Le Moyen Orient et Israël dans la campagne présidentielle aux USA

Jeremy GHEZ est Professeur affilié d’Economie et d’Affaires internationales à HEC. Il est également Research Fellow à la RAND Europe. Ses travaux de recherche portent sur l’analyse prospective, les politiques étrangères des Etats-Unis et des pays européens – et de la Turquie en particulier – et sur le Moyen Orient. Les résultats de ses travaux ont été publiés dans des monographies de la RAND Corporation et dans la revue Survival.

A HEC, Jeremy enseigne l’économie et la géopolitique au MBA, à l’EMBA et à la Grande Ecole. Avant de rejoindre HEC, Jeremy était analyste à la RAND Corporation, maître de conférences à Sciences-Po et professeur vacataire à HEC. Il a obtenu son doctorat de la Pardee RAND Graduate School et son Master de HEC et de l’Ecole d’Economie de Paris.

Il nous a accordé une interview sur un aspect bien particulier de la campagne électorale qui se déroule aux Etats-Unis : la place qu’occupent le Moyen Orient et Israël dans les programmes des deux candidats qui s’affronteront le 8 novembre 2016.jeremy_ghez

Après les attentats du 11 septembre et l’intervention en Irak, le Moyen Orient est devenu un sujet important dans les programmes des candidats qi se sont affrontés aux élections présidentielles. Comment Hillary Clinton et Donald Trump se positionnent-ils sur ce sujet au niveau de leur campagne?

Il est d’abord important de noter que contrairement à ce que l’on pourrait croire quand on suit cette campagne depuis l’étranger, les questions internationales ne sont pas prédominantes dans les débats politiques actuels. La seule exception est peut-être la question des traités de libre-échange, notamment ceux négociés actuellement avec les pays d’Asie et les Européens. Mais si le dossier préoccupe autant, c’est sans conteste à cause des conséquences de ces traités pour l’économie et l’emploi américains. La dimension internationale de la question reste bien moins centrale dans les débats politiques.

Sur le dossier du Moyen-Orient, Clinton s’inscrit dans la droite lignée des deux derniers présidents démocrates – l’actuel, le président Obama et son mari, Bill Clinton. A Barack Obama, elle emprunte la prudence de Sioux qui prévaut dans l’establishment américain (et notamment au niveau du Pentagone) vis-à-vis d’un dossier qui a mobilisé tellement d’énergie et de ressources humaines depuis vingt-cinq ans. Les expéditions militaires que l’on a vu en Irak et en Afghanistan appartiennent donc, sans conteste, au passé – notamment du fait du scepticisme de l’opinion publique américaine vis-à-vis de ces interventions. Prudence ne veut pas dire désengagement cependant : Obama a été l’un des premiers présidents à s’appuyer de manière aussi intensive les frappes de drones pour éliminer les ennemis du pays. Lors de son mandat, les Etats-Unis auront aussi éliminé plus de 27 000 combattants de Daesh. C’est dans cette lignée que pourrait s’inscrire l’action d’une Hillary Clinton présidente.

A Bill Clinton, elle pourra sans doute emprunter un volontarisme international plus prononcé que celui d’Obama. Hillary Clinton et Barack Obama sont notamment en désaccord sur un point fondamental, celui du caractère « exceptionnel » de la puissance américaine. Obama se méfie de manière instinctive de tous les discours politiques qui pourraient conférer aux Etats-Unis un rôle international plus grand que le pays ne peut vraiment assumer. Hillary Clinton, elle, n’a pas renoncé à l’image d’une Amérique puissante et influente sur le plan international, comme l’était d’ailleurs le pays sous les deux mandats de Bill Clinton. Cela pourrait la conduire à être bien plus interventionniste dans les affaires moyen-orientales que son prédécesseur.

Expliquer comment Donald Trump se positionne sur le sujet du Moyen-Orient est une tâche bien complexe, tant il semble changer d’avis assez régulièrement ! Il a d’abord soutenu l’intervention américaine en Irak avant de la critiquer. Il a récemment dit tout le mal puis tout le bien de Saddam Hussein – tour à tour dictateur sanguinaire et horrible puis leader en matière de lutte contre le terrorisme. Tout cela peut prêter à confusion… En pratique, il est probable que l’action de Trump s’inscrive dans la prudence décrite ci-dessus. Il s’est d’ailleurs dit sceptique vis-à-vis de nombreuses alliances des Etats-Unis dans la région. Mais tenter de décrire les contours d’une grande vision stratégique dans la mesure où le candidat lui-même n’en a pas !

