière ?

C’est un peu difficile mais on essaye de prier toute la nuit. Puis ça nous donne une force de prier parce que le monde est touché, on a des centaines de familles en deuil tous les jours en France. Ça nous donne la force de prier, de pleurer, d’implorer le pardon, Dieu, sa miséricorde, pour que tout redevienne normal, pour que la fraternité revienne. Deuxième coté, c’est l’occasion de lire, de rattraper tout ce qu’on avait besoin de lire. C’est l’occasion de s’occuper de la famille quand on n’avait pas le temps avant, maintenant on a plus de temps. Tous les jours, j’essaye de faire un repas à mes enfants, ça fait longtemps que je n’ai pas pu le faire.

En même temps on utilise les nouvelles technologies comme Zoom pour être en contact pour le ramadan, on prépare un iftar virtuel avec beaucoup de fidèles. On utilise aussi beaucoup les réseaux sociaux, Facebook, Twitter ou WhatsApp pour apporter des choses positives parce que malheureusement il y a tellement de rumeurs, de choses très négatives. On répond aux questions des fidèles parce qu’il y en a beaucoup qui ont des problèmes.

Quelles sont ces rumeurs ?

Les rumeurs négatives, les théories du complot sur le virus, qui est derrière ça, etc., c’est énorme chez les jeunes. Il y a beaucoup de bêtises qui circulent, mais malheureusement il y a une partie qui croit à tout ça. C’est notre rôle aussi de dire « arrêter, stoppez ça, ce n’est pas vrai. » Il y en a qui utilisent les réseaux sociaux pour enflammer la haine. On essaye de trouver des conseils, de parler aux parents. Vous savez, c’est une occasion de Dieu pour prier, réfléchir en famille, se retrouver en famille, développer sa maîtrise de soi, parler, dialoguer avec vos enfants malgré la distance.

Comment concilier le confinement et le ramadan ?

Vous savez, le mois de ramadan c’est un mois de solidarité. Les musulmans doivent être humbles et partager ensemble, même avec les non-musulmans pour manger les plats orientaux. Mais on a donné des consignes, la semaine juste avant le ramadan on a eu quelques réunions en visioconférence avec les préfectures pour voir comment on peut s’organiser. Maintenant on essaye de respecter par rapport aux règles de confinement. D’habitude, pour le ramadan il y a plus de 150 personnes qui viennent à la mosquée pour la rupture du jeûne pour partager le repas, ce sont des SDF, des personnes nécessiteuses. Maintenant on donne dans des sacs pour éviter les contacts.

Le monde est confiné, vous savez La Mecque est fermée, toutes les plus grandes mosquées au monde sont fermées. Pourquoi ? Parce que le plus important que ce soit en Égypte, en Irak, en Arabie Saoudite ou ailleurs, c’est la vie. Alors quand on se réunit pour prier, on devient responsable des victimes, c’est criminel. Et malheureusement le mois le plus festif c’est ramadan. D’habitude après la prière de la nuit les gens sortent dehors, ils vont dans les cafés, etc. Cette année, c’est une épreuve comme ça s’est passé pour les chrétiens, les juifs par rapport à leurs fêtes. Le Pape a dit qu’il y a plus grave que le virus : l’égoïsme. Je pense que c’est le moment que chacun pense à l’autre. Ça, je pense que c’est l’esprit du ramadan.

Que dites-vous aux personnes qui se rassemblent malgré le confinement ?

Il y en a qui malheureusement, ne respectent pas. Nous, en tant qu’autorité morale, on essaye de donner des conseils. On est en démocratie, on est un pays de droit mais aussi de devoirs. Le manque de respect de certains dans certains quartiers peut avoir des conséquences énormes. Ils n’ont pas la conscience de la responsabilité, ils disent : « Dieu nous protège » mais non. Le virus c’est comme le feu et nous sommes comme les branches d’arbres, si on se sépare le feu s’éteint, c’est la réalité.

Il y a une minorité qui se confronte à la police, dans les quartiers, je suis triste quand je regarde autant de vidéos qui montrent les confrontations entre les jeunes et les policiers. Est-ce que c’est l’esprit de ramadan ? Non, s’il y a des injustices ou des bavures policières comme ça s’est passé on a une justice. Nous sommes dans une démocratie, il faut aller vers la justice.

Que pensez-vous de la directive invitant la police à être plus laxiste dans certains quartiers en Ile-de-France ?

