De mère en fille, par Éliette Abécassis

Ce qui est surprenant avec la Dafina,

c’est qu’elle n’est jamais semblable.

La dafina, ou encore tfina, est le plat qui résume à lui seul le monde sépharade. Le mot vient de l’arabe dafina, qui veut dire « couvert, étouffé ». Ce plat, que les femmes juives marocaines préparaient tous les vendredis, est encore de rigueur dans tous les pays où elles se sont exilées, que ce soit en France, en Israël, en Amérique ou au Canada.
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La Dafina varie selon les recettes, et elle est transmise de bouche à oreille et de mère en fille. Chacune a ses spécialités, ses secrets, sa touche personnelle, mais il y a quelques invariants : la viande de poitrine, la farce sucrée, les pois chiches, les œufs, les pommes de terre, les patates douces, le riz, le blé, la tête d’ail entière, et les épices, sel, poivre, safran.
Et aussi, selon les variantes, le paprika, le piment fort, la cannelle, le cumin ou le curcuma, appelé en arabe harkoum, l’épice principale de la dafina qui lui donne sa couleur brique orangé, et son goût particulier. Elle cuit dans une grande marmite puis on la met sur la plaque chauffante du chabbat, laissée allumée toute la nuit, si bien que chaque aliment finit par prendre le goût des autres, enveloppé des épices, d’ail et d’oignons.
 
Après avoir absorbé ce plat roboratif, dont chaque élément en soi est un mets à lui tout seul, il faut impérativement boire un verre de thé à la menthe et faire la sieste.
Ce qui est surprenant avec la Dafina, c’est qu’elle n’est jamais semblable. On ne sait pas comment elle va « sortir », quelle couleur elle va avoir, ni quel goût. On peut faire la Dafina pendant toute une vie, et ne jamais faire la même. Dorée, brune et croustillante, presque noire parfois, elle n’a jamais la même couleur. Et pour qu’elle obtienne un aspect brun, chacune a son secret : on mettra des raisins secs, ou des dattes, ou même un sachet de thé brun. La couleur est aussi importante que le goût, et les connaisseurs savent, juste à la teinte, reconnaître une bonne dafina d’une dafina insipide.
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La dafina, plat abondant, c’est aussi la famille, père, mère, cousins, frères, sœurs, un plat convivial, il est impensable de la préparer pour une personne seule. La dafina, cela veut dire : le rite, le rire, le chabbat, la famille, les amis, la communauté, tous réunis autour du plat pour le partager, et tous réunis par lui.
On vient manger la Dafina : c’est le programme, il n’y en a pas d’autre. C’est aussi le symbole du temps qu’il faut passer pour arriver à l’excellence, une philosophie de la vie, c’est l’amour des femmes, mères, et épouses, qui nourrissent leur famille.
C’est pourquoi la Dafina rassemble à elle seule la totalité des valeurs du monde sépharade : le partage, la convivialité, la nourriture, le temps qui s’étire à l’infini dans l’insouciance et la gratuité, la famille réunie… Chaleureuse, généreuse, décontractée : la Dafina permet l’abondance et la luxuriance dans la pauvreté, la convivialité, le partage avant le repos. Les sens de la vie…
Éliette Abécassis
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Exergue
«Après avoir absorbé ce plat roboratif, dont chaque élément en soi est un mets à lui tout seul, il faut impérativement boire un verre de thé à la menthe et faire la sieste. »
 
 
 

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