Au-delà de la campagne, que pensez-vous des politiques qu’ils pourraient effectivement mettre en œuvre? Sont-elles drastiquement opposées ou peut-on trouver des points de convergence?

Il n’y a pas de divergence profonde, ne serait-ce que parce qu’indépendamment de qui est élu, celui ou celle-là sera contraint par l’opinion publique et par les tendances lourdes auxquelles les Etats-Unis doivent faire face. Il ne faut pas s’attendre à des expéditions de type Afghanistan et Irak – l’opinion publique n’a plus l’appétit pour de tels projets. Il ne faut pas s’attendre non plus à la même proximité entre Etats-Unis et les traditionnels alliés de Washington dans la région – Saoudiens en tête. Il faudra alors au prochain président américain bien de la patience et de l’imagination afin de trouver de nouveaux partenariats et de nouvelles solutions, qui qu’il ou qu’elle soit.

Il faut noter, enfin, que Trump est dans l’air du temps. Dans un contexte économique dans lequel on a loué les ruptures technologiques et l’innovation de toute part, comment s’étonner qu’un acteur avec autant de moyens ait voulu transposer le modèle au niveau politique ? Trump veut remettre en question certaines alliances traditionnelles – Obama n’a rien dit de différent lors de ses récents entretiens avec la presse américaine. Il veut remettre les intérêts américains au centre du débat – promesse que tous les candidats avant lui ont faites. Il a critiqué (après avoir défendu) la guerre en Irak – ce que beaucoup de ses rivaux d’hier ont fait également. Les lignes de fractures ne sont pas aussi claires que l’on ne le croit.

Quel est selon vous l’impact du terrorisme inextricablement lié à Daech, et donc au Moyen-Orient sur cette campagne électorale?

L’effet est assez superficiel. Il y a une polémique à l’heure actuelle concernant l’utilisation de l’expression « Islam radical » que le président Obama refuse de prononcer. La compréhension du phénomène de Daesh n’en est pas moins bonne pour autant dans les plus hautes sphères, y compris à la Maison Blanche.

De manière plus fondamentale, les attaques de San Bernardino et d’Orlando nous rappellent que les Etats-Unis ne sont pas aussi isolés qu’ils ont pu le croire au lendemain des attaques de Charlie, du 13 novembre ou de Bruxelles. Cela pose un réel problème de sécurité, similaire à celui qui se pose aux Européens. La réforme de l’appareil de renseignement devrait être à l’ordre du jour. Mais le débat portera probablement sur les capacités américaines en matière de renseignement et de l’utilisation des drones que sur la politique moyen-orientale à proprement parler.

Enfin, quelles sont les positions respectives que l’on peut attendre ses candidats quant à l’engagement des USA aux côtés d’Israël?

Hillary Clinton, dans la droite lignée de son mari, attache une très grande importance à l’alliance entre les Etats-Unis et Israël. Il ne faut pas douter que cela change si elle accède à la Maison Blanche. Mais cela peut aussi se traduire en des termes que le Premier Ministre israélien peut ne pas apprécier, notamment si la nouvelle présidente s’engage sur la voix de la réouverture sans condition des pourparlers avec les Palestiniens. Le soutien reste là. Les divergences en matière d’approche peuvent persister.

Côté Trump, là aussi, c’est difficile de prédire quoique ce soit. Le candidat républicain aime rappeler qu’une de ses filles s’est convertie au judaïsme en épousant son mari et que le couple est désormais très pratiquant. Mais sa philosophie internationale, « America First », peut aussi être interprété sous l’angle de la volonté de repli et de favoriser les intérêts américains stricto sensu. Difficile de démêler le vrai du discours politique très convenu.

Propos recueillis par Line Tubiana

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Et pour le plaisir d’une analyse en dehors des sentiers battus, son passage sur BFM le 30/06 :

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