Mohamed Merah, mars 2012. Qui a oublié les 7 victimes de l’assassin qui ôta la vie à trois soldats choisis au hasard, avant de s’en prendre à une école juive toulousaine, y tuant de sang-froid un père et trois enfants, faisant basculer la France dans une forme inédite de terrorisme, actant le décompte macabre de tant de vies décimées et d’autres brisées depuis.
Le 22 mars, une France médusée découvre le patronyme du tueur au scooter mort au cours de l’assaut du Raid dans l’appartement où il se réfugia 3 jours après son forfait.
Nous ne parlerons pas ici de cet individu, archétype du raté devenu djihadiste sans boussole, écrivit récemment Christophe Cornevin à son sujet dans Le Figaro.
Mais nous voulons vous raconter une rencontre improbable, qui demanda 4 longues années à Albert Chennouf-Meyer, père d’Abel, un des trois soldats tués, avant qu’il ne consentît à rencontrer Abdelgani, le frère de Merah.
Ce dernier n’a cessé, depuis mars 2012, d’écrire à Albert Chennouf Meyer, et d’implorer une rencontre pour lui proposer son pardon. C’est le 23 aout dernier qu’elle eût lieu, cette rencontre surréaliste entre le frère d’un terroriste et le père d’une victime.
Ce père a eu besoin de temps. Ces années il les a passées à commencer le travail de deuil, à écrire un ouvrage très personnel[1], à se battre sans relâche pour obtenir la condamnation de l’Etat qu’il estime à juste titre responsable de la mort de son enfant, cet Etat qui savait la dangerosité du terroriste et ne l’a pas empêché.
Ce combat se poursuit : rappelez-vous, le frère de l’assassin est, lui, en prison, et c’est Aquitador qui le défendra. Mais Albert Chennouf Meyer, au vu de la victoire judiciaire inédite, est très bien conseillé et représenté.
En plein combat, alors qu’il est très actif sur les réseaux sociaux, menacé chaque jour pour les positions courageuses qui sont les siennes, cet homme qui n’a plus peur de rien depuis qu’il a vécu l’indicible a décidé d’accepter la requête du frère de l’assassin.
RENCONTRE SECRÈTE
Cette rencontre fut évidemment tenue secrète pour des raisons évidentes de sécurité. Elle eut lieu dans un établissement très connu dont la patronne privatisa un salon à l’heure du déjeuner. C’est là que le père d’Abel attendit le frère de celui qui tua son fils, Hocine Rouadia du Midi Libre et Maître Frédéric Picard étant allés récupérer Abdelgani Merah à sa descente du train.
On imagine bien que ce dernier, exfiltré par la DCRI, vit dans une quasi-clandestinité depuis que son nom de famille a été révélé au grand public : être le frère de Merah peut à l’évidence impacter une vie, surtout si, comme lui, vous aviez pris vos distances depuis très longtemps avec toute cette famille nourrie de haine pour la France et les Juifs.
Abdelgani Merah avait écrit en 2012 aux familles des victimes et leur avait présenté ses condoléances, assorties d’une dénonciation sans équivoque des actes odieux perpétrés par son propre frère. Il avait continué à écrire au père d’Abel dont il suivait et respectait le combat et ne cessa de lui demander cette rencontre, le jour où ce père serait prêt.
Pourquoi hier ? Parce que Albert Chennouf-Meyer a réfléchi et savait à présent que lui qui n’excuserait jamais ni ne pardonnerait rien, avait aussi compris que ce frère n’avait rien fait et il tint à le lui dire, geste royal de générosité et d’intelligence s’il en est.
Hocine Rouagda rapporte que Maître Frédéric Picard, avocat de la famille, lui rappela d’abord les grandes phases judiciaires de l’affaire en attendant le train qui devait arriver de la région Paca où vit désormais Abdelgani Merah.
Lui et Albert Chennouf Meyer relatent des poignées de mains longues, sincères, presque amicales entre ces deux hommes visiblement très émus. Albert Chennouf-Meyer joue cartes sur table dès le début de la rencontre : Je tiens à vous dire que je n’ai rien à excuser, je ne pardonnerai jamais cette catastrophe. Mais vous, vous n’avez rien fait. Je n’attends pas de pardon, car vous n’êtes pas responsable, dit-il au jeune homme.
