Nathalie Bianco. Joyeux Noël !

Joyeux Noël à ceux qui cuisinent depuis 2 jours. Ceux qui font mariner du chevreuil. Ceux qui font du foie gras en terrine, avec du poivre de Sichuan et du sel de Guérande. (C’est pas moi, moi je le fais au piment d’Espelette).  Joyeux Noël aussi à ceux qui trouvent ça honteux de manger du foie gras et qui font du « faux gras végétal » à base de champignons.

Joyeux Noël à ceux qui leur épargneront les blagues sur les légumes qui souffrent aussi.

Joyeux Noël à ceux qui ont de jeunes enfants, qui ont écumé les magasins de jouets pour trouver l’arène de combat Beyblade ou bien Le château d’Arendelle de La Reine des Neiges. Ceux qui ont eu des sueurs froides quand on leur a dit que c’était en rupture de stock, ceux qui ont fait des kilomètres pour le trouver et qui, triomphants et épuisés, ramènent enfin le précieux trophée à la maison, après des jours de recherche.

Joyeux Noël à ceux qui vont faire l’effort de mettre une chemise blanche, et qui vont se raser de près. Ceux qui auront une mini éraflure sur la joue le soir du réveillon, donc. Les mêmes qui feront une petite tâche de vin sur leur chemise et à qui on dira « ça ne tâche pas, il faut mettre du sel ».

Joyeux Noël à celles qui vont mettre une jolie robe, des talons hauts et des collants un peu chics, avec un motif brillant qui remonte le long de la jambe. Celles qui vont filer leur collant à peine la soirée commencée, et qui de toute façon, termineront pieds nus, en jurant que c’est la dernière fois qu’elles mettent ces foutus escarpins à talons pailletés. (C’est pas moi, j’ai des collants qui ne filent pas)

Joyeux Noël aux petites filles qui auront des barrettes dorées dans les cheveux et des jupes à volants, qui se gonflent quand elles tournent sur elles-mêmes.

Joyeux Noël aux tout petits, ceux qui marchent à peine, qui ne comprennent rien à ce qui se passe et qui pleurent quand on les fait passer de bras en bras.

Joyeux Noël à ceux qui tombent de sommeil, se frottent les yeux mais refusent obstinément d’aller se coucher avant “les grands”.

Joyeux Noël aux tontons, aux grands pères qui se déguisent en père Noël, avec un gros coussin sur le ventre, qui crèvent de chaud sous leur déguisement et n’arrivent même pas à boire du champagne avec leur barbe en coton.

Joyeux Noël aux enfants suspicieux qui disent « T’es sûr que c’est le vrai père Noël » ?

Joyeux Noël à ceux qui vont arroser la dinde, pendant des heures (thermostat 6) et qui malgré tout affronteront avec le sourire les piques de leur belle-sœur « C’est toujours un peu sec la dinde de toute façon ».

Joyeux Noël à ceux qui se lancent dans de l’audacieux, du gastronomique, des œufs mollets en croustade à la truffe d’Alba, émulsion de cèpes (C’est pas moi, je fais des tourtes de canard au foie gras et à l’armagnac, avec une poêlée de légumes anciens glacés au miel et à l’orange ).

Joyeux Noël à ceux qui vont ouvrir les huitres, avec leur couteau fétiche et un torchon plié en 4.  

Joyeux Noël à ceux qui vont nous saouler avec leur analyse politique de la réforme des retraites, à ceux qui vont nous demander « et toi alors quoi de neuf ? » et qui n’écouteront pas la réponse, à ceux qui vont raconter des blagues nulles et à ceux qui vont abuser du Jurançon 2011 et du Châteauneuf du Pape 2007 (C’est pas moi je fais jamais de mélanges vin blanc et rouge)

Joyeux Noël à ceux qui planquent leurs paquets avec des mines de conspirateurs et également à ceux, qui, le 24 décembre à 18 h 05, errent toujours désespérément à la recherche du cadeau idéal.

Joyeux Noël à celles qui laissent trainer, depuis des mois, des publicités pour les bagues Mauboussin avec la référence « Etoile Divine, or blanc » et qui auront un extracteur de jus, avec double panier filtrant en inox  (C’est pas moi, j’en ai déjà eu un l’année dernière) .

Joyeux Noël aux malins qui recyclent les coffrets cadeaux de leurs comités d’entreprise, à ceux qui sont fauchés, mais qui offrent des présents créatifs, tendres et rigolos fait mains.

Joyeux Noël à ceux qui ont installé leur crèche, avec de vieux santons-de-quand-ils-étaient-petits et qui râlent parce qu’un petit farceur a glissé un Playmobil à la place de Joseph.

Joyeux Noël à ceux qui ont « fait leur sapin » depuis des semaines, et qui l’allument chaque soir, en rentrant du travail et que ça rend juste heureux, toutes ces lumières.

Joyeux Noël aux chats, que ça rend également très heureux, tous ces sapins…

Joyeux Noël à ceux qui mettent des bougies partout, qui vont à la Foirfouille acheter des guirlandes LED clignotantes et qui prennent un air indigné quand on trouve leur déco un peu kitch quand même. (C’est pas moi, et puis d’abord, on trouve de tout à la Foirfouille, y compris des choses ravissantes. Clignotantes, mais ravissantes )

Excellent Noël à celles qui se concoctent honteusement des playlists de Noël et qui se font gauler dans leur cuisine en train d’improviser une petite chorégraphie et de faire un playback sur « All I Want for Christmas is youuuuuuu » de Mariah Carey (C’est pas moi, j’ai mis Spotify en mode aléatoire et je dansais pas du tout d’abord).

Joyeux Noël à ceux qui ne font rien de tout ça.

Joyeux Noël aussi à ceux qui disent « Je déteste Noël » et qui trouvent que tout cela est avant tout une fête commerciale.

Joyeux Noël à ceux que personne n’a invités, et qui vont regarder la TV cette année, comme les autres années. Ceux qui se feront un menu à peine amélioré, avec une petite part de bûche en barquette individuelle achetée chez le boulanger.

Joyeux Noël à ceux qui bossent, ceux qui disent « L’année prochaine, ce sera mon tour », qui prennent leur service à 20 h et qui se mettent tout de même un bonnet rouge et blanc sur la tête, histoire de ne pas se laisser abattre.

Joyeux Noël à ceux qui n’ont pas l’humeur joyeuse, qui fêtaient Noël « avant », mais qui ont perdu le goût de la fête depuis une certaine absence. Ceux qui ne peuvent s’empêcher de regarder une chaise vide pendant tout le repas. Ceux qui sourient distraitement quand on leur demande si tout va bien, et qui vous tapotent la main gentiment, pour vous rassurer.

Joyeux Noël à ceux qui sont à la fois un peu tristes et joyeux pour Noël, qui ont l’impression que tout ça n’a pas vraiment de sens,  mais que ça en aurait encore moins si on ne faisait pas l’effort de sourire à ceux qui en ont tellement envie.
Joyeux Noël à ceux qui auront les yeux qui brillent de joie, d’impatience, de fatigue, d’excitation ou de larmes.

Nathalie Bianco, essayiste ( On lui doit le papier “J’ai une fille. Pas une proie», a publié cette année Les Courants d’air chez Independently published edition.