Ils veulent éviter bien sûr, ils savent que s’ils y vont, ils auront des confrontations. Il y aura des dégâts, des voitures brûlées, des victimes. Je ne pense pas que ce soit le moment pendant le confinement ni pendant le ramadan de régler ça. Il faut des vraies mesures politiques de la ville. Il faut aussi créer la mixité dans les quartiers. Il faut enlever tous ces bâtiments immenses où vivent presque mille familles avec le même ascenseur, les mêmes écoles. Il faut créer les vrais médiateurs, ce n’est pas les caïds en faisant du business avec certains élus. Il faut donner la responsabilité aux parents, encourager les parents qui éduquent leurs enfants et les sanctionner quand ils ne font pas leur travail. C’est là qu’on est en train de perdre des générations. Comment ça se fait qu’ils soient nés en France et qu’ils détestent la France ? Ils ont autant de haine, c’est une catastrophe. Ils croient en la théorie du complot, la haine de l’autre. Ça, c’est un travail énorme dans les quartiers. Je pense que par la mixité, le rôle des parents, le rôle de l’école on retrouvera l’ascenseur social. Il faut éduquer les jeunes. Il faut que les jeunes voyagent aussi pour qu’ils voient ce que c’est la France : un des meilleurs pays où l’on peut vivre qui vous donne la dignité, le respect, la liberté. Oui, il y a quelques soucis d’inégalités sociales dans tel quartier ou telle ville mais la France est un pays parmi les meilleurs au monde qui respecte les droits de l’Homme, qui donne la chance à chacun grâce à l’école gratuite. La priorité dans ces quartiers après le confinement, c’est l’éducation.

Estimez-vous que le gouvernement laisse ces quartiers à l’abandon ?

Ils font le maximum je pense. Ce n’est pas facile, ça fait une trentaine d’années qu’il y a des dégâts. Quand vous regardez certains quartiers ce n’est pas le gouvernement d’aujourd’hui qui a fait les dégâts, ça fait longtemps. Quand vous regardez certains quartiers on a l’impression d’être à Kandahar. Mais pardonnez-moi, quand vous les mettez tous dans le même bâtiment, le même quartier, il n’y a pas de mixité : c’est là où on trouve les problèmes. On voit se créer des partis de communautarisme au nom d’une religion, c’est une honte. On ne vote pas pour une personne en fonction de sa religion, on vote pour sa capacité, sa stratégie, à ce qu’une personne peut apporter comme changement dans un quartier. Le gouvernement fait le maximum. Je pense aussi qu’on s’est embêté un an avec les Gilets Jaunes où je ne sais pas quoi, c’est une honte. Il faut des gens responsables, si quelqu’un aime la France : il est responsable, il est là pour construire. C’est facile de critiquer ou d’insulter, aller sur le terrain, chacun peut prendre sa part de responsabilité associative, religieux, politique. Tout le monde peut y prendre part, chacun à sa place en France. Mais malheureusement il y a toujours cette minorité dans les villes d’extrême gauche qui excite cette jeunesse. Dans les villes qui essayent d’importer le conflit israélo-palestinien pour amener plus de haine contre les juifs. Dans les villes qui ferment les yeux sur la montée de l’islamisme, l’islam politique qui gangrène, la finance du Qatar, de la Turquie et personne ne dit rien. Je dis bravo au président quand il est parti pour Mulhouse, il a parlé de communautarisme, de séparatisme. Bien sûr que le séparatisme existe, il y en a qui veulent se séparer de l’état, du modèle français.

Que faudrait-il faire après le confinement selon vous pour améliorer la situation dans ces quartiers dits « sensibles » ?

Il faut parler des choses positives : les jeunes qui réussissent, la jeunesse qui travaille, les familles qui travaillent. Il y a une volonté des jeunes, ils veulent travailler. Il y en a beaucoup qui sont venus me voir avec leur CV, ils me demandent : « Est-ce que tu connais des sociétés pour m’embaucher, pour travailler. » Il faut parler des choses positives au lieu de parler d’une guerre civile, que ça va exploser tôt ou tard. Soyons patients, soyons positifs, la violence ce n’est pas la solution. C’est le dialogue. Les engagements et les choses positives, il faut le montrer, le développer.

Source: VFP Verify Fact Press. 30 avril 2020.

VFPRESS a été créé par des étudiants de l’Institut Européen de Journalisme à Paris, avec pour vocation d’offrir une information de qualité à un public allant principalement de 15 à 29 ans. Directeur de publication Yazid Bouziar, responsable de la rubrique politique

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