Ce dernier confesse n’avoir pas dormi de la nuit : Vous êtes l’une des premières personnes qui m’ont donné envie de sortir de mon silence alors que ma famille se réjouissait de la mort des victimes de mon frère. Il rappelle que Monsieur Chennouf avait adressé une lettre de condoléances à sa mère lorsque Mohammed fut tué par le Raid, et ajoute à l’encontre du père d’Abel : Je voulais vous rencontrer car je suis admiratif de votre courage, je garde la tête hors de l’eau grâce à vous. Vous avez raison d’attaquer et de critiquer les religions. De mon côté, j’attaque les religions tout en les défendant. En effet cet homme de 35 ans consacre aujourd’hui lui aussi sa vie à dénoncer le salafisme et cette vision dévoyée de l’islam en même temps que la tuerie commise par son frère, des prises de position qui lui valurent d’être menacé de mort à Toulouse et extirpé ailleurs par la DCRI. Lui qui était déjà handicapé d’un bras et fut aussi poignardé par son autre frère Abdelkader pour avoir partagé la vie d’une jeune femme dont le grand-père était de confession juive, a aujourd’hui perdu son travail, et son union n’a pas résisté à l’affaire : le voilà donc séparé de sa compagne et de son fils de 17 ans.
MON FILS AVAIT 25 ANS ET SERVAIT AU 17ème RGP
Il évoque cet antisémitisme forcené, ciment de sa famille de naissance. Il ajoute pudiquement qu’après avoir aidé l’Etat, il a aujourd’hui le sentiment d’avoir été oublié et a du mal à penser en termes d’avenir. Lui aussi attend le procès : Avant que mon frère soit jugé par la justice de Dieu, qu’il soit jugé par la justice des hommes.
Le père d’Abel est plus sceptique sur l’issue du procès mais il est déterminé comme le sont ceux qui n’ont plus peur de rien : Cet attentat a bousillé ma vie et celle de toute la famille. En mars 2012, vous êtes-vous senti soutenu par les autorités lorsque l’attentat est survenu? Non, nous n’avons reçu aucun soutien. Pour être soutenu, il fallait se mettre au service des politiques qui voulaient nous récupérer et nous utiliser. J’ai toujours refusé toute complaisance, toute compromission quelle que soit la couleur politique. Ma famille et moi nous nous méfions beaucoup des politiques, notamment les sorties de membres de LR (à l’époque UMP) qui ont nié l’existence de l’attentat de Toulouse pour embellir leur bilan en vue de l’élection de 2012. Pour sa part, François Hollande, qui évoque les attentats, ne parle jamais de ceux de 2012, il parle de ceux de 2015. Ce qui est déplorable. Tout cela n’est pas à l’honneur des politiques. S’agissant de l’actuel président de la République, j’aurai aimé qu’il vienne dans le Gard comme sur la tombe de mon fils, comme il me l’avait promis par SMS. Aujourd’hui, je suis un peu plus apaisé par la victoire psychologique et morale que l’on a obtenue le 12 juillet devant le tribunal administratif de Nîmes, qui a reconnu la faute des services de l’État dans l’assassinat de mon fils Abel et des six autres victimes. Je rappelle que mon fils avait 25 ans et qu’il servait au 17eRGP (parachutiste) de Montauban. H. R.
L’islam «Dans les quartiers, les gens se considéraient comme Arabes au Maghreb ou comme Français en France. Maintenant, les gens se considèrent comme des musulmans. Daech et les frères musulmans ont réussi à faire croire que l’Occident attaquait l’islam. Or, ce sont ses propres enfants qui l’attaquent.
Le frère Merah confesse avoir voulu avoir un tel père : Beaucoup de gens devraient prendre exemple sur lui, c’est un exemple de tolérance. Concernant son combat contre l’intégrisme, il dit appeler les pères, les mères, les frères, les sœurs à rester vigilants et à combattre ces idées extrémistes par leurs propres moyens et ajoute : Dans les quartiers, on a enlevé la police de proximité. C’étaient des policiers, c’étaient des grands frères, ils nous éduquaient en quelque sorte.
