Bac 2017 : perles et pépites

Nous, correcteurs, sévissant au bac français, philo,  histoire, voire à Sciences Po, et que sais-je encore, restons parfois anéantis devant ce qu’il est désormais convenu d’appeler une perle.

Cette année, voulant amener mon candidat à me parler de l’apport de L’Art Poétique, je lui suggérai : Sinon, Boileau ? Lui hésite, puis tend la main vers la bouteille d’eau sur mon bureau posée. Boileau à La Fontaine, avait du comprendre ce littéraire.

Des comme ça, ça ne s ‘invente pas, et parfois même on se dit : non, c’est pas possible. Mais si, c’est possible.

Relevées dans le cru 2017:

L’URSS, ça veut dire : l’Union des Royaumes de Suisse et Suède.

Pour se libérer de sa culture, il faut tout d’abord oublier tout ce que l’on sait. Ainsi nous devenons stupides mais libre, et c’est peut-être mieux comme ça.

Mais nous ne sommes pas dupes ! La beauté d’une œuvre se détermine surtout par son prix de vente. Ce qui est cher est beau, et ce qui n’est pas cher n’est pas beau. Tout le reste n’est que baliverne et futilité.

Relevées par Laurent Bouvet, politologue, essayiste et prof à Sciences Po :

Avant Marx, le socialisme était une idéologie au cœur du totalitarisme.

Les années 1930 sont caractérisées par un véritable renouveau politique et notamment économique en faveur du libéralisme grandissant. Cette époque est appelée en France ‘les 30 glorieuses.

Le libéralisme est un courant qui est apparu pour contrer l’absolutisme monarchique de Rousseau au XVIème siècle.

Heureusement, pour faire front, le correcteur a droit a des moments de grâce , de petits bouts de miracle qui viennent racheter ceux qui les ont précédés, et ces pépites, qu’un prof cette année a eu l’excellente idée de rapporter, vous donnent envie d’y croire toujours, si par malheur vous l’aviez égarée.

Mardi 4 juillet, veille des résultats du dit bac, Françoise Cahen, enseignante en lettres du  Val-de-Marne, la prof qui a eu l’idée que j’aurais bien aimé avoir, s’est servie de Padlet, ce mur virtuel, cet  outil présenté dès 2015 comme un outil collaboratif en ligne permettant de créer et de partager des murs virtuels fonctionnant  sur la plupart des supports mobiles, Smartphones ou tablettes. Padlet, quoi, version moderne du panneau d’affichage en liège, entièrement paramétrable.

C’était parti : elle le lança et aussitôt le partagea, ce site participatif qui devait répertorier les éclairs de génie des élèves de première et de terminale : Françoise Cahen, elle voulait prouver qu’il se passait aussi de belles choses  lors des écrits et des oraux du baccalauréat et c’est désormais sur la plateforme Padlet, les pépites du bac, que seront répertoriés les plus belles phrases repérées dans les copies, les éclairs de génie, les moments émouvants ou analyses exceptionnellement pertinentes de certains candidats, leurs paroles impressionnantes, bref ces écrits brillants  passés sous nos yeux à nous, correcteurs, osons le mot : ces fulgurances.

Correcteur, tu en as marre que les perles du bac fassent passer les jeunes pour des bêtas? Participe aux anti-perles, tweeta-t-elle ce mardi, invitant ses collègues à remplir un document où ils pouvaient retranscrire les passages où le candidat s’était transcendé. Ceux dont on ne te parle jamais, Lecteur.

Je vois des choses merveilleuses se passer chaque année dans mes oraux. On écoute des élèves qui ont vraiment rencontré la littérature et nous le montrent de manière étonnante, explique sur France Info celle qui a décidé de mettre à l’honneur les élèves inventifs, d’encourager l’originalité et la rencontre personnelle d’un élève avec un texte, de bousculer cette porte ouverte selon laquelle  « le niveau baisserait ».

« J’ai eu une jeune fille en oral de français qui a mimé une scène de “Figaro”, quasiment sans regarder le texte. Une autre m’a magnifiquement bien lu un poème de Ronsard, auquel on a pourtant du mal à intéresser les élèves du XXIe siècle. Son commentaire, ensuite, était extraordinaire. Il y a tous les ans des élèves qui ont une relation très étroite avec la littérature ».

Elle cite encore cet extrait émouvant d’un devoir d’invention au bac de français : Des trois soldats, un seul eut le courage de regarder vers la caméra, écrit un élève anonyme. Il me bouleversa. Au-delà d’un homme, je vis la souffrance. Au-delà de ses yeux, je vis l’horreur. Pas seulement la sienne, mais aussi la mienne. Je voyais en ses yeux l’origine de toute souffrance.

Françoise Cahen, elle veut aussi mettre à l’honneur ces lycéens qui l’ont impressionnée à l’oral. Un jeune homme, habillé de façon « street », après une question sur le mythe de Sisyphe, s’écria : « Ce qu’on appelle une raison de vivre est en même temps une excellente façon de mourir ». Il me surprit abondamment. 

Les profs qui ont joué le jeu parlent de cet élève de première STI exposant sa vision toute personnelle du Dom Juan de Molière : Molière, au XVIIème siècle, m’a aidé à mieux me comprendre, moi jeune d’aujourd’hui, avec le personnage de Dom Juan. Oui… Dom Juan, c’est un peu moi! S’il a autant besoin de séduire, cela s’explique sans doute parce que dans le fond, il a des problèmes à régler avec son père.

Cet autre cite ce lycéen qui explique, interrogé sur le mythe de Sisyphe, que ce qu’on appelle une raison de vivre est en même temps une excellente façon de mourir, et cet autre élève qui démonte le mythe de Cyrano, qui a vu toute sa vie entravée par un complexe ridicule : son nez. (…) et qui a tout raté. Son amour ? Il est passé à côté et il faudrait le féliciter ?

Françoise Cahen ? Elle nous a rappelé à quoi nous avions servi cette année encore, en nous rappelant ce lycéen qui souffrait avec Sisyphe, celui-là qui s’identifiait à Dom Juan et cet autre qui comprenait Cyrano à sa manière.

De façon plus concrète, hier, un ami avocat dont je vous ai déjà parlé ici lorsqu’il sévit dans une affaire tristement célèbre, me racontait le score de son fils, D. , en l’occurrence l’exceptionnel 20 qu’il se prit à l’épreuve écrite de philo, planchant sur le sujet : La raison peut-elle rendre raison de tout ?

Pour moi, prof, 20, c’était comme un tabou. Je n’ai jamais mis 20 en littérature, alors en philo ! Et pourquoi pas me disais-je hier, doutant soudainement en lisant un devoir récent du même lycéen, répondant à la question si actuelle Est-ce parce qu’ils sont ignorants que les hommes ont des croyances ?

Le jeune homme de 18 ans terminait ainsi sa réflexion : En guise de conclusion, il semble donc que l’ignorance peut être fondatrice de la croyance religieuse dans certains cas. Cependant, cette croyance paraît souvent engendrée par d’autres motivations bien plus complexes et profondes que la simple volonté d’omettre son ignorance. La conciliation entre une croyance subjuguant l’homme et le faisant tendre vers un ensemble de valeurs positives et la conservation d’un esprit critique rationnel semble possible ; on peut séparer ces deux éléments sur des domaines distincts ou alors même les réunir pour parvenir à une certaine autonomie intellectuelle.

Perles ou pépites ? Il semblerait qu’il ne baisse pas, le niveau.

Pour info, 78,6% des candidats ont obtenu du premier coup le Bac 2017.

Sarah Cattan

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