Concernant son frère, il le décrit comme quelqu’un avec une double personnalité. Il était très gentil avec les enfants, il aimait la vie. Tout a basculé quand il a connu la prison pour vol à l’arraché, il a pris vingt mois. À partir de la prison, il a eu envie de se venger de la France. À cette époque-là, il était fasciné par les choses morbides et il était déjà pro-djihadiste. Il m’a dit un jour : “Je me vengerai”. Au fil du temps, il est monté dans le salafisme.» Un soldat «Dans le salafisme, il y a les soldats, les prédicateurs, les endoctrineurs. Mon frère, c’était un soldat.
“ON A TUÉ MERAH POUR NE PAS QU’IL PARLE “
Si le jeune homme a eu droit au pardon du père d’Abel, rappelons que Mohamed Sifaoui est très proche de lui.
Quant au père d’Abel, sa plainte pour non-assistance à personne en danger, homicide involontaire et non empêchement de crime, plaidée par Maîtres Picard et Dubreuil, se base notamment sur un rapport de l’IGPN qui parle de relâchement de la surveillance de Merah alors que les services de renseignement étaient au courant de la radicalisation de Merah. Pour maître Dubreuil, avoir voulu recruter Merah comme source est une terrible erreur de casting, c’était quelqu’un d’impulsif, d’instable et en voie de radicalisation très avancée.
Pour Albert Chennouf Meyer, on a tué Merah pour ne pas qu’il parle, il savait des choses. Merah était une bombe à retardement entre les services de renseignement. Le tribunal administratif de Nîmes a donné raison à la famille Chennouf-Meyer en reconnaissant une faute de l’État dans la surveillance du terroriste.
Rappelons qu’Isabelle Kersimon avait rencontré Abdelghani Merah, lorsque sortit l’ouvrage Mon frère, ce terroriste[2], coécrit avec Mohamed Sifaoui en 2012. Dans un entretien intitulé Les racines du mal, et que la journaliste publia sur sa page Facebook, Abdelghani Merah, le mouton noir de la famille Merah, rappelait qu’en 2003, Kader Merah, aujourd’hui écroué et placé à l’isolement depuis 3 ans, l’avait lardé de sept coups de couteau auxquels lui réchappa miraculeusement : Il a voulu me tuer parce que j’étais en couple avec une femme dont le grand-père était juif. Pour lui, notre enfant était «un bâtard». Kader Merah prit cinq mois ferme pour cet acte alors que, parallèlement, Mohamed Merah avait pris vingt mois pour vol de sac à main, ce qu’il trouva profondément choquant : À partir de là, il a voulu se venger de la France. Il n’était pas encore dans le salafisme. Plus tard, il a tenté d’embrigader mon fils en lui demandant s’il était prêt à utiliser une ceinture explosive dans le métro de Toulouse.
Il avait raconté que Mohamed Merah, après les attentats du 11 Septembre, regardait déjà des vidéos d’égorgements sur internet. Abdelghani Merah expliquait ainsi les racines du mal : Lorsque que Kader lui a dit «Ben Laden est un homme», Mohammed a eu envie d’Al Qaida. Kader l’a pourri. Il l’attachait, le frappait, lui servait de la nourriture avariée, une vraie torture. Le jour où Mohammed a sorti un flingue pour le menacer s’il continuait, Kader a réalisé son potentiel de violence. Alors il l’a travaillé au corps jour après jour. J’affirme que Kader Merah, virtuose de la takyyia, est un terroriste en puissance.
Il avait confié avoir été élevé avec des propos du style Hitler n’a pas fini le travail, les enfants Merah, enracinés dans cet engrais haineux, la haine de l’Occident instillée au cœur, étaient d’emblée mal barrés : Lorsque vous avez un tel motif, il est ensuite très facile d’expliquer les échecs dans votre vie par le racisme supposé des Français. Oui, il y a des racistes. Mais le gouvernement est tombé dans le piège de la victimisation et du discours sur l’islamophobie, déduisait le jeune homme, ajoutant : Il faut avoir un esprit faible pour se réfugier derrière cet argument afin de justifier sa haine. Il avait enfin dénoncé ces mentors, ces imams cachés qui les prennent en main au premier signe de doute et accusait en particulier Olivier Corel et Kader Merah d’être potentiellement plus impliqués que ce qu’ils prétendent : Kader Merah était très fort, racontait-il, il a même réussi à convertir un Gitan.
Isabelle Kersimon, elle, expliquait que Mohamed Merah n’était que la partie visible de l’iceberg, la partie invisible étant Olivier Corel, qui avait formé Sabri Essid, le bourreau de Daech. Abdelghani Merah le confirme: Essid se présente comme le demi-frère de Merah parce qu’ils ont voulu marier ma mère avec son père. C’est Corel qui les a mariés religieusement. Il a aussi marié Mohammed Merah et c’est lui qui, à distance, a donné les autorisations de répudiation, une semaine plus tard, pour M. Merah. Je n’ai jamais vu le visage de son épouse parce que j’étais considéré comme un apostat, impur. On apprend de la bouche d’Abdelghani Merah que la mère de cette jeune fille, mineure à l’époque, portait un simple foulard traditionnel et que son père prônait la laïcité. Tous deux exigeaient un mariage civil et furent horrifiés par les crimes de Mohamed Merah.
REGRETTABLE QU’IL N’AIT PAS TUÉ PLUS D’ENFANTS JUIFS
Abdelghani Merah expliqua enfin à Isabelle Kersimon que si beaucoup de gens de l’entourage de la famille se désolidarisèrent alors, beaucoup aussi glorifièrent l’assassin : lorsque les médecins légistes ont ramené son corps à la maison, des gens sont venus, ils faisaient des youyous, ils disaient qu’il avait mis la France à genoux, qu’il avait bien fait, mais estimaient regrettable qu’il n’ait pas tué plus d’enfants juifs. Pour eux, c’était une revanche sur la colonisation. À partir de ce moment, j’ai eu le sentiment que ce problème allait s’amplifier, qu’il y aurait une certaine séparation entre deux populations.
MERAH EST TOUJOURS CONSIDÉRÉ COMME UNE IDOLE
Il ajoutait que Daech était selon lui parvenu à faire croire que toute la population musulmane était en danger, attaquée par les mécréants, et que dans les quartiers, beaucoup combattaient la France : Dans certains quartiers de Perpignan, Merah est toujours considéré comme une idole, et il l’était aussi à Toulouse avant que je sorte de mon silence : Ton frère, c’est un super héros, me disent des jeunes, il a défendu l’islam.
The last but non the least, Abdelghani Merah explique que sa famille et certains Maghrébins, qu’il qualifie de lâches et d’hypocrites, lui tiennent plus rigueur de ce qu’il a écrit en dénonçant sa famille que des tueries commises par Mohammed Merah.
Lui considère avoir été sauvé de la haine par les versets d’amour du Coran : ils m’ont sauvé de la haine profonde de mes parents à l’égard de la France. Puis j’ai découvert la Torah à travers le film des Dix Commandements et j’ai découvert les Évangiles. Je les ai aussi trouvés magnifiques. Mais j’ai cessé de prier quand j’ai compris que mes parents volaient et mentaient, et quand j’ai vu qu’en Algérie les islamistes massacraient les gens. Je ne peux pas prier un Dieu qui me demande de tuer.
Enfin, quand il est face à des jeunes, principalement dans des collèges, Abdelghani Merah leur explique que l’islam n’a pas besoin d’être défendu, qu’il se défend très bien tout seul, et que si malgré tout quelqu’un doit le défendre, ce sont les musulmans eux-mêmes en respectant les homosexuels, les juifs, les tenues légères des femmes : Je leur parle de la chance qu’ils ont de vivre ici. Je suis las d’entendre que «l’islam est attaqué». S’il est attaqué, c’est par des musulmans.
Je ne sais pas Vous, mais moi, j’ignore si j’aurais pu rencontrer un jour le frère de l’assassin de mon enfant, et je m’incline devant la force de monsieur Chennouf Meyer.
Sarah Cattan
[1] Abel, mon fils, ma bataille, Albert Chennouf Meyer, Editions du Moment.
[2] Mon frère, ce terroriste, Mohamed Merah et Mohamed Sifaoui, Editions Calmann-Lévy, Paris, 2012.
Je voudrais que les assassins de mon frère qui a été tué rue des Rosiers en 1982 soit attrapés et jugés